Manon, Marguerite, Sapho et les autres - article ; n°76 ; vol.22, pg 23-41
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Description

Romantisme - Année 1992 - Volume 22 - Numéro 76 - Pages 23-41
19 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1992
Nombre de lectures 123
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Eliane Lecarme-Tabone
Manon, Marguerite, Sapho et les autres
In: Romantisme, 1992, n°76. pp. 23-41.
Citer ce document / Cite this document :
Lecarme-Tabone Eliane. Manon, Marguerite, Sapho et les autres. In: Romantisme, 1992, n°76. pp. 23-41.
doi : 10.3406/roman.1992.6029
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/roman_0048-8593_1992_num_22_76_6029Eliane LECARME-TABONE
Manon, Marguerite, Sapho et les autres.
« La Manon de l'abbé Prévost a pondu les autres Manons dont regorge la
littérature actuelle. Manon Lescaut a été l'atome générateur de ces drôlesses qui y
pullulent, comme une plaie d'Egypte », écrit Barbey d'Aurevilly avec sa
véhémence habituelle l. Il souligne ainsi, en termes provocants, la valeur
inaugurale du roman de l'abbé Prévost dont la fortune étonnante au XIXème siècle
et plus particulièrement pendant la période romantique a déjà attiré l'attention de
nombreux commentateurs 2. Nous nous proposons d'étudier ici trois réécritures
romanesques de cette œuvre en faisant porter notre attention sur la seconde moitié
du siècle, plus négligée par les critiques. La Dame aux camélias et les textes
satellites qui l'accompagnent seront le point de départ et le pivot de cette enquête
qui abordera ensuite Sapho de Daudet et, brièvement, La Câlineuse d'Hugues
Rebeli.
Même si certains commentateurs furent sensibles aux ressemblances qui
pouvaient rapprocher La Dame aux camélias de Manon Lescaut, la critique
contemporaine de Dumas, confortée en cela par les propos de l'auteur lui-même 3,
se livra surtout à un travail de déchiffrage biographique 4. Il est vrai que, le succès
du drame éclipsant celui du roman, la filiation devenait moins perceptible.
Pourtant - et cela, au contraire, n'a pas échappé aux exégètes modernes de
Prévost 5 - la référence à Manon Lescaut dans la version romanesque de La Dame
aux camélias dépasse la simple rencontre : Dumas conclut avec le lecteur un
véritable contrat de réécriture, explicite et richement articulé, qui désigne le roman
de Prévost comme son « hypotexte ».
Manon Lescaut, que tous les personnages du roman de Dumas connaissent et
citent, se présente tout d'abord comme un livre-objet voué à une circulation
hautement symbolique. C'est, d'emblée, ce volume, propriété de la courtisane
défunte, qui attire le premier narrateur, auteur supposé du roman, venu assister en
curieux à la vente aux enchères du mobilier de Marguerite Gautier. Il l'acquiert
pour dix fois son prix, mais s'en défait généreusement lorsqu' Armand Duval, le
donateur initial et ancien amant de Marguerite, lui demande de le lui racheter. Or
c'est ce geste qui, liant les deux hommes d'amitié, incitera Armand Duval à
raconter son histoire. Le livre contre l'histoire qui doit à son tour susciter un
livre : ce troc significatif signale l'engendrement d'un roman par l'autre 6.
Véritable palimpseste, le volume offert autrefois par Armand à Marguerite
porte de surcroit une dédicace tracée à la plume. Or, et c'est l'auteur lui-même qui
souligne, le premier narrateur fait monter impulsivement les enchères « Sans
doute pour ce quelque chose d'écrit » 7. Cette dédicace, qui confère au livre sa
ROMANTISME n°76 (1 992 - П) 24 Eliane Lecarme-Tabone
valeur et sa spécificité, compare Manon à Marguerite 8. Tant par son contenu,
commenté par les personnages, que par son existence, cette surcharge figure
admirablement le rapport de réécriture : Dumas fils écrit son livre sur celui de
l'abbé Prévost. Il nous incite d'ailleurs à faire une lecture croisée des deux œuvres
par l'intermédiaire du premier narrateur qui remarque : « Dans ces circonstances
nouvelles, l'espèce de comparaison faite entre elle et Marguerite donnait pour moi
un attrait inattendu à cette lecture, et mon indulgence s'augmenta de pitié, presque
d'amour pour la pauvre fille à l'héritage de laquelle je devais ce volume » 9.
Avant d'aboutir dans une salle des ventes, le roman appartenait à l'histoire
d'Armand et de Marguerite. Or le livre intervient aux moments décisifs de leur
aventure : Armand l'offre à Marguerite lorsqu'il accepte de vivre leur liaison aux
conditions imposées par la jeune femme 10. Marguerite le lit et l'annote lors du
séjour régénérateur à Bougival n. Enfin, Armand le trouve ouvert et le feuillette
quand Marguerite l'abandonne pour obéir à la demande de Duval père 12. Or ces
tournants de l'aventure correspondent, comme nous le verrons, aux moments clés
de la réécriture : les références à Manon Lescaut signalent les inflexions
sucessives que Dumas apporte à son modèle et reçoivent ainsi une véritable
fonction de « régie ».
Ce pacte de réécriture s'enrichit d'un aveu personnel. Convoité par les deux
hommes, le volume devient, en effet, un substitut symbolique et métonymique de
Marguerite. Payé bien au-dessus de sa valeur par le premier narrateur que pousse le
désir mimétique, il rappelle le statut vénal de la courtisane ; on remarque
d'ailleurs que celui-ci l'a placé dans sa chambre à coucher 13. Réclamé par Armand
qui veut « avoir un objet qui vînt d'elle » M, il acquiert le statut de relique destinée
à commémorer la femme amoureuse. Symbole des deux visages de Marguerite, le
livre sert aussi de trait d'union entre les deux hommes dont il révèle, en la
scellant, l'unité profonde : jeunes tous deux, en immédiate sympathie, ils
apparaissent à l'évidence comme les deux faces (fictionnalisées) de l'auteur
dédoublé en écrivain et en amant. Le don de Manon Lescaut, double symbolique
de Marguerite, relie Armand Duval, acteur de l'histoire d'amour, au premier
narrateur, auteur du récit qui nous en est fait : c'est donc grâce au roman de
Prévost qu'Alexandre Dumas 15, l'amant de Marie Duplessis, est devenu l'auteur de
La Dame aux camélias, et, par là, écrivain.
Cette réécriture se greffe sur une lecture, elle-même déjà sélective et
interprétative. Le premier narrateur l'explicite dans un commentaire en forme qui
souligne le pathétique de l'histoire et la vérité de l'héroïne 16. Il glisse de l'œuvre
au personnage féminin avec d'autant plus de facilité qu'il retient le titre Manon
Lescaut, et non celui que Prévost avait choisi intialement 17. Manon, personnage
central, focalise tout l'intérêt, des Grieux se trouvant réduit par une périphrase au
rôle de « l'homme qui l'aimait avec toutes les énergies de l'âme ». Comparée à
Marguerite, Manon se voit qualifiée de « pécheresse » et de « convertie »,
interprétation à forte connotation morale et religieuse, qui accorde, de plus, une
importance aussi grande à la transformation finale de Manon qu'à toutes ses
infidélités antérieures. En privilégiant l'épisode de la mort et de l'ensevelissement
de Manon dans le désert américain, Dumas fils, de plus, choisit de mettre en
lumière la fin tragique du personnage féminin mais aussi la persévérance
amoureuse de son amant. Marguerite, Sapho et les autres. . . 25 Manon,
Cette lecture se situe dans le droit fil des lectures romantiques antérieures : on
y trouve le glissement du roman à l'héroïne, la séduction exercée par Manon sur le
lecteur, la mise en relief de la « conversion » finale, l'intérêt apporté au
dénouement 18. Dumas fils élimine le personnage de Tiberge et évacue ainsi la
dimension métaphysique du roman de Prévost. Le débat sur la grâce et la liberté
humaine, présent en particulier dans certains des entretiens qui opposent des
Grieux et son ami Tiberge, se trouve complètement occulté au profit exclusif de
l'histoire amoureuse.
Il faut, cependant, nuancer le point de vue du premier narrateur, personnage de
fiction lui aussi, en le confrontant aux allusions que les protagonistes de l'histoire
font à Manon Lescaut. Or, ces interprétations implicites révèlent un jugement
plus sévère : Armand et son père critiquent les indélicatesses sociales de des
Grieux dues à la mauvaise influence de Manon sur lui 19 ; quant à Marguerite, elle
pen

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