Maupassant et l argent - article ; n°40 ; vol.13, pg 129-140
12 pages
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Description

Romantisme - Année 1983 - Volume 13 - Numéro 40 - Pages 129-140
12 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1983
Nombre de lectures 74
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Marie-Claire Bancquait
Maupassant et l'argent
In: Romantisme, 1983, n°40. pp. 129-140.
Citer ce document / Cite this document :
Bancquait Marie-Claire. Maupassant et l'argent. In: Romantisme, 1983, n°40. pp. 129-140.
doi : 10.3406/roman.1983.4638
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/roman_0048-8593_1983_num_13_40_4638Marie-Claire BANCQUART
Maupassant et l'argent
— « L'employé lui coupa la parole : « — Ce n'est pas la peine de
gueuler comme ça... » M. Perthuis, un gros homme rouge comme une
crête de coq, demeura suffoqué par la surprise. Duroy reprit : « J'en ai
assez de votre boutique. J'ai débuté ce matin dans le journalisme, où
on me fait une très belle position. J'ai bien l'honneur de vous saluer ».
Et il sortit, il était vengé ». Cette scène qui montre le petit employé
des chemins de fer du Nord quittant son bureau avec fracas, dans Bel-
Ami, était annoncée dans la scène des Bijoux : « Le souvenir de son
ministère lui revint. Il s'y fît conduire, entra délibérément chez
chef et annonça : « Je viens, monsieur, vous donner ma démission.
J'ai fait un héritage de trois cent mille francs. » On sent bien là une
expression fantasmatique d'un désir nourri par Maupassant lui-même
(désir de rupture brusque, d'insolence) impossible à réaliser autrement
que dans l'écriture. Maupassant, employé au Ministère de la Marine
à 1 500 F par an en 1873, à 2 000 F en 1878, passé au Ministère de
l'Instruction Publique en 1879, n'en finit pas si aisément avec sa con
dition : il va de congé en congé jusqu'en 1882, année où il est tout
simplement rayé des cadres. C'est une époque où, selon le témoignage
de Paul Alexis, « il ne parle que d'argent ». Il n'a sans doute pas connu
tout à fait la gêne, étant renfloué par son père quand ses dettes étaient
trop criardes. Mais il a calculé très étroitement sa vie, pendant sept ou
huit ans. Des histoires d'argent ont déjà accompagné la séparation de
ses parents vers 1860 ; la mort de son grand-père, Jules de Maupassant,
en 1875, a suscité dans sa famille de très mesquins débats sur le partage
de la succession. L'argent est une obsession de sa vie, dans ces années
1 883-89 où il rêve la « scène de la vengeance ». Il le demeura : Maupass
ant gère sa carrière d'écrivain comme une affaire. Il vend très cher
ses chroniques, dès qu'il le peut : 125 F la chronique en 1886, un
mois de salaire d'un employé débutant ! Il suscite des concurrences
entre les éditeurs Havard et Charpentier. Il surveille de très près la
vente de ses volumes de contes et de ses romans parus d'abord dans
les journaux : double profit, comme c'était l'usage à cette époque où
un écrivain (grâce aux journaux qui publiaient une ou deux nouvelles
et un feuilleton au moins chaque jour) pouvait vivre de sa plume ;
mais double profit âprement exploité. Il y a du parvenu dans Maupass
ant, qui, dès qu'il le peut, achète un appartement, un bateau, une
ville à Etretat, fait installer l'électricité dans son cabinet de travail de
la rue Montchanin, voyage. Tout cela est connu. Aussi bien n'est-il pas
question d'établir un lien étroitement biographique entre Maupassant et 130 Marie-Claire Bancquart
son œuvre, mais de montrer que la fonction de l'argent dans celle-ci est
à la fois très fondée et immédiatement transposée dans l'imaginaire.
L'argent est un désir. Il ne peut être considéré par Maupassant comme
par un Flaubert, qui n'a pas eu à gagner sa vie. Le médiateur même de
l'argent pour Maupassant, le journal, est soumis aux structures du
capitalisme. La société qu'il fréquente, sportsmen, femmes de banquiers
ou de nobles lancés dans les affaires, est directement en prise sur ce Si bien que Maupassant n'a pas, vis-à-vis de l'argent, le
mépris distancié que professe Flaubert jusqu'aux difficultés qu'il
connaît à la fin de sa vie. convoite, dénonce, méprise
directement. Jamais il ne se transfère par l'imagination dans des épo
ques révolues, Antiquité ou Moyen Age. Son œuvre colle à son temps.
Mais elle est également douée d'une autonomie. L'argent y exerce la
force que tout autre désir exerce chez Maupassant : une force exponenti
elle. « Impossible » par rapport à la réalité bien souvent, en tout cas
elle détermine dans le personnage une sorte de coulure, et le monde
entier devient alors méconnaissable.
Un exemple privilégié de cette double signification est donné par
les contes qui concernent les petits employés, et par le début de Bel-
Ami, qui en met un en scène. Maupassant n'a pas écrit sur eux que
des œuvres relevant de la fiction. Chroniqueur au Gaulois, il s'est en
effet associé à la campagne que Jules Simon, directeur du journal un
bref moment à la place d'Arthur Meyer, menait en faveur de la caté
gorie sociale défavorable qu'ils formaient. Le Gaulois de 1882-1883
comporte beaucoup d'éditoriaux et de témoignages sur la misère
matérielle des employés, des petits fonctionnaires, si mal payés qu'ils
doivent parfois exercer un double métier, et que le mariage signifie
pour eux la misère. Très nombreux (un editorial du 9 mars 1882
estime leur nombre à 500 000 en France) ils ont peu de chance de
promotion ; leur misère matérielle implique une misère morale, car
on exige d'eux, au plus bas niveau, le plus grand manque d'imagination
possible, et, pour avancer, la souplesse et l'humilité. Il est intéressant
de voir Maupassant, dans cette campagne, s'engager par rapport à
Vallès. Il cite l'épigraphe du Bachelier (« A tous ceux qui nourris de
grec et de latin sont morts de faim ») pour considérer la misère de
ceux qui, gagnant en début de carrière 1 500 à 1 800 F par an, sont
augmentés de trois cents francs tous les trois ans jusqu'à un maximum
de 4 000. Un bon maçon gagne 2 500 F par an ; un bon ouvrier spécial
isé, 3 700. Le 16 mars 1883, sous le titre « Le haut et le bas », il
reprend ce parallèle qui définit les ouvriers comme mieux lotis que
les employés ; et, le 19 novembre, il le précise en répondant à Jules
Vallès, qui l'a accusé de ne pas s'occuper de la manière dont les Français
gagnent leur pain («A propos du peuple »). Il vient de visiter Mont-
ceau-les-Mines ; quelque dures que soient les conditions de vie des ou
vriers, il les préfère à celles que connaît un employé à 1 500 F qui tra
vaille toute la journée à la lumière du gaz, alors qu'un mineur, mieux
payé, descend sous terre de 4 h du matin à une heure de l'après-midi.
Décidément donc, la misère des « cols blancs » semble pire à Maupass
ant que celle du « peuple », dont il reproche par ailleurs à Vallès de
se faire une sorte de spécialité littéraire plus pittoresque qu'efficace. Maupassant et l'argent 1 31
Son opinion peut susciter l'attention des historiens attachés à l'étude,
longtemps un peu délaissée, des classes moyennes en France.
Entre 1882 et 1885, Maupassant met en scène, d'autre part, ces
employés, dans des scènes qui, toutes différentes qu'elles soient les
unes des autres, offrent un point commun : c'est que dans leur caste,
l'argent est synonyme d'un besoin vital, et constitue donc un désir
légitimement inscrit dans la chair même des hommes. Dans A Cheval
(14 janvier 1883), le couple de « pauvres gens » est « harcelé par la
misère », « une de ces misères humbles, voilées, honteuses ». Dans
les Bijoux (27 mars 1883), la vie se fait « dure » pour l'employé veuf,
qui « cour(t) après l'argent à la façon des gens réduits aux expédients ».
Dans la Parure (17 février 1884), les détails sont multipliés sur la
« pauvreté » du logement, la « misère des murs », « l'usure des sièges »,
la « nappe de trois jours ». Chacun se rappelle le début de Bel-Ami,
qui montre le héros un 28 juin, trois francs quarante en poche, se
demandant s'il va se passer de deux dîners ou de deux dé

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