Mémoire et apprentissage dans les sociétés avec et sans écriture : la transmission du Bagre - article ; n°1 ; vol.17, pg 29-52
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Description

L'Homme - Année 1977 - Volume 17 - Numéro 1 - Pages 29-52
24 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1977
Nombre de lectures 26
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

Extrait

Jack Goody
Mémoire et apprentissage dans les sociétés avec et sans
écriture : la transmission du Bagre
In: L'Homme, 1977, tome 17 n°1. pp. 29-52.
Citer ce document / Cite this document :
Goody Jack. Mémoire et apprentissage dans les sociétés avec et sans écriture : la transmission du Bagre. In: L'Homme, 1977,
tome 17 n°1. pp. 29-52.
doi : 10.3406/hom.1977.367717
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/hom_0439-4216_1977_num_17_1_367717MÉMOIRE ET APPRENTISSAGE DANS LES SOCIÉTÉS
AVEC ET SANS ÉCRITURE :
LA TRANSMISSION DU BAGRE*
par
JACK GOODY
L'étude du mythe dans les sociétés sans écriture apparaît comme un sujet
fort mystérieux, n'ayant guère de rapport avec des problèmes intellectuels plus
larges, ni même avec ces questions plus fondamentales qui préoccupent parfois
nos pédagogues, psychologues ou sociologues. J'essaierai ici de prouver qu'il n'en
est rien, mais en adoptant une ligne quelque peu différente des tendances anthro
pologiques dominantes dans les études de mythes ; je m'intéresserai au processus
de transmission et donc plus aux structures de remémoration utilisées par les
narrateurs qu'aux structures « profondes » dégagées par les observateurs. Il s'agit
là d'une approche qui est davantage en rapport avec la praxis mais qui, pour
autant, n'en produit pas moins des fruits théoriques ; l'argumentation est en
effet liée aux débats de Parry et Lord sur la transmission orale, aux analyses de
Kramer, Gardiner, Oppenheim et bien d'autres sur les premières cultures écrites
du Proche-Orient, et elle renvoie aux résultats d'études psychologiques qui ne
se confinent pas à l'intérieur d'une seule culture.
Je commencerai par commenter mon travail sur le mythe du Bagre recueilli chez
les LoDagaa, au nord du Ghana ; j'examinerai ensuite quelques-uns des aspects
du processus d'apprentissage dans les cultures orales et écrites ; enfin, je tenterai
de relier cet exposé à certaines théories concernant la mémoire et l'apprentissage.
* Dans cette tentative visant à considérer le Bagre dans un contexte intellectuel d'intérêt
plus général, je tiens à exprimer ma reconnaissance aux nombreuses personnes avec qui j'ai
collaboré et aux organismes qui ont soutenu cette recherche. Je remercie tout d'abord
K. Gandah avec lequel j'ai procédé à la collecte, à la traduction et à l'annotation des diffé
rentes versions du Bagre, et cela pendant de longues années d'un travail difficile et patient.
J'exprime toute ma gratitude à l'École des Hautes Études en Sciences ociales et à la Fondation
Van Leer qui m'ont respectivement accueilli de mars à juin et de juin à septembre 1975.
Je tiens également à remercier Pierre Smith, chargé de recherche au Centre national de
la Recherche scientifique (Paris), pour les conversations que nous avons eues sur la litt
érature orale en Afrique. Du côté de la psychologie, il me faut remercier les collègues de la
Fondation Van Leer, Michael Cole, Robbie Case, David Olsen et W. Rohwer, Jr.
L'Homme, janv.-mars 1977, XVII (z), pp. 29-52. 30 JACK GOODY
La mémoire et le Bagre
La rédaction de la première version m'amena à formuler les observations
suivantes : « On ordonne aux nouveaux initiés de mémoriser ces mythes et on
offre des récompenses à ceux qui y parviennent. Outre le prestige dont il est
auréolé, un récitant se voit attribuer de la nourriture, de la bière et de l'argent.
Lorsque les néophytes deviennent membres de la communauté, on les encourage
à assister à d'autres récitations du Bagre, en dehors de leur lignage et de leur
village, afin d'apprendre à le dire à leur tour. Il est pourtant évident que des
méthodes plus systématiques sont nécessaires pour apprendre une oeuvre d'une
telle ampleur (environ 12 000 ' vers '). En fait, ce type d'instruction existait, mais
essentiellement dans un contexte familial. Benima m'expliqua qu'il avait été le
favori de son grand-père, Napii, qui lui avait appris le Bagre vers par vers. Et
lorsque les fils de Gandaa, le dernier chef de Birifu, rentraient chez eux pour les
vacances, le vieil homme appelait son plus jeune ' frère ', Yinkwo, pour réunir
les garçons dans la hutte et leur faire répéter des fragments entiers vers par vers.
Ensuite, il les questionnait l'un après l'autre pour voir ce qu'ils avaient appris »
(Goody 1972 : 60).
Depuis lors, j'ai recueilli d'autres versions de ce récit qui m'induisirent à modif
ier mon opinion sur le processus d'apprentissage. En un mot, les divergences
entre les versions sont si grandes qu'à supposer que le Bagre fût enseigné selon
les méthodes délibérées que j'évoquai, elles ne pouvaient qu'en manifester l'échec
flagrant. Je ne mets pas en doute les informations qui m'ont été données sur
l'apprentissage du Bagre au sein de la famille. Mais les enseignements de ce type
ont dû être très rares, ainsi que très partiels. Le désir de proposer une version
correcte ou véridique (y il miona) était certes présent mais je n'ai pas réussi à
définir clairement la latitude que tolère la « correction ». A cela les raisons sont
nombreuses. Tout d'abord, compte tenu de la rapidité et du contexte de la narrat
ion, il est difficile de corriger tout ce qui peut paraître « faux ». Ensuite, même
s'il était possible de rectifier, on se trouve devant la difficulté préalable de
reconnaître et de déterminer ce qui peut être « faux ». Enfin, il est concevable que
la répétition exacte n'ait pas ici la même valeur que dans les civilisations qui
connaissent l'écriture et distinguent nécessairement l'acteur et l'auteur (Finnegan
1970).
Mis à part les deux cas que j'ai cités, je n'ai eu connaissance d'aucun autre
exemple de ce genre d'enseignement. En fait, la comparaison des versions du
Bagre suggère que l'apprentissage mot à mot, la mémorisation mécanique,
l'apprentissage par cœur ne jouent guère de rôle dans la transmission du mythe.
Or, s'il n'existe aucun enseignement formel, comment peut-on donc apprendre ?
En grande partie, sinon entièrement, dans le cadre de la narration même, comme
en témoigne la version originale : MÉMOIRE ET APPRENTISSAGE 31
« S'il y a parmi vous
un petit garçon
qui a de l'idée
et va s'asseoir
pour écouter quelqu'un
dire le Bagre,
ce n'est pas pour manger
qu'il faut y aller.
Vous irez là-bas
et vous assoirez
et regarderez
et écouterez
comment on fait
pour le réciter.
Le Bagre
est Un ;
et pourtant
la manière de le conter
varie.
Si vous entendez des gens
réciter le Bagre,
vous emprunterez
leur manière
et un jour,
lorsque vous direz
le Bagre,
vous ferez comme eux.
Lorsque vous réciterez,
vous les imiterez.
Ainsi ferez,
puis saluerez
leurs aînés
et leurs lointains ancêtres.
Vous les saluerez,
saluerez leurs gardiens, leurs autels à la Terre
puis réciterez le Bagre.
Si vous quittez l'endroit
où l'on conte le Bagre,
alors vous irez
dehors
et prierez
sur l'autel de la Terre
et vous en retournerez.
Ainsi vous découvrirez
que vous êtes capables
de parler » (1972 : 186-187). 32 JACK GOODY
Voici ce qui se passe au cours d'une séance : le récitant parle, les auditeurs
écoutent et une ou plusieurs personnes répondent en répétant après lui ses
propres paroles. Pourtant le récitant et les répondants ne reproduisent pas un
modèle original qu'ils auraient appris ; le chœur répète exactement ce que dit
le récitant et il est exclu que ses propos soient mis en question. Car c'est lui qui
détient l'autorité du « siège » qu'il occupe ; ses mots sont le Bagre. Il récite rap
idement et ne peut être interrompu à moins qu'il ne demande à quelqu'un de le
relayer. Il s'ensuit qu'à l'occasion d'une nouvelle récitation du Bagre, un autre
récitant pourra omettre quelque formule, quelque incident relaté par son prédé
cesseur. Mais comme il n'explique pas que ce dernier avait peut-être tort, l'audi
toire se tr

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