Les voyageurs aux bains russes - article ; n°4 ; vol.69, pg 505-518
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Description

Revue des études slaves - Année 1997 - Volume 69 - Numéro 4 - Pages 505-518
14 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1997
Nombre de lectures 30
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Madame Galina Kabakova
Monsieur Alexandre Stroev
Les voyageurs aux bains russes
In: Revue des études slaves, Tome 69, fascicule 4, 1997. pp. 505-518.
Citer ce document / Cite this document :
Kabakova Galina, Stroev Alexandre. Les voyageurs aux bains russes. In: Revue des études slaves, Tome 69, fascicule 4, 1997.
pp. 505-518.
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/slave_0080-2557_1997_num_69_4_6428LES VOYAGEURS AUX BAINS RUSSES
PAR
GALINA KABAKOVA et ALEXANDRE STROEV
Parmi les topoi de la culture russe il en existe un qui, depuis le Moyen Âge,
suscite chez les étrangers une curiosité teintée de frayeur et qui focalise les dis
cussions sur le caractère national. Le statut tout à fait particulier dont bénéficiait
le bain russe dans les écrits de voyageurs provient très probablement de la multip
licité des significations assignées au bain dans la culture traditionnelle, qui par
ailleurs ont évolué au fil du temps. La méthode consistera à superposer deux
grilles de lecture d'un même phénomène, l'une pour ainsi dire « indigène » et
l'autre « étrangère ». Les oppositions qui les sous- tendent (chaud / froid, propre
/ souillé, propre / étranger, central / périphérique, vie / mort, santé / maladie,
etc.) devraient aider, d'une part, à élucider le « brouillage » du sens et les diffi
cultés de la traduction de la langue d'une culture. Les descriptions laissées par
des voyageurs montrent que derrière ľétrangeté du spectacle on soupçonnait une
dimension mystique, un comportement contraire à toutes les normes, un ant
icomportement, pour reprendre les termes de Boris Uspenskij, ne pouvant être
que la manifestation d'un culte inconnu, un culte de l'extrême. D'autre part nous
nous intéresserons aux mécanismes sociaux qui permirent aux bains russes, de
devenir au terme d'une histoire millénaire, une véritable institution. Les exemp
les récents découverts dans la presse française démontrent à nouveau que le
message émis par une culture fait l'objet d'une interprétation erronée mais qui,
au deuxième degré, réactive les connotations profondes du rituel. Ainsi, dans un
article consacré à la mafia russe à Paris paru dans le Monde nous avons trouvé
un exemple anecdotique de l'incompréhension de deux cultures : un Russe, lors
d'un interrogatoire par la P.J., a invité le commissaire « à venir visiter les bains à
Saint-Pétersbourg ». L'interprète qui assurait la traduction a expliqué, de son
côté, qu'il s'agissait sans doute d'une menace, à peine voilée, car de nombreuses
morts violentes avaient lieu aux abords de ces bains russes1. Si l'interprète se
trompait grossièrement sur la signification immédiate de la proposition, il tou
cha, sans le savoir, les racines mythologiques de ce phénomène culturel qu'est le
bain russe.
1. Erich Inciyan, « La Mafia russe saute sur Paris », le Monde, 1 1 févr. 1995.
Rev. Etud. slaves, Paris, LXIX/4, 1997, p. 505-518. 506 GALINA KABAKOVA, ALEXANDRE STROEV
L'HOSPITALITÉ
Les Russes, accusés de mille péchés, ont toujours eu une qualité que nul ne
pourrait contester : l'hospitalité. Ils reçoivent volontiers chez eux et étalent tou
jours les meilleurs plats et boissons, même quand le pays traverse une période de
pénurie. Ils font aussi découvrir des pans secrets de leur vie quotidienne. Et le
Russe, invitant le commissaire, avait en fait l'intention de faire preuve d'hospit
alité, de l'honorer de la plus grande confiance : partager les plaisirs charnels
suprêmes que seuls les bains russes peuvent procurer.
L'insistance avec laquelle les maîtres de maison imposaient les étuves à
leur hôte ne manquait pas d'étonner les voyageurs visitant par le passé la Russie.
Ainsi, en 1761, Jean Chappe d'Auteroche qui hésitait à s'adonner à ce rituel,
finit par se laisser convaincre par son domestique qui « m'apprit qu'on avait
passé une partie de la nuit à les préparer et que je ferais beaucoup de chagrin aux
gens de la maison sije n'en faisais point usage2 ».
Le refus serait d'autant plus blessant que pour chaque Russe les bains font
partie du rite de l'hospitalité, au même titre que le repas ou le gîte. Les All
emands installés en Russie ont emprunté aux Russes l'usage des bains en l'inté
grant dans le rituel de l'accueil. Adam Olearius (années 1630) qui n'a pas pris le
risque d'utiliser les étuves d'Astrakhan a hautement apprécié les bains aménagés
par ses compatriotes à Moscou. Il confirme, d'après son expérience, qu'« on
donne à chacun une servante qui se met en chemise pour frotter, laver, baigner,
essuyer et rendre pour tous les autres services nécessaires3 », comme par exemp
le offrir du raifort et une boisson spécifique. L'étiquette allemande veut que ce
soit la maîtresse de maison elle-même ou sa fille qui vienne offrir la collation
dans le cas où le visiteur est un ami de la maison.
Un bain célébrait aussi un marché conclu, comme le dit le proverbe :« Tope
là et allons aux bains ! »
On doit ces honneurs aux invités de marque, mais aussi aux visiteurs de
l'autre monde que les familles accueillent avec affabilité tous les ans à la même
époque. Le Jeudi saint ou un peu plus tard, la veille du «jour des ancêtres »,
c'est-à-dire le neuvième jour après Pâques ou la veille de la Pentecôte, les
Russes chauffaient les bains, préparaient de l'eau, du linge propre, une serviette,
cuisinaient un repas et, quand tout était enfin prêt, ils invitaient leurs parents
défunts à venir rejoindre la famille4. Pour s'assurer que les esprits venaient en
visite, les vivants saupoudraient de cendres le sol des bains. Les traces découv
ertes le lendemain servaient de preuves incontestables de la présence des morts.
MORT SUBITE
Pour mieux comprendre les émotions contradictoires que les bains provo
quaient, il convient tout d'abord d'exposer ce que représentaient les russes
aux yeux des étrangers et des Russes. Dans une certaine mesure, une vive réac
tion de Catherine II contre la description des bains livrée par Chappe d'Aute-
2. Jean Chappe d'Auteroche, Voyage en Sibérie, fait par ordre du Roi en 1761,
Amsterdam, M.-M. Rey, 1769-1770, t. 1, p. 83.
3. Relation du voyage d'Adam Olearius en Moscovie, Tartarie et Perse, t. 1, Paris,
Jean Dupuis, 1659, p. 169.
4. « Баня », in Славянские древности, M., 1995, vol. 1, p. 138. LES VOYAGEURS AUX BAINS RUSSES 507
roche confirme le rôle que jouaient les étuves dans l'image du pays. Dans ľ Anti
dote (1770), l'impératrice énumère sur quatre pages toutes les inexactitudes
commises par le Français, précisant que ses sujets ne vont au bain qu'une fois
par semaine, surtout des gens du peuple et des « manœuvriers », que dans les
bains publics existent des horaires différents pour les femmes et les hommes ou
bien des cloisons, etc.5.
Tout étranger de passage en Russie souhaitait visiter les vrais bains russes,
perçus comme un trait caractéristique du pays, des mœurs des Russes : « C'était
une scène nationale que je voulais », dit Jacques Boucher de Perthes (1856)6.
Adam Olearius va plus loin en affirmant que le faux Demetrius, à savoir le
faux Dimitri II, a été démasqué par les Moscovites, car il manquait à ces deux
grands « rituels » russes : « Cet imposteur ne dormait point après le dîner, et
[...] les Moscovites jugèrent par là qu'il était étranger, aussi bien que par
l'aversion qu'il témoignait pour les bains, qui sont si communs en Moscovie,
qu'il n'y a point de ville ni de village qui n'ait les étuves, publiques et parti
culières, en grand nombre7. » Cette observation d'Olearius est tout à fait juste,
car le dicton russe dit que celui qui ne va pas se laver aux bains n'est pas un
homme bien8.
Si tous ceux qui se rendaient en Russie avaient au moins entendu parler des
bains russes, nombreux étaient ceux qui racontaient cette expérience sans l'avoir
vécue. Les descriptions abondantes du rituel de l'ablution chez les Russes, faites
souvent par des gens qui n'avaient point mis le pied dans les étuves, évoquent
des supplices volontaires. Au XVIIIe siècle, l'abbé Jubé parle ainsi des peines
corporelles auxquelles les usagers des bains

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