Les usages de l identité : l exemple du Maghreb - article ; n°97 ; vol.25, pg 29-42
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Description

Tiers-Monde - Année 1984 - Volume 25 - Numéro 97 - Pages 29-42
14 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1984
Nombre de lectures 34
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Carmel Camilleri
Les usages de l'identité : l'exemple du Maghreb
In: Tiers-Monde. 1984, tome 25 n°97. pp. 29-42.
Citer ce document / Cite this document :
Camilleri Carmel. Les usages de l'identité : l'exemple du Maghreb. In: Tiers-Monde. 1984, tome 25 n°97. pp. 29-42.
doi : 10.3406/tiers.1984.3356
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/tiers_0040-7356_1984_num_25_97_3356LES USAGES DE L'IDENTITÉ :
L'EXEMPLE DU MAGHREB
par Carmel Camilleri*
L'identité est un processus par lequel tout individu reconnaît ou
construit les aspects de son organisme, qu'ils soient présents, passés
ou futurs, de l'ordre du fait ou du projet, par lesquels il se définira
et acceptera qu'on le définisse. C'est un dynamisme évolutif qui donne
lieu à des négociations susceptibles de déboucher dans des crises. Car
l'ancien doit pouvoir y accueillir le nouveau, le même faire place à
l'autre sans rompre le sentiment de continuité. De ce qu'on est
(identité de fait) doit s'accorder avec ce qu'on voudrait être (identité
d'aspiration ou revendiquée) et ce que les autres désirent qu'on soit
(identité prescrite). C'est donc une structure de nature dialectique,
intégratrice de contraires, puisque la constance doit s'y effectuer dans
et par le devenir.
Sa fonction centrale peut être dite « ontologique », puisqu'elle est
constructrice du sens en quoi consiste chacun. Mais l'être humain ne se
vit que comme projeté sur son environnement vis-à-vis duquel il se
dessine un certain programme d'action. Il est donc inévitable
que ce soit la structure identitaire qui, par son noyau intégré de repré
sentations et de valeurs, détermine les linéaments fondamentaux de ce
projet et de ce programme. Et tout ce qui agira sur elle agira sur ces
derniers. Ainsi apparaît le premier aspect de la fonction instrumentale
de l'identité, qui sera au centre de cet exposé. Ce qui est dit de l'i
ndividu peut être répété pour le groupe. Car celui-ci ne peut exister
s'U ne s'achève en unité mentale se constituant autour d'une identité
collective.
Celle-ci se nourrit à la base de la culture. Nous entendons par là
* Professeur à l'Université de Paris V (Institut de Psychologie).
Revue Tiers Monde, t. XXV, n° 97, Janvier-Mars 1984 ЗО С ARMEL CAMILLERI
l'ensemble plus ou moins cohérent et durable des significations acquises,
partagées en commun et privilégiées par la majorité des membres du
groupe, qui les projettent sur les stimuli venant d'eux-mêmes et de
leur environnement et s'efforcent de les transmettre à leurs descendants.
Cette culture et l'identité collective qu'elle alimente fournissent
habituellement, quand elles ne sont pas en crise, le tuteur le long duquel
s'édifient les identités individuelles avec leurs particularités.
Nous ne nous attarderons pas davantage sur les divers caractères
et effets de ces opérations. Mais dès à présent nous sommes à même
de comprendre le point le plus important : parce qu'il est constitutif de
l'homme, ce dynamisme est ce par quoi il peut s'instituer en agent, se
vivre comme sujet accordé à lui-même et aux principes de son action
et, en même temps, le médiateur le plus redoutable et le plus efficace,
parce que le plus intime, de son aliénation.
En effet la force, les contraintes matérielles n'étant pas admises en
conscience sont contestées au moment même où elles s'appliquent
et demeurent précaires, parce que soumises aux aléas des retournements
de situation. Par contre, introduire tels éléments dans une structure
identitaire acceptée de l'intérieur par l'individu ou le groupe, c'est obtenir
leur aval, ainsi garanti comme durable, à la direction de vie et d'action
dans laquelle on veut les mener : dans le meilleur des cas parce qu'on est
soi-même de cet avis, dans les autres parce qu'on veut les utiliser à
son profit.
Il est donc normal que l'identité se présente, directement ou le plus
souvent indirectement, comme un enjeu spécialement important des
luttes historiques entre les sociétés ou entre les groupes qui les compos
ent, qui apparaît dans les péripéties traversées par les pays dits en voie
de développement : dans leurs rapports avec le colonisateur, l'étranger
d'abord, avec eux-mêmes et leur propre dynamique interne ensuite.
Nous allons essayer de le montrer à grands traits à propos de l'ensemble
maghrébin. Mais cette fois, et là est la caractéristique nouvelle, la réfé
rence à la notion d'identité est avancée fortement et explicitement de
tous côtés, si bien que ces sociétés en mutation sont en grande partie à
l'origine de cette sorte d'idéologie, voire de mystique identitaire en
plein essor depuis les années soixante. Que faut-il en penser ? Nous
tenterons d'apporter là-dessus quelques éléments qui pourraient contri
buer à fonder un jugement rationnel.
Avant l'indépendance nationale des pays nord-africains, et comme
dans toute relation asymétrique, le colonisateur a utilisé, entre autres
moyens, ce que nous pourrions appeler la stratégie identitaire pour
consolider le rapport qu'il avait institué en sa faveur. Un moyen clas- LES USAGES DE b'iDENTITÉ 31
sique est d'immobiliser celui-ci en enfermant le dominé dans une « nature»
inférieure, c'est-à-dire une identité dévalorisée transformée en substance
immuable justifiant intrinsèquement la domination. Simultanément et
non sans contradiction était avancée, au moins de temps à autre et
pour certaines catégories sociales, une idéologie assimilationniste
visant à faire disparaître le colonisé dans sa différence, c'est-à-dire
dans son être même : cette opération-alibi de fusionnement identitaire
non coûteux, devenue en désespoir de cause le mot d'ordre officiel
quelques années avant la libération nationale, devait couvrir le maintien
des privilèges économiques et sociaux qui faisaient l'intérêt de la colo
nisation. Ainsi avions-nous un exemple entre mille de l'utilisation de
l'identité comme d'une arme au profit d'un groupe. Et cela en inversant
sa finalité initiale d'expression authentifiante d'un être pour la convertir
en son contraire : en une opération d'altération, de masquage de celui-ci.
Les sociétés maghrébines se défendirent de plusieurs façons. Il
s'agissait de maintenir sa différence à l'abri de l'aliénation et, contre les
doutes sur soi-même provoqués par la domination étrangère, les
efforts de dévalorisation de son image, s'assurer la possession des
éléments positifs susceptibles de soutenir la comparaison avec la culture
du colonisateur.
Pour cela fut occultée la diversité ethno-culturelle (différence Arabes-
Berbères surtout) et on se réclama d'une identité en même temps unitaire
et élargie en se présentant avant tout comme arabo-musulmans : on
voit bien ce que l'on gagnait à affirmer sa participation à une vaste
communauté, étendue dans l'espace et le temps, de vieille civilisation et
munie de sa geste glorieuse. Par là même, et comme chaque fois que la
formation identitaire est utilisée dans un but défensif aussi bien qu'offensif,
des corrections y furent opérées. On se référa de préférence à l'Islam
des origines, le plus proche de la prédication prophétique, dont on
durcit et exhiba hautement les représentations, valeurs et pratiques
distinctives, dans un but symbolique en même temps que de renforce
ment du sentiment d'authenticité. Enfin on idéalisa cet Islam en occultant
ses aspects perçus comme négatifs et en magnifiant ses aspects positifs.
Ainsi aboutit-on, par cette série finalisée d'aménagements, à l'image
mobilisatrice dont on avait besoin. Celle-ci, l'historien le sait, pour
répondre à des fonctions qui varient selon l'époque, est bien rarement
une simple reproduction de la réalité dont elle procède et s'engage
toujours plus ou moins loin dans la direction du mythe : de l'ajustement
à la transformation, de la transformation à la quasi-invention de l'ident
ité, ce n'est qu'une question de degré. Bien entendu rien n

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