Mentalité, tradition et origines du canon musical en France et en Angleterre au XVIIIe siècle - article ; n°4 ; vol.44, pg 849-873

William Weber

Description

Annales. Économies, Sociétés, Civilisations - Année 1989 - Volume 44 - Numéro 4 - Pages 849-873
Mentalite, Tradition, and the Origins of the Musical Canon in Eighteenth-Century France and England.
In the history of music canon denotes a repertory of old works that are immortalized by study or performance. A canon arose in music during the eighteenth century, much later that in the other arts, not on the level of ideas or of a cultural movement common to the arts in general. It grew instead ont of the expansion of the preexisting practice by which works had occasionally been encapsulated within repertories of recent music and associated with the ritual of a particular feast. These works were then mode self-consciously canonic by being thrust up into consciousness by political crisis in the context of social change. This happened in Britain during the deeply troubled times at the turn of the eighteenth century, and in France during the political crisis of the 1750s.
25 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Sujets

• Sociologie, société et politique

Informations

• Publié par: ANNALES_ECONOMIES_SOCIETES_CIVILISATIONS
• Publié le: 01 janvier 1989
• Nombre de lectures: 29
• Langue: Français
• Poids de l'ouvrage: 2 Mo

Extrait

Monsieur William Weber
Mentalité, tradition et origines du canon musical en France et en
Angleterre au XVIIIe siècle
In: Annales. Économies, Sociétés, Civilisations. 44e année, N. 4, 1989. pp. 849-873.
Abstract
Mentalite, Tradition, and the Origins of the Musical Canon in Eighteenth-Century France and England.
In the history of music "canon" denotes a repertory of old works that are immortalized by study or performance. A canon arose in
music during the eighteenth century, much later that in the other arts, not on the level of ideas or of a cultural movement common
to the arts in general. It grew instead ont of the expansion of the preexisting practice by which works had occasionally been
encapsulated within repertories of recent music and associated with the ritual of a particular feast. These works were then mode
self-consciously canonic by being thrust up into consciousness by political crisis in the context of social change. This happened in
Britain during the deeply troubled times at the turn of the eighteenth century, and in France during the political crisis of the 1750s.
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Weber William. Mentalité, tradition et origines du canon musical en France et en Angleterre au XVIIIe siècle. In: Annales.
Économies, Sociétés, Civilisations. 44e année, N. 4, 1989. pp. 849-873.
doi : 10.3406/ahess.1989.283629
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/ahess_0395-2649_1989_num_44_4_283629CULTURE ET SOCI
MENTALITE TRADITION ET ORIGINES DU CANON MUSICAL
EN FRANCE ET EN ANGLETERRE AU XVIIIe SI CLE
WILLIAM WEBER
adjectif classique et expression un classique nous viennent faci
lement aux lèvres La notion de grands artistes est ce point enracinée dans
imagination moderne que les historiens évoquent quasi instinctivement dog
matiquement sans lui donner de valeur historique particulière Née de cultes
romantiques tardifs elle est néanmoins per ue sans connotation temporelle et
comme étant application universelle Les historiens introduisent en contre
bande en quelque sorte dans le passé sans voir un concept historique ou
même un principe philosophique Elle accompagne ailleurs de idée que les
classiques dans quelque domaine des arts que ce soit doivent nécessairement
pouvoir se classer sous les différentes rubriques des belles-lettres est-à-dire
par rapport aux grands mouvements littéraires auxquels ils accrochent
comme un fil Ariane dans leur réflexion sur la culture est ainsi que on
fait découler la canonisation de Haendel de celle de Shakespeare alors il
existe aucune preuve patente que la culture musicale se développait parallèle
ment la culture littéraire Ces suppositions imposent analyse historique une
interprétation rigide qui nous empêche de comprendre les aspects les plus fon
damentaux de évolution des deux arts Nous ne pourrons résoudre le vieux
problème du canon musical en développant des méthodologies pertinentes
pour chacun des arts en soi et par soi
Notre compréhension de ce problème est entravée par des barrières idéologi
ques particulièrement fortes La tradition de la musique classique est née au
xixe siècle et est affirmée comme la plus puissante la plus élevée et finale
ment la plus stable de toutes les traditions qui peuvent lui être comparées dans
les autres arts Les noms de Bach Mozart Beethoven et Brahms évoquent un
sentiment de toute-puissance dont nous trouverions difficilement équivalent
parmi les grands noms de la peinture et de architecture et même de la poésie
ils assument une fonction rituelle et imposent un respect spécial que Picasso ou
Elliot eux-mêmes ne nous inspirent pas Le canon musical est porteur une
charge idéologique infiniment plus lourde que les canons parallèles des autres
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Annales ESC juillet-août 1989 n3 pp 849-873 CULTURE ET SOCIETE
arts il est considéré comme possédant une pureté morale qui le situe au-dessus
des intérêts commerciaux et des préoccupations de la vie quotidienne et toute
personne appartenant la culture occidentale se doit de le révérer même si elle
écoute que rarement de la musique
Pourtant le canon musical est né tardivement plus significativement au
cours du xvme siècle en Angleterre et en France1 Cette naissance tardive
explique par le fait que la musique ne disposait aucun corpus de grandes
uvres héritées de la Grèce antique ou de Rome de plus le problème de la
notation changeante et le caractère éphémère de tout art exécution ont gêné la
formation de traditions de déférence vis-à-vis des grandes uvres Le très
modeste statut intellectuel accordé la pratique musicale tant en ce qui concer
nait la composition que exécution également fait obstacle la formation
un canon La tradition consistant étudier la physique et la métaphysique des
sons remontait certes Antiquité et fourni une sorte de canon écrits
savants sur la musique hautement respectés par les esprits cultivés Mais cette
littérature traitait rarement de la musique ou des musiciens réels et dans
ensemble son discours se situait tout fait en dehors de univers musical ordi
naire il était tenu par des érudits qui avaient pas grand chose voir avec la
musique elle-même
Que la musique ait pas eu de canon des uvres concrètes léguées par
Antiquité est un point que peu auteurs ont abordé dans leurs ouvrages
Tout ce qui pu être dit avant le xvnie siècle sur le statut esthétique de la
musique tendait principalement fabriquer une antiquité musicale On admet
tait que le goût musical était par définition contemporain mais on prétendait
faire des grandes uvres traitant de la science de la métaphysique et du rituel
de la musique un canon musical comparable au corpus de grandes uvres poé
tiques et sculpturales antiques2 Quant aux compositions musicales qui avaient
survécu et il en eut comme nous le savons on ne faisait pas le rapport avec le
canon scientifique ou le canon littéraire elles étaient appréciées non pour leur
grandeur mais pour leur rôle coutumier dans les célébrations religieuses ou
profanes
où obligation où nous nous trouvons de définir la perception de ces
vres non par référence esthétique mais par référence la mentalité Le
terme de mentalité est il va sans dire assez glissant et il été utilisé très diver
sement3 Il sera donc utile ici expliquer pourquoi le passé musical donné lieu
si peu de commentaires et de faire la distinction entre appréciation tradi
tionnelle des uvres anciennes auxquelles on accordait de valeur en tant
que coutume et idée nouvelle de les élever au rang de sublimes modèles artisti
ques on considérait époque il convenait de jouer de la musique récente
et que les uvres du temps présent étaient par définition meilleures que celles
des générations précédentes même si rituellement on continuait en jouer
quelques-unes Cette opinion était re ue comme une donnée une question qui
ne se discutait même pas qui avait pas être défendue et encore moins atta
quée tant elle était ancrée dans idée que se faisait la société de la culture musi
cale
est pourquoi nous ne voyons les auteurs interroger sur absence de
plus canon souvent musical et au être moment appréciée où en la tant musique que collection ancienne de commencé grandes uvres être jouée Par
850 WEBER LES ORIGINES DU CANON MUSICAL
définition quand une mentalité commence se penser elle perd sa nature
même de mentalité et se transforme en une notion peut-être même en une idée
ou une croyance Les premières allusions ce problème ont fait leur apparition
en Angleterre dès le début du xvine siècle et dès les années 1770 les commen
taires sur Vandeni music étaient déjà nombreux les plus notoires étant ceux de
John Hawkins et de Charles Burney dans leurs histoires respectives de la
musique Une réflexion parallèle sur la musique ancienne se développait en
France également la fin du xvine siècle4 est ce processus il nous faut
étudier pour voir comment on effectivement pris conscience que le goût
musical avait pas de canon et comment ce faisant on en créé un
Le dogmatisme du gêné le débat erudii sur son histoire car idéo
logie du canon revendique la pureté absolue et refuse donc admettre il
puisse avoir des racines objectives Se demander pourquoi les grands composi
teurs sont devenus grands est pratiquement ressenti comme une profanation de
leur sainteté morale Les conventions intellectuelles de humanisme tradi
tionnel n