Mixail Vrubel´ et le programme décoratif de l'église Saint-Cyrille à Kiev - article ; n°1 ; vol.75, pg 87-108

Anne Lecanu

Description

Revue des études slaves - Année 2004 - Volume 75 - Numéro 1 - Pages 87-108
22 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Sujets

• Sociologie, société et politique

Informations

• Publié par: REVUE_DES_ETUDES_SLAVES
• Publié le: 01 janvier 2004
• Nombre de lectures: 31
• Langue: Français
• Poids de l'ouvrage: 3 Mo

Extrait

Madame Anne Lecanu
Mixail Vrubel´ et le programme décoratif de l'église Saint-Cyrille
à Kiev
In: Revue des études slaves, Tome 75, fascicule 1, 2004. pp. 87-108.
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Lecanu Anne. Mixail Vrubel´ et le programme décoratif de l'église Saint-Cyrille à Kiev. In: Revue des études slaves, Tome 75,
fascicule 1, 2004. pp. 87-108.
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/slave_0080-2557_2004_num_75_1_6866MIXAIL VRUBEĽ ET LE PROGRAMME DÉCORATIF
DE L'ÉGLISE SAINT-CYRILLE À KIEV
PAR
ANNE LECANU
Nevers
Mixail Vrubeľ devait exécuter en 1884 et 1885 les travaux de restauration
des anciennes fresques de l'église Saint-Cyrille de Kiev, concevant également
pour cet édifice de nouvelles compositions picturales. Cette expérience mit le
peintre en rapport direct avec l'art médiéval byzantin des XIe et XIIe siècles, qui
conditionna la nature même de ses propres sujets. Vrubeľ devint par ce fait l'un
des premiers peintres russes à relier étroitement son étude des anciennes
fresques à la création de ses œuvres personnelles, associant dans le cadre de la
peinture monumentale les modes de représentation de l'art médiéval aux
exigences de la modernité.
Le hiératisme s'allie ainsi chez Vrubeľ aux principes formels du réalisme
et d'individuation de la figure humaine, et il compense l'absence de relief dans
la peinture byzantine par une palette de couleurs vives et contrastées ou, au cont
raire, par une tendance à la monochromie accompagnée d'un traitement expres
sionniste des ombres, jetant ainsi les bases d'un esthétisme renouvelé dans le
cadre de la peinture religieuse. L'étude présente porte donc sur le caractère
expérimental des peintures de Vrubeľ dans l'église Saint-Cyrille, et sur la nature
de leur influence dans l'ordonnancement et le style du programme décoratif de
la cathédrale Saint- Vladimir de Kiev.
GENÈSE DE L'ŒUVRE
CONTEXTE PICTURAL AU DÉBUT DES ANNÉES 1880
Les œuvres religieuses exécutées par les peintres liés au mouvement symb
oliste jouèrent un rôle fondamental dans la transition des arts picturaux en
Russie entre la fin du XIXe et le début du XXe siècle, et de manière particulière
au sein du cercle d'Abramcevo, dirigé par Savva Mamontov — industriel et
Rev. Etud. slaves, Paris, LXXV/1, 2004, p. 87-108. 88 ANNE LECANU
mécène1. Là se côtoyèrent notamment Viktor Vasnecov, Mixail Nesterov et
Mixail Vrubeľ, avant de se consacrer chacun à leurs travaux de décoration res
pectifs. Les recherches menées par le groupe d'artistes réunis autour de Mamon-
tov se focalisaient alors sur la régénération de l'art russe, d'après l'étude des
monuments de la Russie médiévale2. L'histoire légendaire de la Rus' et ses épo
pées servirent également d'éléments d'inspiration dans cette quête d'un retour
aux sources nationales.
L'œuvre commune de ces peintres dans le domaine d'Abramcevo fut la
construction d'une église selon les modèles de l'architecture médiévale russe.
Les dessins préliminaires furent établis par V. Polenov, mais le projet de Vas
necov fut retenu en 1881, d'après le modèle de l'église du Sauveur sur la Nere-
dica de Novgorod (XIIe siècle). Les membres du groupe se joignirent à lui pour
peindre les icônes de l'église selon une même volonté de retour aux sources ic
onographiques russes3. Le travail collectif qui s'ensuivit devait enrichir leurs
expériences respectives liées à l'étude des anciens monuments russes, qui furent
menées lors de leurs voyages en Russie du Nord, et fécondèrent directement
leurs travaux ultérieurs à Kiev ; dans l'église Saint-Cyrille pour Vrubeľ et dans
la cathédrale Saint- Vladimir pour Vasnecov et Nesterov.
DONNÉES HISTORIOGRAPHIQUES DE L'ÉGLISE SAINT CYRILLE
L'église Saint-Cyrille fut fondée au XIIe siècle — vers 1 140 — , en l'hon
neur de saint Cyrille, évêque d'Alexandrie, afin de devenir la nécropole des
princes Olgovič de Černigov. En 1194 le prince Svjatoslav Vsevolodovič —
connu comme un des héros du Dit de la campagne d'Igor — , y fut inhumé.
L'église était construite sur deux niveaux avec trois absides en hémicycle orien
tées à l'est, une coupole centrale — avec un tambour-lanterne elliptique — et
des coupoles secondaires, à tambours octogonaux. L'église fut restaurée une
première fois en 1614, puis en 1889 et en 19044.
En 1860 furent découvertes d'anciennes fresques relatant des épisodes de la
vie du saint. À la fin du siècle, Adrian Praxov5 — qui devait présider la com
mission pour la décoration intérieure de la cathédrale Saint- Vladimir — , avait
entrepris des recherches archéologiques afin de restaurer les anciens édifices
1. Cf. D. Syrov, Савва Иванович Мамонтов и русская художественная куль
тура : к 150-летию со дня рождения (brochure s. d.). Savva Ivanovic Mamontov (1841-
1918) était industriel et financier, sculpteur et chanteur dilettante, mécène et fondateur d'un
opéra privé à Moscou, et propriétaire du domaine d'Abramcevo.
2. Cf. D. Kogan, Мамонтовский кружок, M., Izobrazitel'noe iskusstvo, 1970. Cet
ouvrage traite des recherches picturales menées dans le cercle d'Abramcevo, dans l'objectif
de la restauration d'un art national.
3. L'église devait abriter le tombeau d'Andrej, fils de Mamontov, mort en 1891,
transformant la sacristie en chapelle.
4. Cf. G. Loukomski, l'Architecture religieuse russe du XIe siècle au XVIIe siècle,
Paris, Librairie Ernest Leroux, 1929, p. 28.
5. Cf. P. Čistjakov, Письма, записные книжки, воспоминания 1832-1919, M.,
Iskusstvo, 1953, p. 531. Adrian Victorovič Praxov (1846-1916) était historien d'art, archéo
logue et critique d'art. Il enseigna dans les universités de Saint-Pétersbourg et de Kiev, et
donna des cours d'histoire et de théorie artistiques à l'Académie des beaux-arts de 1875 à
1887. Il participa à la rédaction des revues l'Abeille de 1875 à 1878, et les Trésors artistiques
de la Russie de 1903 à 1907. Il intervint également dans des publications périodiques sous le
pseudonyme de « Profane ». VRUBEĽ ET LE PROGRAMME DÉCORATIF DE ST-CYRILLE À KIEV 89
religieux de Kiev. Le professeur de Vrubeľ à l'Académie des beaux-arts de
Saint-Pétersbourg, P. Čistjakov, recommanda vivement son élève à son ami
Praxov en 18846. Ce dernier invita ai'nsi Vrubeľ à participer à la restauration des
fresques de l'église Saint-Cyrille et de la cathédrale Sainte-Sophie, de même
qu'à y créer de nouvelles compositions picturales.
Saint-Cyrille devait en quelque sorte incarner un modèle de restitution des
sujets orthodoxes traditionnels aux yeux des peintres contemporains de Vrubeľ,
sa construction initiale correspondant à leur période d'étude et d'investigation
favorite. Sa fonction de mausolée pour un héros du Dit de la campagne d'Igor
lui conférait par ailleurs une aura légendaire, inspirant ces peintres qui voulaient
reproduire dans leurs œuvres l'esprit des bylines et de leurs héros mythiques,
incarnant les fondements de la nation russe.
ANALYSE ICONOGRAPHIQUE
LES TRAVAUX DE RESTAURATION
Vrubeľ dessina environ 150 esquisses pour l'église Saint-Cyrille, dont il
exécuta les compositions sans aides7, menées en parallèle avec ses travaux de
restauration dans la cathédrale Sainte-Sophie de Kiev8, pour laquelle il réalisa
trois figures d'archanges dans le tambour de la coupole « à la manière » des
représentations en mosaïque9. Le traitement des anges de Saint-Cyrille paraît
avoir été largement influencé par la restauration de ces trois archanges — peints
à l'huile — , exécutés d'après le modèle d'un ange en mosaïque du XIe siècle,
préservé dans l'édifice10.
Les dessins pour l'église Saint-Cyrille restituaient notamment les représen
tations angéliques, les prophètes et les patriarches de l'Ancien Testament. Les
trois anges nimbés tiennent un globe marqué de la croix et du sceptre (ill. 1 à 3).
Leur disposition frontale revêt un aspect solennel, adouci par leurs traits juvén
iles. Les éléments qui les distinguent sont de nature purement ornementale,
leurs vêtements étant re