Les doubles imaginaires de la photographie - article ; n°105 ; vol.29, pg 5-15
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Description

Romantisme - Année 1999 - Volume 29 - Numéro 105 - Pages 5-15
Les rapports entre littérature et photographie recoupent une dualité inhérente à la nouvelle image : ancrée sur la réalité la plus immédiate, elle a suscité, dès sa naissance, l'imaginaire des critiques et de ses utilisateurs. L'article explore tous ces écrans imaginaires, qui ont longtemps rendu précaire la perception objective de l'invention et de ses conséquences, tout en faisant partie de son histoire. L'imaginaire photographique fut parfois vécu dans le silence des pratiques; il s'exprima aussi, de manière plus manifeste, dans des textes constitués de thèmes et de figures répertoriables.
The links between literature and photography confirm the duality inherent in the new, visual image : tied to the most immediate state of reality, photography has stimulated, since its discovery, the imagination of the critics and its users. The article explores all the « screens » of the imagination which blocked the objective perception of this invention and of its consequences even while taking part in its history. The photographie imagination was sometimes lived out in the silence of practical applications ; it also expressed itself in a more obvious manner in texts made up of definable themes and figures.
11 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1999
Nombre de lectures 29
Langue Français

Extrait

M. Philippe Ortel
Les doubles imaginaires de la photographie
In: Romantisme, 1999, n°105. pp. 5-15.
Résumé
Les rapports entre littérature et photographie recoupent une dualité inhérente à la nouvelle image : ancrée sur la réalité la plus
immédiate, elle a suscité, dès sa naissance, l'imaginaire des critiques et de ses utilisateurs. L'article explore tous ces écrans
imaginaires, qui ont longtemps rendu précaire la perception objective de l'invention et de ses conséquences, tout en faisant
partie de son histoire. L'imaginaire photographique fut parfois vécu dans le silence des pratiques; il s'exprima aussi, de manière
plus manifeste, dans des textes constitués de thèmes et de figures répertoriables.
Abstract
The links between literature and photography confirm the duality inherent in the new, visual image : tied to the most immediate
state of reality, photography has stimulated, since its discovery, the imagination of the critics and its users. The article explores all
the « screens » of the imagination which blocked the objective perception of this invention and of its consequences even while
taking part in its history. The photographie imagination was sometimes lived out in the silence of practical applications ; it also
expressed itself in a more obvious manner in texts made up of definable themes and figures.
Citer ce document / Cite this document :
Ortel Philippe. Les doubles imaginaires de la photographie. In: Romantisme, 1999, n°105. pp. 5-15.
doi : 10.3406/roman.1999.4344
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/roman_0048-8593_1999_num_29_105_4344Philippe ORTEL
Les doubles imaginaires de la photographie
Peut-on assigner à «l'imaginaire photographique» un territoire particulier? S'il
existe, il déborde largement la «clôture du texte» et s'étend au contexte d'énonciation
des œuvres. Il prend la forme d'un vaste espace transitionnel, polarisé entre les comp
osantes objectives du phénomène (son statut technique, sémiologique, médiologique ')
et les représentations plus ou moins fantasmagoriques qu'il a suscitées chez les
contemporains. Articles de presse, salons, correspondances et journaux intimes (celui
des Goncourt fourmille d'anecdotes à ce sujet) sont les traces de cet espace disparu
dont ils reflètent, par ailleurs, les deux versants : l'image réaliste y génère constam
ment des doubles imaginaires, soit que l'auteur la célèbre soit qu'il la condamne. Baud
elaire a bien vu que la relation subjective à la photographie faisait partie de son
histoire : en intitulant «Le public moderne et la photographie» l'anathème qu'il lance
contre elle en 1859, il n'évoque pas la nouvelle image en elle-même mais le regard
des contemporains sur elle; dès le titre, l'objet se dédouble entre ses caractères objectifs
et les aspirations auxquelles il répond.
Comme le champ d'investigation est très étendu2, on se contentera de repérer une
constante dans les modalités d'inscription de cette image : sa précarité même. Qu'on
envisage les débats qu'elle suscita, la pratique des écrivains (un Hugo fut à la fois
opérateur indirect, sujet photographié et spectateur de photos) ou le traitement littéraire
qu'ils en donnent, elle se dérobe au moment même où elle s'inscrit. Soit on nie son
importance, soit on la traite à l'aide de représentations personnelles ou collectives qui
lui sont, de toute façon, étrangères. Au point que cette part imaginaire, qui semble
d'abord liée au contexte culturel du XIXe siècle, paraîtra finalement consubstantielle à
notre objet.
Une origine dédoublée
La dualité commence avec les inventeurs. La démarche de Niépce, passionné de
technique, gagné aux «idées nouvelles nées de la révolution de 1789 » 3, reflète l'opt
imisme de l'époque et son positivisme : assez fortuné pour mener, avec son frère, de
multiples expériences (machine à vapeur, pompe hydraulique, extraction de la matière
colorante du pastel, exploitation du sucre de betterave), il jette les bases techniques du
procédé en parvenant à fixer quelques empreintes imparfaites mais émouvantes. En
revanche, Daguerre, qui devient son associé en 1829, donne à l'aventure sa dimension
1. Pour une synthèse sur cette notion, voir Les Cahiers de médiologie, «Pourquoi des médiologues?»,
Louise Merzeau (coord.), n° 6, deuxième semestre 1998.
2. J'en proposerai un parcours dans La Littérature à l'ère de la photographie, Nîmes, Jacqueline
Chambon, à paraître.
3. Voir Victor Fouque, La Vérité sur l'invention de la photographie [1867], dans Isidore Niépce et Victor
Fouque, Nicéphore Niépce. Sa vie, ses essais, ses travaux, Paris, Jean-Michel Place, 1987, p. 30.
ROMANTISME n° 105 (1999-3) 6 Philippe Ortel
imaginaire : auteur de tableaux « à effets » 4, célèbre dès les années 1 820 pour ses
peintures au théâtre de l' Ambigu-Comique et à l'Opéra, au point de figurer dans la
Vie de Rossini de Stendhal qui le compare aux peintres de la Scala de Milan 5, admiré
du tout Paris enfin à l'ouverture du Diorama (1822), et notamment de Balzac qui voit
dans ce spectacle « la merveille du siècle, une conquête de l 'homme » 6, il est le grand
magicien de l'image, le fondateur des industries visuelles modernes. Les débats sur la
pauvreté de la photographie et la crise qui en résulta ne doivent pas faire oublier la
puissance onirique du daguerréotype, dont la précision, presque hallucinatoire, tient
encore du Diorama. En ajoutant la luxuriance de l'image aux premières traces photogé
niques de Niépce, grâce à l'iodure d'argent et aux agents révélateurs, Daguerre dote ces
empreintes d'un réalisme magique qui sollicite l'imaginaire. En revanche, l'effacement
relatif de Niépce est le premier déni dont souffre cette image : en baptisant « daguerréo
type» le procédé, Arago, qui le présenta devant l'Académie des sciences et la Chambre
des députés, privilégia le fabriquant de rêves au détriment de l'ingénieur amateur.
L'usage métaphorique du daguerréotype dans les textes littéraires traduit et amplifie
sa part de magie. Avant de le fustiger dans le Salon de 1859, Baudelaire évoque sa
«vérité merveilleusement cruelle» 7 à propos de Lottier, un peintre orientaliste (1846),
et louera plus tard, à propos de Monnier, son «charme cruel et surprenant» (1857) 8.
De son côté, Gautier qualifie volontiers de « daguerréotype intelligent et coloré » 9 les
tableaux s 'apparentant au genre de la «fantaisie», les Petites mouettes de Penguilly-
L'Haridon notamment, qui retiennent aussi l'attention de Baudelaire, parce qu'il trouve
aux toiles de cet artiste le «poli du métal et le tranchant du rasoir» 10. On découvre
donc, par recoupement, que le Salon même où la photographie est mise à l'index en
subit l'influence : par delà la spiritualité surnaturaliste des œuvres, condition de leur
valeur esthétique, un recadrage s'opère autour de valeurs visuelles pures, chez les
peintres comme chez les critiques. Le même recadrage est perceptible s 'agissant des
artistes flamands, dont le réalisme fait merveille aux yeux d'un certain nombre d'au
teurs : les Goncourt qualifient Une rue de Delft par Van der Meer de « daguerréotype
animé par l'esprit» n et, plus tard, Claudel comparera les tableaux de Vermeer «aux
premières apparitions sur la plaque du daguerréotype de ces figures dessinées par un
crayon plus sûr et plus acéré que celui de Holbein, [...] le rayon du soleil» 12. Dans
4. Sur la formation de Daguerre, voir Louis Figuier, La Photographie [1868], dans La Photographie au
Salon de 1859 et La Photographie & le stéréoscope, New York, Arno Press, 1979, p. 22 et suiv.
5. Après avoir montré la supériorité des peintres d'opéra italiens sur les peintres français, Stendhal fait
une exception pour Daguerre, qui s'est illustré en créant un soleil tournant dans La Lampe merveilleuse :
«Si l'on ne veut pas de Sanquirico par esprit national, que l'on engage Daguerre; il a beaucoup de talent, et
qu'on le fasse peindre à détrempe et non à l'huile» («Utopie du théâtre italien», Vie de Rossini, Paris, Le
Divan, 1829, chap. XLIII, p. 253, note A).
6. Honoré

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