Les Jumeaux sont rois - article ; n°1 ; vol.13, pg 167-192
27 pages
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Description

L'Homme - Année 1973 - Volume 13 - Numéro 1 - Pages 167-192
26 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1973
Nombre de lectures 18
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

Extrait

Alfred Adler
Les Jumeaux sont rois
In: L'Homme, 1973, tome 13 n°1-2. pp. 167-192.
Citer ce document / Cite this document :
Adler Alfred. Les Jumeaux sont rois. In: L'Homme, 1973, tome 13 n°1-2. pp. 167-192.
doi : 10.3406/hom.1973.367332
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/hom_0439-4216_1973_num_13_1_367332LES JUMEAUX SONT ROIS
par
ALFRED ADLER
Les jumeaux reçoivent chez les Moundang1 des noms glorieux : ils sont comme
des rois, dit-on ; c'est pourquoi on les appelle gô, terme commun pour chef qui
s'applique aussi bien au souverain de Léré (gô-hre) qu'aux chefs de village
(gô-zalale « chefs de brousse »). Mais, comme on va le voir, c'est à la royauté
qu'on assimile les jumeaux et non à la simple qualité de chef.
S'il y a deux garçons, on appelle le premier sorti gô-come « chef-soleil »2 et le
second tdbaï ou gô-too (« le chef Too » dont on dit qu'il a une grosse tête). S'il y a
deux filles, la première peut également porter le nom gô-come ou bien gam (de
gamdnaï, titre donné à la princesse deuxième née du souverain de Léré) et la
seconde gô-too ou bien marumaï, c'est-à-dire la femme peule qui est pour les
Moundang un modèle de beauté. En cas de jumeaux mixtes, le garçon est nommé
gô-come et la fille marumaï. Enfin tout enfant, garçon ou fille, venant après des
jumeaux est appelé H gelé et est considéré comme un jumeau mort qui revient.
Cet honneur qu'on fait aux jumeaux est à la mesure de la crainte qu'ils
inspirent. Mais c'est peu dire que parler de crainte car une naissance gémellaire
contient pour la famille dans laquelle elle se produit une double menace de mort :
menace sur l'un des deux jumeaux d'abord, car on ne conçoit pas qu'ils puissent
l'un et l'autre survivre ; sur les parents ensuite, ou du moins l'un des deux géni
teurs auquel risque de s'attaquer l'enfant de sexe opposé. La venue au monde
* Les matériaux présentés ici ont été recueillis au cours de nos diverses missions dans
la région de Léré, mais principalement lors de notre dernier séjour de novembre 1971 à
février 1972. Nous remercions le CNRS qui a financé nos recherches et la RCP 117.
1. Les Moundang sont une population d'agriculteurs et d'éleveurs habitant le sud-ouest
du Tchad, dans le département du Mayo-Kébi. Répartis des deux côtés de la frontière tchado-
camerounaise, ils forment trois groupes (au total 100 000 personnes environ) géographique-
ment distincts dont le plus important sur le plan numérique (50 000 et sur le plan
coutumier est celui de Léré. Léré, aujourd'hui sous-préfecture, est la résidence traditionnelle
des souverains régnants qui sont les descendants en ligne directe du héros fondateur de la
royauté moundang, Damba.
2. Les souverains de Léré, accédant au pouvoir, prennent l'un des trois titres qui se
succèdent dans l'ordre suivant : go-daba, gô-come, go-kajoka, go-daba, etc. l68 ALFRED ADLER
de jumeaux, répètent les Moundang, est un malheur (fan-be « la chose mauvaise,
la faute »), un événement qui bouleverse l'ordre normal et ne peut être qu'un
signe de Dieu. C'est que, pensent-ils, cette reproduction surabondante est en
vérité le contraire de ce qu'elle paraît être, elle est négation, menace d'annulation
des forces de vie et de fécondité. Nous essaierons, en fin d'article, de montrer
que l'assimilation des jumeaux aux chefs, et plus précisément au souverain de
Léré, n'est pas seulement une manière de les glorifier en révélant la nature
ambiguë de ce mysterium tremendum qu'est leur naissance, mais contient également
une assimilation en sens contraire, une sorte de « gémellisation » de la royauté
qui nous fournit une interprétation ou, à tout le moins, une hypothèse permettant
de penser les caractères de stérilité et de mort qui, dans l'esprit des Moundang,
s'attachent, tout autant que les aspects bénéfiques, à la fonction de souveraineté.
La conception de la gémellité qu'on vient de formuler offre, par son côté
plutôt tératologique, un fort contraste avec celle que l'on rencontre dans les
grandes cultures de l'Afrique occidentale, lesquelles en font un phénomène
pleinement positif, un modèle suprême de complétude et de perfection dans
l'ordre humain et cosmique ; elle n'est pas cependant exceptionnelle en Afrique1.
Elle relève chez les Moundang d'explications diverses dont la première est à
chercher, croyons-nous, dans leurs représentations relatives à toute naissance
en général. Un de leurs mythes raconte comment les femmes, jadis, devaient
mourir pour donner le jour à leur enfant. On ne savait alors que leur ouvrir le
ventre pour livrer passage au fruit de leurs entrailles. Il en fut ainsi jusqu'à ce
qu'une parturiente, fuyant en brousse le sort tragique qui l'attendait, rencontrât
un singe, qui la prit en pitié. Cette mère-singe lui dit de cueillir différentes variétés
de chèvrefeuille (kdba) et de s'en frotter le ventre, et lui donna une mixture de
feuilles de nali (Grewia mollis), avec lequel on fait le gluant de la sauce, et d'huile
i. Et surtout, croyons-nous, parmi les populations voisines des Moundang. Malheureu
sement, la documentation sur ce sujet est des plus pauvres. Nous avons seulement relevé
quelques lignes, dans un ouvrage de sociologie du développement consacré aux Toupouri,
population qui nous intéresse d'autant plus que, voisine immédiate des Moundang, elle
parle une langue étroitement apparentée au moundang et possède maints traits culturels que
nous avons retrouvés à Léré, où d'ailleurs on les attribue aux Toupouri. Voici ce paragraphe,
tiré du livre de Mme Joany Guillard, Golonpoui, Paris, Mouton, 1965, p. 133 :
« Sous l'influence européenne, la coutume ancienne qui voulait que les jumeaux fussent
tués à leur naissance disparaît progressivement. Les Toupouri voient en effet dans la venue de
jumeaux un signe divin et prennent un certain nombre de précautions lors d'un tel événement.
L'enfant né le premier est considéré comme le plus âgé car c'est celui qui voit le premier
le jour et cette aînesse dure jusqu'à son mariage (c'est le garçon né le premier qui se marie
le premier car il bénéficie avant l'autre de la dot de sa sœur).
S'il s'agit de vrais jumeaux les garçons s'appellent le premier Huil Ba (fils de Dieu) et le
second Lao, Lahou ou Sonari, les filles May Ba (fille de Dieu) et Lama. Si ce sont de faux
jumeaux le garçon se nommera Ouang Ba (chef de Dieu) et la fille May Ching (fille du Ciel). »
On verra que ces quelques informations, si elles n'autorisent pas une comparaison entre
Moundang et Toupouri, sont néanmoins fort éclairantes pour le problème des rapports
royauté et gémellité qui nous occupera plus loin. LES JUMEAUX SONT ROIS 169
de karité pour qu'elle l'introduise dans son vagin. Elle suivit ces conseils et l'enfant
sortit. Cette femme, appartenant au clan des singes, rentra au village saine et
sauve portant son nouveau-né dans les bras. Elle fut la première sage-femme
(mabiâne « celle qui fait naître ») et ce fut elle qui institua les techniques et les
rites qui assurent la protection de la femme enceinte puis du bébé au cours des
trois mois que dure, après l'accouchement, la réclusion de la mère et de son enfant.
Les Moundang ont donc appris des singes1 comment conserver en vie l'enfant
ainsi que sa mère, mais lorsque se produisait une naissance double ils étaient
démunis devant pareille démesure. Alors ils prenaient l'un des jumeaux et le
mettaient à mort. En présence de la sage-femme et du père des nouveau-nés,
on l'enfermait dans une marmite, recouvrant de cendres le corps sur lequel on
versait de l'eau ; puis on allait jeter le récipient et son contenu dans la rivière.
La sage-femme et le père sortaient ensuite pour déclarer à tout le monde qu'un
seul enfant était né. Fort curieusement, aujourd'hui encore, on invective la mère
en lui disant : « Est-ce qu'une femme est une souris pour mettre au monde deux
enfants en même temps ? », comme si les naissances multiples devaient être
le fait exclusif du règne animal car il ne s'agit pas ici, bien sûr, de la banale

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