Lev Nikolaevi? Gumilev (1912-1992) : biologisme et eurasisme dans la pensée russe - article ; n°1 ; vol.72, pg 163-189
28 pages
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Description

Revue des études slaves - Année 2000 - Volume 72 - Numéro 1 - Pages 163-189
27 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 2000
Nombre de lectures 22
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

Extrait

Madame Marlène Laruelle
Lev Nikolaevič Gumilev (1912-1992) : biologisme et eurasisme
dans la pensée russe
In: Revue des études slaves, Tome 72, fascicule 1-2, 2000. pp. 163-189.
Citer ce document / Cite this document :
Laruelle Marlène. Lev Nikolaevič Gumilev (1912-1992) : biologisme et eurasisme dans la pensée russe. In: Revue des études
slaves, Tome 72, fascicule 1-2, 2000. pp. 163-189.
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/slave_0080-2557_2000_num_72_1_6650LEV NIKOLAEVIC GUMILEV (1912-1992) :
BIOLOGISME ET EURASISME DANS LA PENSÉE RUSSE
PAR
MARLÈNE LARUELLE
Le succès de Gumilev et de son histoire « socio-naturelle » dans la Russie
contemporaine ainsi que dans certaines républiques ex-soviétiques comme le
Kazakhstan illustre le désarroi intellectuel et les hésitations scientifiques des
milieux de la recherche après la disparition de l'U.R.S.S. Il éclaire également la
déstabilisation identitaire générale qui a frappé ces pays. Depuis la mort de
Gumilev en 1992, ses œuvres constituent des best-sellers pour les maisons
d'édition, son vocabulaire est partout présent, même chez ses détracteurs, et
envahit jusqu'aux manuels d'histoire où « ethnos », « superethnos » et « passio-
narité cosmique » sont monnaie courante. Les théories de Gumilev étant présent
ées comme prospectives, de nombreux scientifiques se réfèrent à lui en gage de
scientificité et des institutions se réclament directement de son œuvre1. Les arti
cles à son sujet sont hagiographiques : autant artiste que scientifique, il aurait
donné une explication unique au monde de l'ethnie et des relations ethniques, il
aurait définitivement éclairé le lien existant entre sciences humaines et sciences
exactes et l'opposition intrinsèque entre Russie et Europe2, et aurait amené à son
terme une pensée eurasiste originellement floue3.
1. C'est ainsi que l'université de la nouvelle capitale du Kazakhstan, Astana, porte
officiellement le nom de L. N. Gumilev. Il existe également un fonds financier, « Le monde
de Lev N. Gumilev », qui publie les œuvres de Gumilev ainsi que celles de ses disciples et
une radio russe « Mir », créée en 1992, qui se réfère ouvertement à sa pensée. Cf. L. Niko-
п° 4, р. 65. laeva, « Мир — вчера, сегодня, завтра », Евразия, 1996,
2. L'introduction de Cernaja legenda annonce par exemple qu'« en se familiarisant
avec ce livre, le lecteur se convaincra sans difficulté du point principal : l'antipathie profonde
des Occidentaux envers les habitants de l'Eurasie est un composant attributif de la vision du
monde occidentale. » (V. Ju. Ermolaev, in : L. N. Gumilev, Черная легенда : друзья и
недруги Великой степи, M., Progress, 1994, р. 23).
3. « Gumilev a défini les fondements naturels et historiques de la naissance du super
ethnos eurasien, il a fondé le caractère organique de son unité dans la diversité, il a décrit les
phases de sa constitution, a découvert l'aspect naturel matériel de son être [...]. Ainsi, dans
l'enseignement de Gumilev la philosophie sociale de l'eurasisme connaît son aboutissement
logique. » (A. Vodoligin, S. Danilov, Метафизическая ось евразийства, Tveť, s. éd.,
1994, p. 84).
Rev. Étud. slaves, Paris, LXXII/ 1-2, 2000, p. 163-189. 164 MARLÈNE LARUELLE
Temporairement, Gumilev fait le lien entre l'eurasisme originel des années
vingt4 et les courants néo-eurasistes apparus dans les années quatre-vingt-dix.
Intellectuellement, il est le prisme au travers duquel nombre d'intellectuels et de
politiques se réclament de l'eurasisme ou s'y intéressent : la lecture de Gumilev
a longtemps remplacé celle des œuvres des premiers eurasistes, inaccessibles
jusqu'aux années quatre-vingt. Gumilev n'est pourtant pas un eurasiste stricto
sensu : son discours n'est pas uniquement une tentative de démontrer l'existence
et l'unité de l'entité « Eurasie » mais une vision du monde et de l'histoire aux
postulats particuliers et fort discutables pour un regard extérieur.
Les études occidentales sur la Russie ne peuvent plus ignorer le phénomène
goumilevien. Le déterminisme biologique, l'ethnicisme, une croyance « dix-
neuviémiste » en des lois de développement, une appréhension des sciences
humaines comme soumises aux mêmes modes de scientificité que les
naturelles ne doivent pas laisser indifférent : Gumilev interpelle la pensée scien
tifique européenne et révèle des traditions épistémologiques mais aussi poli
tiques différentes entre « Russie » et « Occident ». À ce titre et face à un tel suc
cès, le manque d'études en France sur sa pensée devait être comblé. Après avoir
rapidement présenté la personnalité et l'œuvre de Gumilev, on s'attachera à
réfléchir aux grands axes de sa pensée : philosophie de l'histoire pessimiste,
epistemologie naturaliste, discours pseudo- scientifique centré sur l'idée de
déterminisme, conceptions politiques totales voire totalitaires et pensée identi
taire « orientalisante » sur la Russie.
Une telle approche multidimensionnelle permet ainsi de nuancer et de
remettre en question l'idée que Gumilev serait le dernier représentant de la filia
tion eurasiste comme il s'en réclame5. Elle révèle nombre de postulats dont est
porteuse la pensée eurasiste et plus particulièrement sa variante goumilevienne.
La recherche occidentale peut-elle alors se permettre d'utiliser le terme d'Eura-
sie comme nouveau champ d'investigation scientifique sans donner une caution
intellectuelle à une telle idéologie ? Cette approche pose également et surtout la
première pierre, la base d'une réflexion plus générale et qui reste à faire : com
ment expliquer le succès pensée aussi extrême dans tout l'espace sovié
tique ? En quoi Gumilev « parle »-t-il aux ex-Soviétiques ? Avant de pouvoir
répondre à une telle question il reste à mieux connaître les théories goumile-
viennes.
4. L'eurasisme est né dans l'exil russe de ľ Entre-deux-guerres à Belgrade, Prague
puis Paris. Animé par de fortes personnalités comme le prince N. S. Troubetzkoy (1890-
1938), linguiste et ethnographe, et Petr N. Savickij (1895-1968), géographe et économiste, il
fut le courant de pensée le plus original de l'émigration russe, conjuguant philosophie,
réflexions identitaires et politique. Extrêmement fécond sur le plan intellectuel dans les
années vingt, il connut de violentes polémiques avec des opposants aussi prestigieux que
N. Berdjaev, G. V. Florovskij, A. Kizevetter, etc. Dans les années trente le mouvement s'af
faiblit et disparaît à la suite de dissensions internes, en particulier lors du ralliement d'un cer
tain nombre de ses partisans (« le schisme de Clamait ») à l'Union soviétique et de son infil
tration par le GPU. Cf. Marlène Lamelle, l'Idéologie eurasiste russe ou Comment penser
l'empire, Paris, L'Harmattan, 1999, 423 p.
5. Gumilev s'est en effet présenté comme le dernier représentant du courant eurasiste
originel des années vingt. « En général on m'appelle eurasiste et je ne le refuse pas. »
(« Меня называют евразийцем », Наш современник, п° 1, 1991, р. 132). Un de ses articles
porte également le titre de « Заметки последнего евразийца », Наше наследие, 1991, п° 3,
р. 19-26. LEV NIKOLAEVIČ GUMILEV 165
UNE PERSONNALITÉ AU PARCOURS ATYPIQUE
Lev N. Gumilev (1912-1992) est une personnalité atypique, à la fois offi
cielle et dissidente, du monde intellectuel soviétique. Fils des poètes Nikolaj
Gumilev et Anna Axmatova, il connaît un parcours académique difficile, par
semé d'arrestations, de condamnations et de séjours en camps6, mais bénéficie
longtemps, en contrepartie, du prestige des « poètes maudits ». En 1961, malgré
des critiques régulières, Gumilev retrouve une carrière officielle et désormais
brillante : docteur en sciences historiques et en sciences géographiques, il est
l'une des grandes figures de l'université de Leningrad et de l'Académie des
sciences. De nombreuses publications sur l'histoire ancienne et l'archéologie du
monde steppique se succèdent alors, faisant de lui l'un des plus célèbres oriental
istes soviétiques7. À l'heure de la perestroïka, Gumile

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