Littérature orale et comportements sociaux en Afrique noire - article ; n°1 ; vol.1, pg 37-49
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Description

L'Homme - Année 1961 - Volume 1 - Numéro 1 - Pages 37-49
13 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1961
Nombre de lectures 13
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Denise Paulme
Littérature orale et comportements sociaux en Afrique noire
In: L'Homme, 1961, tome 1 n°1. pp. 37-49.
Citer ce document / Cite this document :
Paulme Denise. Littérature orale et comportements sociaux en Afrique noire. In: L'Homme, 1961, tome 1 n°1. pp. 37-49.
doi : 10.3406/hom.1961.366339
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/hom_0439-4216_1961_num_1_1_366339ORALE ET COMPORTEMENTS SOCIAUX LITTÉRATURE
EN AFRIQUE NOIRE
par
DENISE PAULME
Lors d'un séjour en Côte d'Ivoire, en 1958, nous avons recueilli en milieu bété
une trentaine de contes. Les Bété, qui font partie du grand ensemble krou, occu
pent dans le sud-ouest du territoire les régions de Gagnoa et de Daloa ; leur
nombre officiel s'élevait en 1956 à 184 000.
Tous ces contes appartiennent au genre des nine gbaleade, ou contes « pour
rire ». Distraction futile, les nine sont réservés aux soirs de lune, où nul ne tient à
aller se coucher trop tôt ; on ne les entendrait jamais dans la journée. Des simples
récits on distingue les chansons, wumunu nine, les devinettes, gosa nine, les pro
verbes, nine sisakftasi. Les nine gbaleade dont il est ici question sont les nine
« plaisants », qu'on raconte pour se divertir, comme les gbaleawï sont ceux ou celles,
wl, avec qui l'on plaisante sans contrainte : frères cadets et sœurs cadettes de la
femme, par opposition aux aînés, wota, que le mari respecte et qu'il évite aussi
souvent qu'il lui est possible.
Aucun des contes ainsi notés ne serait particulier aux Bété : non seulement
le principal personnage, l'Araignée, zakol£, est emprunté de toute évidence au
folklore agni ou baoulé, mais, dans presque chaque intrigue, on retrouve une
variante d'un thème déjà connu. Dès lors, deux attitudes étaient possibles : négli
ger ces contes qui n'apportent rien à l'étude d'une société dont ils ne sont pas
vraiment l'œuvre ; ou, au contraire, les retenir, mais en s'attachant uniquement
à ce qui les différencie des autres versions. Dans les changements jugés néces
saires pour rendre le conte acceptable à un nouvel auditoire, ne verrait-on pas se
refléter des soucis qui n'appartiennent qu'à cette société, ne saisirait-on pas mieux
sous quel angle elle aborde des problèmes qui se présentent également ailleurs ?
On trouvera ci-dessous les réflexions qu'a suggérées la version bété de trois
contes, dont l'équivalent avait déjà été noté au Soudan, chez les Dogon. Tous
trois traitent des éternels problèmes de la parenté et de l'alliance, du mariage et
des rapports entre le mari, sa femme, ses parents, ses alliés.
Le premier texte bété, très court, n'est pas sans rappeler, par sa forme interro- 38 DENISE PAULME
gative, les sujets de conversation que, dans les salons parisiens du xvme siècle,
la maîtresse de maison proposait comme exercice à la subtilité de ses invités.
Conte bété. Les trois noyées.
Au cours de la traversée d'une rivière, la pirogue chavire. Un homme
s'y trouvait en compagnie de sa sœur, de sa femme et de sa belle-mère.
Aucune des trois ne sait nager. Qui l'homme sauvera-t-il ?
L'informateur ajoute, en guise de commentaire : si tu sauves ta sœur
et que tu laisses ta femme se noyer, il faudra payer une nouvelle dot (pour
acquérir une nouvelle femme) . Si tu sauves ta femme et que tu abandonnes
ta sœur, tes parents t'accableront de reproches. Mais si tu choisis de sauver
ta belle-mère, tu es un idiot.
Conte dogon (sans titre).
Un homme cultivait son champ, aidé de sa sœur et de sa femme. La
pluie étant tombée en abondance, il fallut franchir un torrent pour rentrer
au village. Les deux femmes perdirent pied et, tandis que l'homme sauvait
sa sœur, la femme se noya. L'année suivante, la sœur quitta son frère
pour aller habiter chez son mari et le frère demeura seul au logis. Il cultivait
un champ tout proche de celui de son beau-frère lorsque des étrangers qui
passaient là, le voyant seul, lui proposèrent d'acheter une captive. Le veuf
n'avait pas d'argent ; il appela sa sœur et demanda aux s'ils
consentiraient à un échange ; ils acceptèrent et, laissant la nouvelle femme
aux mains du veuf, partirent en emmenant la sœur. Le beau-frère, informé
de l'événement, ne put protester, car le veuf avait besoin d'une femme
pour tenir son ménage et il n'avait pas outrepassé ses droits en vendant sa
sœur. Mais il eût été plus simple de sauver sa femme alors qu'elle se noyait.
« Un mari, termine le conteur, doit faire passer sa femme avant sa sœur :
mon histoire enseigne pourquoi1. »
On voit que les Dogon n'hésitent pas à trancher une question à laquelle les
Bété, de leur propre aveu, n'ont pas su trouver de solution satisfaisante. Les
données du problème sont pourtant les mêmes dans les deux sociétés : toutes
deux obéissent aux mêmes règles de filiation patrilinéaire et de résidence patri-
locale ; chez toutes deux, le versement d'une dot aux parents de la fille est une
condition nécessaire au mariage. Là s'arrêtent les ressemblances : Dogon et Bété
réagissent différemment aux mêmes institutions. Au dire des informateurs,
l'épouse dogon ne rejoignait jadis son mari qu'à la naissance de leur troisième
enfant ; elle se résignait alors à un séjour permanent loin des siens. Le délai s'est
raccourci ; mais aujourd'hui encore, le ménage ne s'installe guère avant la pro
messe d'une maternité. Chez les Bété au contraire, non seulement le premier
enfant doit naître chez ses paternels, mais la vie commune des parents débute
par un rapt : prévenue ou non, la « fiancée » est enlevée et gardée trois jours enfer
mée ; quels que soient ses sentiments, les apparences de la violence sont tenues
pour nécessaires. Par la suite, plus que son propre ménage, le premier souci d'une
i. D. Paulme, Organisation sociale des Dogon, Paris, 1940, pp. 479-480. LITTERATURE ORALE ET COMPORTEMENTS SOCIAUX EN AFRIQUE NOIRE 39
épouse bété demeure celui du ménage d'un frère dont l'union, estime-t-elle, est
son œuvre : n'est-ce pas la dot versée par le mari de la sœur aînée qui a permis le
mariage du frère cadet ? D'où un droit de regard qui expliquerait, sans toujours
les justifier, les fréquentes intrusions de la sœur mariée dans le ménage du frère.
Que l'épouse « manque de respect » à une sœur, celle-ci, au premier incident,
ameutera les aînées du lignage, mariées aux alentours : telles des furies, les sœurs
envahissent le village, où elles tiennent prisonnière la coupable ; le mari lui-même
ne pourra sortir qu'en acquiesçant au paiement d'une amende dont les sœurs
demeurent libres de fixer le montant. L'épouse, pour s'acquitter, ira trouver les
siens ; mais une fois loin du mari, au souci de réunir la somme exigée, plus d'une
préférera une vie nouvelle et la compagnie d'un autre homme. On imagine les
difficultés qu'un mari bété peut éprouver à tenir au logis une épouse qui n'oublie
jamais que, dans son village, elle-même demeure une sœur. Dans les termes où
le conteur bété pose son alternative (de la sœur ou de l'épouse, qui doit l'em
porter ?), la question intéresse de manière immédiate son auditoire.
Comment expliquer ces rapports tendus, volontairement difficiles ? On observe
tout au moins qu'un comportement si « déraisonnable » s'accorde avec le tempé
rament querelleur et bruyant des Bété, qui s'offensent au moindre prétexte et
entretiennent leurs griefs. L'enlèvement d'une femme mariée entraînait jadis
une expédition punitive contre le village du séducteur : diversion que des hommes
habitués à la chasse accueillaient volontiers dans la monotonie des saisons qu'au
cune grande fête, aucun grand rassemblement, ne venait jamais animer. Toutef
ois, on s'arrêtait au premier engagement, les guerriers préférant l'effet de surprise
au combat rangé, un compromis à l'écrasement d'alliés dont, lorsque tout est dit,
on ne peut se passer : un feu de paille est un incident plaisant, mais on prendra
soin qu'il ne consume pas tout le village. En d'autres termes, les Bété se résignent
mal à l'idée que la

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