Nadar et la Photographie homicide - article ; n°105 ; vol.29, pg 45-56
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Description

Romantisme - Année 1999 - Volume 29 - Numéro 105 - Pages 45-56
Dans Quand j'étais photographe, «Photographie homicide» n'est pas une fiction : Nadar y transpose en 1892 un fait divers de 1882. La raison pour laquelle il s'approprie cette affaire, c'est qu'il a reconnu entre l'assassin et son frère une relation analogue à celle que lui-même entretenait avec Adrien Tournachon : relation de domination fascinatrice qui lui sert de modèle pour comprendre, outre le meurtre, le pouvoir de la photographie entendue comme phénomène de suggestion hypnotique et d'entraînement mimétique dont les effets sur la conscience et sur la foule peuvent ruiner toute justice. Le récit du crime devient chez Nadar un mythe iconoclaste accusant la photographie de violence sacrificielle.
In «Photographie homicide», a section of Quand j'étais photographe, Nadar recounts a crime that occurred ten years earlier, in 1882. In this criminal case involving a murderer and his brother, Nadar reads the script of his own domineering rapport with Adrien Tournachon. Not unlike a murderer, the photographer, through hypnotic suggestion and mimetic representation, tends to mesmerize us, thereby numbing our sense of justice. By recounting a true crime, Nadar denounces the sacrificial violence inherent in his own art.
12 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1999
Nombre de lectures 26
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

M. Jérôme Thélot
Nadar et la Photographie homicide
In: Romantisme, 1999, n°105. pp. 45-56.
Résumé
Dans Quand j'étais photographe, «Photographie homicide» n'est pas une fiction : Nadar y transpose en 1892 un fait divers de
1882. La raison pour laquelle il s'approprie cette affaire, c'est qu'il a reconnu entre l'assassin et son frère une relation analogue à
celle que lui-même entretenait avec Adrien Tournachon : relation de domination fascinatrice qui lui sert de modèle pour
comprendre, outre le meurtre, le pouvoir de la photographie entendue comme phénomène de suggestion hypnotique et
d'entraînement mimétique dont les effets sur la conscience et sur la foule peuvent ruiner toute justice. Le récit du crime devient
chez Nadar un mythe iconoclaste accusant la photographie de violence sacrificielle.
Abstract
In «Photographie homicide», a section of Quand j'étais photographe, Nadar recounts a crime that occurred ten years earlier, in
1882. In this criminal case involving a murderer and his brother, Nadar reads the script of his own domineering rapport with
Adrien Tournachon. Not unlike a murderer, the photographer, through hypnotic suggestion and mimetic representation, tends to
mesmerize us, thereby numbing our sense of justice. By recounting a true crime, Nadar denounces the sacrificial violence
inherent in his own art.
Citer ce document / Cite this document :
Thélot Jérôme. Nadar et la Photographie homicide. In: Romantisme, 1999, n°105. pp. 45-56.
doi : 10.3406/roman.1999.4348
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/roman_0048-8593_1999_num_29_105_4348Jérôme THELOT
Nadar et la Photographie homicide
«Et s'il eût prévu le dernier coup de pied de
cette application, Niépce n'en eût-il pas reculé?»
Nadar, Quand j'étais photographe
Une pensée cohérente, qui cherche dans les champs croisés de la psychologie et de
la sociologie le point d'articulation entre l'image photographique et ses usages poli
tiques, et qui discerne dans la phénoménalité propre à cette image de quoi déterminer
les relations interhumaines, une pensée de plus dans laquelle son auteur est engagé
par ses hantises les plus intimes, c'est ce qu'une lecture prenant au sérieux la
réflexion de Nadar trouve dans son terrible récit : Photographie homicide.
Le pharmacien n 'est jamais là
Premièrement ce texte est le seul, entre ceux de Quand j 'étais photographe, qui
n'est pas un récit de souvenirs, et où Nadar ne se met pas en valeur. Du personnage
principal - un pharmacien qui assassine avec l'aide de son frère et de sa femme
l'amant de celle-ci -, nous lirons tout à l'heure : «Le pharmacien n'est jamais là» '.
De même, par opposition aux autres nouvelles où il exhibe ses rôles, le mythe de
Nadar n'est jamais là. Mais ce retrait du moi mythique n'empêche pas qu'un autre
moi personnel ici se présente, et plusieurs aveux trahissent cette présence d'autant
plus fidèle à soi qu'elle se déguise sous ce héros criminel ainsi désigné : «notre phar
macien errant» (74). Ce texte est même le seul du livre où la mémoire involontaire
est vraiment à l'œuvre.
Deuxièmement, Photographie homicide, malgré des apparences, n'est pas une fic
tion, et ni les personnages ni l'intrigue ne sont de la fantaisie de Nadar : les lecteurs
de l'époque n'ont pu qu'y reconnaître un fait divers célèbre dont journaux et livres les
avaient abreuvés. Nadar n'a rien modifié aux informations des innombrables récits de
«L'Affaire Fenayrou», dont l'horreur particulière fut livrée au public par une presse à
scandale. Le meurtre de Louis Aubert, pharmacien, aggravé de préméditation et de
guet-apens, par les époux Fenayrou aidés du jeune frère Lucien Fenayrou, eut lieu le
18 mai 1882; l'enquête n'ayant identifié que le 7 juin le cadavre repêché dans la
Seine, l'affaire devint sensationnelle à partir de cette date jusqu'au procès qui dura du
9 au 12 août. Mais seul Marin Fenayrou ayant été condamné à la peine capitale, des
journaux se scandalisèrent ensuite de ce que furent accordées des circonstances att
énuantes à son épouse, qui fut condamnée aux travaux forcés à perpétuité, cependant
que le jeune frère n'écopa que de 7 ans de la même peine 2. Trois autres journées
1. Quand j'étais photographe, Seuil, «L'école des lettres», 1994, p. 68. Les numéros des pages figu
reront entre parenthèses.
2. Voir L'Intransigeant, 14 août, p. 1.
ROMANTISME n° 105 (1999-3) 46 Jérôme Thélot
d'audience furent consacrées par la justice à cet assassinat, des pourvois en cassation
ayant été déposés, d'où il sortit que Marin et Gabrielle Fenayrou furent condamnés le
14 octobre 1882 aux travaux forcés, et que le frère Lucien fut acquitté. Ensuite l'affaire
ne disparaît des colonnes des journaux que pour entrer dans les plaquettes et les
livres, dont il est certain que Nadar eut quelques-uns sous les yeux quand il écrivit
son texte en 1892. Et les images ne manquèrent pas, dans Le Journal illustré, dans
L'Illustration, qui représentèrent les visages des prévenus, les scènes de l'assassinat,
la salle d'audience, et la foule amassée sur les gradins pressant de son avidité les cou
pables3. Non seulement Nadar n'a rien inventé mais il savait que ses lecteurs, ceux de
1892 dans Paris-Photographe, et ceux encore de la réimpression en volume en 1900,
connaissaient parfaitement cette affaire.
Comment donc expliquer qu'il dissimule jusqu'à la dernière page exclusivement le
nom des personnes, celles-ci devenant ainsi des figures de fiction ; pourquoi ne fait-il
aucune allusion à l'événementialité des épisodes et ne renvoie-t-il jamais à l'horizon
de connaissance partagée avec ses lecteurs? Comment comprendre qu'il insère ce
texte dans la rubrique «Variétés» de Paris-Photographe, et qu'il le range sous le titre
habituel de ses récits dans cette revue : «Souvenirs d'un atelier de photographie»,
puisqu'il ne s'y agit ni de ses souvenirs ni de son atelier? Enfin comment en vient-il à
ne rien modifier de cette affaire et pourtant à en produire, avec ces effets de demi-fict
ion, une interprétation absolument médite, et la plus riche d'enseignements qui soit?
Le pharmacien n'est jamais là : pourquoi Nadar s'est-il à ce point intéressé à l'affaire
Fenayrou qu'il lui fallut se l'approprier? Une part de la réponse tient dans l'aveu que
ce est un représentant symbolique du photographe. Un pharmacien est un
médecin manqué non pas seulement comme le fut Nadar qui abandonna ses études de
médecine, mais comme tout photographe - autre topos - est un peintre manqué. Pho
tographie homicide y insiste : Fenayrou, que ses parents rêvaient de voir médecin,
«s'est rabattu sur la pharmacie et il a été reçu tout juste» (70). Nadar a cette idée que
tout pharmacien connaît tôt les dédains de rivaux plus chanceux, et il reconnaît dans
cette misère affective pesant sur Fenayrou celle qui a pesé sur nombre de peintres
maladroits que le refuge dans la photographie n'a pas toujours sauvés du mépris
d'eux-mêmes. Or un peintre, exemplairement, qui s'éprouva comme raté, et que
même la solution de la photographie n'a pas sorti de ses humiliations, ce fut son
frère : Adrien Tournachon, dont il va falloir beaucoup parler.
Mais d'autre part le pharmacien manipule potions et drogues dans son laboratoire,
et peut à son gré guérir le monde ou l'empoisonner. Nadar ne manque pas une occa
sion de nommer «laboratoire» l'atelier du photographe, comme il désigne celui-ci du
nom de «confrère», ou de «praticien». C'est que l'analogie est grande entre les deux
commerces. Ici comme là l'épouse attend la clientèle, et l'« opération» du photo
graphe est aussi indécidable que celle du pharmacien : une image flatteuse peut en
sortir autant qu'une navrante, si bien que cet «opérateur» un peu sorcier des temps
modernes sera tantôt béni tantôt maudit. C'est donc la photographie elle-même qui
pour Nadar semble une sorte de pharmacie, parce qu'elle est ambivalente. La possibil
ité de la photographie comme celle de la pharmacie semble c

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