Logique du mythe et de l action. Le mouvement messianique canela de 1963 - article ; n°4 ; vol.13, pg 5-37
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Logique du mythe et de l'action. Le mouvement messianique canela de 1963 - article ; n°4 ; vol.13, pg 5-37

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Description

L'Homme - Année 1973 - Volume 13 - Numéro 4 - Pages 5-37
33 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1973
Nombre de lectures 20
Langue Français
Poids de l'ouvrage 3 Mo

Extrait

Manuela CARNEIRO Cunha
Logique du mythe et de l'action. Le mouvement messianique
canela de 1963
In: L'Homme, 1973, tome 13 n°4. pp. 5-37.
Citer ce document / Cite this document :
Cunha Manuela CARNEIRO. Logique du mythe et de l'action. Le mouvement messianique canela de 1963. In: L'Homme, 1973,
tome 13 n°4. pp. 5-37.
doi : 10.3406/hom.1973.367379
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/hom_0439-4216_1973_num_13_4_367379c^
LOGIQUE DU MYTHE ET DE L'ACTION
Le mouvement messianique canela de 1963*
par
MANUELA CARNEIRO DA CUNHA
En 1956, dans un article en l'honneur de Roman Jakobson1, Lévi-Strauss
reprenait le débat sur les rapports qu'entretiennent mythes et rites. Il affi
rmait alors que la correspondance entre eux devait être entendue non pas
comme une causalité directe mais comme un rapport dialectique qui appar
aîtrait dès lors qu'on les aurait réduits, les uns et les autres, à leurs éléments
structuraux.
Le mouvement messianique qui, en 1963, a soulevé les Indiens Ramkoka-
mekra-Canela de l'État du Maranhâo (Brésil)2 peut sans doute, parce qu'il a été
vécu en fonction d'un modèle préexistant, être traité comme un rite au sens
large. En fait, nous pouvons, au moins à titre heuristique, y distinguer une histoire
sous-jacente, qui, pour des raisons qui deviendront claires, est un rite, et un
culte qui consiste en des ébauches d'institutions. Notre propos est de montrer
que si ce dernier est la contrepartie de la structure sociale canela, le déroulement
des actions, tel qu'il a été entendu par les acteurs, se réfère dialectiquement à un
mythe, celui de l'origine de l'homme blanc, qui est littéralement rejoué pour la
déconfiture ultime de celui-ci3. A cette fin, nous nous placerons au niveau des
représentations mentales : nous pourrons ainsi comprendre l'efficacité d'un mouve-
* Jean-Pierre Vernant, Peter H. Fry et Lux B. Vidal ont bien voulu lire la première
version de ce texte et y contribuer par leurs critiques ; Jean Carter Lave et Vilma Chiara
nous ont généreusement permis d'utiliser des manuscrits encore inédits ; enfin, l'article
a été achevé alors que nous étions boursière de la FAPESP (Fondation d'Aide à la Recherche
de l'État de Sâo Paulo). Que tous soient ici très vivement remerciés.
1. Republié in Lévi-Strauss 1958 : 257-266 (chap, xn : « Structure et dialectique »).
2. Les Ramkokamekra sont à inclure parmi les Timbira orientaux, eux-mêmes fraction
du groupe linguistique gé. Ils sont surtout connus depuis les travaux de Nimuendaju qui ont
attiré l'attention sur cette tribu de la savane dont l'organisation sociale et le système rituel
déploient une complexité remarquable.
3. A son tour, le mythe d'origine de l'homme blanc est la conceptualisation d'une situa
tion d'inégalité, de sorte que nous avons là les deux premiers moments que G. Balandier
(1962) distingue dans la situation coloniale, à savoir la reconnaissance, l'interprétation du
fait colonial, et la réaction consécutive qui assume ici une forme messianique. 6 MANUELA CARNEIRO DA CUNHA
ment messianique qui se fonde sur les catégories de la pensée canela et qui satis
fait, en dernière analyse, des exigences cognitives.
On nous objectera peut-être que nous avons appliqué à ce qui relève de l'his
toire un traitement mythologique : nous ferons observer en premier lieu que ce
que nous avons ainsi traité est une histoire telle qu'elle fut racontée par ceux
qui la vécurent, une « ethno-histoire » ; en second lieu, on nous concédera, à la
lecture de ce qui suit, que c'est là une histoire idéologique1, qui par conséquent
relève du genre mythologique. Ceci n'implique nullement qu'elle soit entachée
d'erreurs ou d'omissions2, mais plutôt qu'elle déborde de sens, sens qui lui est
antérieur, puisqu'il relève d'une classification, d'un ordre qui préexiste et le
détermine.
Les faits nous sont connus grâce à la communication de William H. Crocker,
présentée au Simpôsio sobre a Biota Amazônica et publiée en 1967 dans les Actes
de cette rencontre.
En peu de mots, il s'agit d'un mouvement issu des prophéties d'une femme
mariée, Kee-kwei, qui aurait reçu des révélations provenant de la fille qu'elle
portait en son sein et qui annonçait la subversion des rapports de pouvoir : le
15 mai 1963, jour où l'enfant naîtrait, les Indiens s'empareraient des villes, pilo
teraient les avions et les autobus, tandis que les « civilisés » seraient chassés dans
la forêt. Cette fille, que sa mère nomma Kràà-kwei « fille-sèche », serait la sœur
du héros Auké, c'est-à-dire de l'homme blanc dont on verra plus loin le mythe.
Les « signes » de l'enfant furent d'abord reconnus par ses parents, puis,
par l'entremise de son keti (frère de la mère ou père de l'un des deux parents, le
texte ne le précise pas) , acceptés par le conseil villageois, qui se chargea de trans
mettre les nouvelles aux autres villages ramkokamekra. Dix jours plus tard,
à la tête des trois factions tribales réunies, la prophétesse faisait son entrée
triomphale au village traditionnel du Ponto. Par l'intermédiaire de Kee-kwei,
Auké permit aux Indiens de prendre du bétail aux éleveurs environnants : les
bêtes n'étaient-elles pas siennes à l'origine ?
Le culte s'organisa bientôt, mais la naissance, deux jours avant le terme
annoncé, d'un enfant mort-né et, qui plus est, de sexe masculin, vint altérer le
mouvement. Il fallut tenir compte de ce fait nouveau ; la naissance prématurée
fut attribuée aux maléfices d'un étranger, un Apanyekra, à qui Kee-kwei aurait
refusé ses faveurs. Et le mouvement continua de plus belle, avec des adjonctions
1. En tant qu'elle permet à l'acteur d'interpréter son vécu. Cf. à ce propos M. Douglas
(1970 : 98), et E. E. Evans-Pritchard (1962a : 21) : « In the first sense history is part of the
conscious tradition of a people and is operative in their social life. It is the collective repre
sentation of events as distinct from events themselves. This is what the social anthropologist
calls myth. »
2. « A story may be true yet mythical in character and a story may be false yet historical
in character » (Evans-Pritchard 1962b : 53). DU MYTHE ET DE L' ACTION 7 LOGIQUE
que W. Crocker n'a malheureusement pas toujours pu distinguer de la version
primitive. Il demeure néanmoins que s'est élaborée une nouvelle variante, qu'il
convient de séparer, pour l'analyse, de la précédente. Nous verrons que, moyen
nant certaines équivalences, elle est réductible à la première.
L'issue, prévisible, des événements ne se fit guère attendre : début juillet,
irrités par les larcins, les éleveurs de la région brûlèrent le village ; quatre Indiens
furent tués en dépit des assurances d'invulnérabilité prodiguées par Kee-kwei.
Le doute s'instaura dans un groupe de femmes qui furent accusées d'avoir, par
leurs malédictions, provoqué le départ d'Auké et de sa sœur Kràà-kwei ; s'inau
gurait ainsi une troisième version dont les développements nous demeurent
inconnus. Le personnel du Service de Protection des Indiens (SPI) dut alors,
pour les protéger, reloger les Canela, Indiens de la savane, dans la réserve des
Guajajara située en forêt1.
Voilà les grandes lignes de l'affaire : mais là n'est pas le niveau où nous devons
nous situer. Notre propos étant l'analyse du mouvement en tant que manipul
ation d'un mythe, il nous faut rendre compte de tous les faits, puisque tous,
par hypothèse, sont alors pertinents.
Il n'est guère possible de transcrire ici en entier le récit de W. Crocker ; nous
nous contenterons d'en offrir un résumé qui implique un certain découpage dont
nous espérons que l'on nous concédera la validité, tout en renvoyant le lecteur
à l'article en question. Ce récit appartient à un genre ambigu : il ne relate pas
un mouvement directement observé par l'ethnologue (ce qui, dans le cas présent,
est un avantage, puisque c'est au niveau « emic » que nous devons nous situer
ici), il est le composé d'un ou plusieurs récits indigènes qui lui auront été faits
et, dans

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