Nerval et le langage des oiseaux - article ; n°45 ; vol.14, pg 43-56
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Description

Romantisme - Année 1984 - Volume 14 - Numéro 45 - Pages 43-56
14 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1984
Nombre de lectures 29
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Jacques Buenzod
Nerval et le langage des oiseaux
In: Romantisme, 1984, n°45. pp. 43-56.
Citer ce document / Cite this document :
Buenzod Jacques. Nerval et le langage des oiseaux. In: Romantisme, 1984, n°45. pp. 43-56.
doi : 10.3406/roman.1984.4701
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/roman_0048-8593_1984_num_14_45_4701Jacques BUENZOD
Nerval et le langage des oiseaux*
L'étude du bestiaire nervalien — que Léon Cellier appelait naguère
de ses vœux — reste à faire. A qui l'entreprendrait, le thème ornitholo-
gique apparaîtrait vite comme occupant une place prépondérante. La
femme-oiseau, l'oiseau en cage, l'oiseau sacrifié, l'oiseau cathartique
(que l'on songe au perroquet de Pandora !), la présence insistante du
corbeau, du coq et surtout du cygne, véritable hiéroglyphe du poète,—
autant de facettes d'un thème polymorphe dont la valeur symbolique
est plus qu'évidente.
Voyageur ailé dont la substance légère semble seule capable de s'a
rracher aux lois de la pesanteur, réalité tout à la fois sensible et spiri
tuelle, l'oiseau constitue assurément, chez Nerval, l'une des images les
plus adéquates de cette transparence céleste à laquelle il n'a jamais ces
sé d'aspirer. Tel le pêcheur Yousouf de YHistoire du Calife Hakem, il
s'imagine volontiers s'élançant vers les cieux, entraîné dans les espaces
« à travers les astres tourbillonnants et les atmosphères blanchies d'une
semence d'étoiles ». Vivante allégorie de la liberté affranchie des con
tingences terrestres, messager des dieux (et, comme tel, possédant un
langage qu'il s'agit de déchiffrer), l'oiseau devient ici un scheme quasi
ment obsessionnel. Ce que Gérard aime en lui, c'est son impondérabili-
té, son surgissement gracieux d'insaisissable flamme vivante, c'est aussi
son mystère, son evanescence.
Laissant toutefois de côté ces diverses valeurs symboliques, nous a
imerions, dans ce bref article, nous limiter au seul problème du « langa
ge des oiseaux », problème d'autant plus important qu'il débouche sur
une aporie qui troubla Nerval tout au long de son existence, — la rela
tion profonde du sens et des signes, la communication.
Fasciné par les doctrines boehmo-martinistes de la connaissance et
de la « réintégration » dans l'Unité harmonieuse et originelle, hanté par
l'idée que l'homme parviendra sans doute quelque jour à édifier un
« vaste et solide édifice [...], Babel où chacun parle la même langue,
noble et prompte, où rien n'est confondu », il n'est pas douteux que
Nerval rêva, sa vie durant, à un code ultime de communication, capable
(*) Les citations in extenso de Nerval sont faites d'après le tome I (éd. 1966) et II
(éd. 1961) de la Pléiade, désignés ici par I et II suivis d'une indication de page. OC
renvoie aux « Oeuvres complémentaires », réunies et éditées par Jean Richer
(Minard, 6 vol.). Sauf indication contraire, c'est nous qui soulignons. 44 Jacques Buenzod
d'abolir barrières et interdits, langage spirituel d'innocence et de diapha-
néité, où les mots mêmes, devenus dérisoires, ne sont plus nécessaires,
toutes choses se comprenant et se rassemblant par intuition. Comme le
dit Michel Jeanneret dans un remarquable essai (1), « ce que le sujet as
pire à reconstituer, ça n'est pas seulement le sens, mais le véhicule idéal
du sens, le langage sacré d'avant Babel, où coïncidaient le signe et sa s
ignification, où s'identifiaient le mot et la chose ». Ainsi se constituent
peu à peu en instruments de connaissance, les signes (déchiffrés), les
messages (décryptés), — expérience fondamentale à' Aurélia :
« Du moment où je fus assuré de ce point que j'étais soumis aux épreuves de
l'initiation sacrée, une force invincible entra dans mon esprit. Je méjugeais un
héros sous le regard des dieux ; toute la nature prenait des aspects nouveaux,
et des voix secrètes sortaient de la plante, de l'arbre, des animaux, des plus
humbles insectes, pour m'avertir et m'encourager ». (1, 403).
Voix secrètes, « phrases mystérieuses où vibr[e] l'écho des mondes
disparus », n'est-ce pas là ce que Nerval appelle ailleurs « la recherche
de la lettre perdue et du signe effacé » (2), la recomposition de la gam
me dissonante qui permet au poète (à l'homme de Parole) de « repren
dre force dans le monde des esprits » ? Vieux rêve, assurément, issu de
la Gnose et de l'hermétisme antique :
« Mercure, comme je le disais plus haut, marche depuis longtemps dans les
voies de l'harmonie sociétaire ; c'est lui qui nous apprendra l'alphabet de la
langue unitaire et harmonique ». (1, 533).
Cette langue intemporelle, cet « alphabet magique », c'est dans la
totalité du monde vivant et divin que Nerval les pressent, et singulièr
ement dans le des oiseaux, dont une très antique tradition veut
qu'ils aient été, in illo tempore, Maîtres du Monde et Seigneurs de la
Terre (on se souvient qu'Aristophane écrivait déjà dans ses Oiseaux :
« Vous êtes plus anciens et d'origine plus reculée que Kronos et les Ti
tans », et plus loin : «Que ce n'étaient pas les dieux qui commandaient
aux hommes jadis, mais les oiseaux, il est de cela bien des preuves »).
(1) La Lettre perdue, Paris, Flammarion, 1978.
(2) « La parole perdue n'était autre chose, pour les premiers Rose-Croix, que cette
parole magique dont on croyait que Salomon avait été possesseur. Nous avons don
né à cette parole une plus haute dérivation et une interprétation plus philosophi
que » (Ragon : Cours philosophique et interprétatif des initiations anciennes et mod
ernes, Paris, 1841). Cf. le Dictionnaire des Symboles (Paris, Laffont, 1969) :
« Symbole de la volonté créatrice de Dieu, la parole est simultanément celui de la
Révélation primordiale [...]. La quête souvent évoquée de la Parole perdue est celle
de la Révélation première. Le symbolisme de la langue primordiale en est un autre
synonyme. Selon la tradition musulmane, il s'agit de la langue syriaque, ou solaire,
expression transparente de la lumière reçue dans le centre spirituel primordial. Il
est significatif que la langue paradisiaque ait été comprise des animaux. L'introduc
tion chamanique au langage des animaux est, à l'inverse, un symbole du retour à
l'état édénique. Plus précisément encore, cette langue est parfois celle des oiseaux ;
or, la langue des oiseaux est une langue céleste ou angélique — symboliquement ana
logue à la langue syriaque - et qui ne peut être perçue que par l'atteinte de certains
états spirituels ». et le langage des oiseaux 45 Nerval
Tel ce personnage des Nuits d'octobre qui « s'arrêtera une heure à la
porte d'un marchand d'oiseaux, cherchant à comprendre leur langage »,
Gérard ne cesse de moduler ce thème :
« Mais, à y bien penser, l'intelligence des animaux est quelquefois si inexplica
ble ! Descartes ne veut voir en eux que des machines ; le père Bougeant croit
qu'ils sont des diables ; Helvétius, d'après Anaxagore, pense que leur forme
seule les empêche de faire tout ce que font les hommes, et Dupont de Nemours
leur accorde non seulement la raison, mais la parole.
Ce dernier a eu, comme on sait, la patience de noter et d'écrire le langage des
divers animaux. C'est une série de dictionnaires fort curieux. D'après cet au
teur, l'homme serait même inférieur jusqu'ici, dans ce sens que l'animal le com
prend et que lui ne comprend pas l'animal » . (OC II, 660).
Rêverie typiquement nervalienne donc, liée à tout un contexte py
thagoricien et plotinien, mais aussi illuministe et surtout martiniste (3),
que celle d'une langue naturelle, idiome sacré reflétant l'homogénéité
de l'Age d'Or (le « langage adamique » selon Jacob Boehme) auquel
participeraient la totalité des êtres et des choses, l'esprit et la matière.
Ainsi voyons-nous, dans Le Prince des Sots, le jeune Aubert Le Flamenc
à la campagne, prêter l'oreille à la grande rumeur panique :
« Sa véritable patrie fut dans les clairières isolées où sur les brandes solitaires,
il peupla l

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