Passion et pouvoir. Lespinasse et Diderot dans leurs lettres d amour - article ; n°1 ; vol.20, pg 7-20
15 pages
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Description

Recherches sur Diderot et sur l'Encyclopédie - Année 1996 - Volume 20 - Numéro 1 - Pages 7-20
Jürgen Siess : Passion and Power. Lespinasse and Diderot in their love letters.
Although the love letters of Julie de Lespinasse and Diderot are private, one can nevertheless see in the way the two write about love the implicit power relations which come from sexual difference. Diderot, inspired by the myth of the androgyn, dreams of unity between male and female, but he is not ready to question his position as an active dominant man. Julie, on the other hand, prefers a passion which involves the whole being, while still wishing for equality between the sexes. The reasons for this difference are linked to the social status of the two writers, for the hostess of a salon does not have the same independence as an established author and his inequality seems to be associated with sexual difference. Correspondence is here seen as a space in which reflection on the link between private and public relationships can be carried on.
14 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1996
Nombre de lectures 75
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Jürgen Siess
Passion et pouvoir. Lespinasse et Diderot dans leurs lettres
d'amour
In: Recherches sur Diderot et sur l'Encyclopédie, numéro 20, 1996. pp. 7-20.
Abstract
Jürgen Siess : Passion and Power. Lespinasse and Diderot in their love letters.
Although the love letters of Julie de Lespinasse and Diderot are private, one can nevertheless see in the way the two write about
love the implicit power relations which come from sexual difference. Diderot, inspired by the myth of the androgyn, dreams of
unity between male and female, but he is not ready to question his position as an active dominant man. Julie, on the other hand,
prefers a passion which involves the whole being, while still wishing for equality between the sexes. The reasons for this
difference are linked to the social status of the two writers, for the hostess of a salon does not have the same independence as
an established author and his inequality seems to be associated with sexual difference. Correspondence is here seen as a space
in which reflection on the link between private and public relationships can be carried on.
Citer ce document / Cite this document :
Siess Jürgen. Passion et pouvoir. Lespinasse et Diderot dans leurs lettres d'amour. In: Recherches sur Diderot et sur
l'Encyclopédie, numéro 20, 1996. pp. 7-20.
doi : 10.3406/rde.1996.1319
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rde_0769-0886_1996_num_20_1_1319Jurgen SIESS
Passion et pouvoir
Lespinasse et Diderot
dans leurs lettres d'amour
de Diderot réflexions Dans abordent leurs générales, correspondances la question mais du de masculin leurs amoureuses, sentiments et du Julie féminin propres. de Lespinasse en Ces partant, deux et non correDenis pas
spondances offrent de nombreuses affinités, en dépit des divergences dues à
la différence des sexes et à la personnalité des deux épistoliers. Dans les
deux cas la relation Je- Vous prend pour cadre de référence un ensemble de
rapports privés; l'individu écrivant se situe dans une relation intime qu'il
désire préserver. Au départ, les amants semblent donc s'enfermer dans un
espace clos d'où serait autant que possible exclue la société. C'est que
depuis le xvne siècle la lettre a permis «la progressive constitution d'un
espace de l'intimité où l'individu [a] la possibilité d'exprimer ses pensées
autant que ses sentiments [...] » (Bossis 1994, 10).
Pourtant la hiérarchie et les règles selon lesquelles fonctionne et évo
lue la société sont présentes dans l'imaginaire des épistoliers. Dans le dis
cours amoureux transparaissent des rapports de force qui renvoient à la dif
férence des sexes et aux jeux de pouvoir qu'elle implique, en d'autres
termes : à des questions telles que Qui domine, qui distribue les positions,
qui est dépendant, qui réclame une position autre que la sienne propre ? Le
caractère implicite de ces rapports de pouvoir tient à la scène sur laquelle
ils se jouent: scène de la conscience, mais aussi des émotions, de la
psyché. Ils apparaissent dans les lettres de Lespinasse et de Diderot comme
la transposition au domaine privé de relations situées dans le domaine
public.
Je m'intéresserai aux différences qu'on peut relever entre Lespinasse
et Diderot dans cette transposition du public au privé, et j'examinerai quelle
Recherches sur Diderot et sur ['Encyclopédie, 20, avril 1996 8 JURGEN SIESS
attitude ils adoptent l'un et l'autre face aux relations amoureuses et aux
positions de pouvoir.
Avant d'aborder cette étude, il faut rappeler la vision que les deux
épistoliers ont de l'amour et des sentiments. J'en évoquerai trois aspects :
l'importance de la présence de l'autre ; l'amour passion face à la sensibilité ;
la relation de la raison au sentiment et au corps.
1.1
Se situant dans la tradition du discours amoureux, les épistoliers ima
ginent la présence de l'autre. Diderot écrit à Sophie Volland : «J'ai les yeux
faibles; la tête fatiguée; j'écris sans trop savoir ce que j'écris. [...] Je ne
saurais vous quitter, tant qu'il me reste un quart d'heure et que je suis à côté
de vous, ou tant qu'il me reste une ligne de papier blanc et que je vous
écris» (21 novembre 1760). Il considère que l'acte d'écrire est dépendant
de la présence de l'autre, qu'elle soit réelle ou imaginée. Julie de
Lespinasse, écrivant au comte de Guibert, se complaît au souvenir de sa
première rencontre avec lui : « C'est alors que je vous ai vu ; c'est alors que
vous avez ranimé mon âme [...] » (15 mai 1773).
La présence de l'autre est créatrice au prix d'être envoûtante : « Votre
présence a un tel empire, une telle force, qu'elle me donne une existence
nouvelle, et ne me laisse pas même le souvenir de celle que j'avais avant
que de vous voir» ([Juillet] 1774, lettre 38). Mais elle peut être à double
tranchant: «Je sais que votre absence me pèse, et je ne saurais [me]
répondre que votre présence [me] fît du bien [...] » (1er juillet 1773, lettre
9). Dans l'évocation réitérée de l'absent s'exprime l'attente au sens fort du
terme. Dès 1773 Julie écrit à Guibert: «Je ne voudrais pas vivre, si je ne
devais vous voir et vous aimer tous les moments de ma vie » (déc. 1773 ou
janv. 1774, lettre 23). L'épistolière est tendue vers le face à face à venir,
celui où « [...] au bout d'un quart d'heure de votre présence, je reste seule
avec vous dans l'univers» (fin 1775, 177). Et Diderot anticipe le moment
de la rencontre à venir, lorsqu'il appelle l'amante: «Venez, mon amie;
venez que je vous embrasse. Venez, et que tous vos instants et tous les
miens soient marqués par notre tendresse ; que votre pendule et la mienne
battent toujours la minute où je vous aime » (18 octobre 1760). Son désir
est tendu vers une présence continue.
Cependant la réalisation de cette présence dépend de la société
ambiante qui semble hostile à la relation exclusive des amants : « Vous ravir
à tout l'univers , vous transporter dans quelque recoin du monde où je puis
se vous voir, vous entendre, vous aimer, vous adorer [...], être tout entier à
vous, voilà la vision qui ne me quitte point» (24 octobre 1762). La concept
ion de la communication chez Diderot et Lespinasse est semblable : tous
deux imaginent la plus grande proximité entre les amants. La présence
absolue est un fantasme, une chimère, certes, mais elle n'empêche pas la PASSION ET POUVOIR 9
demande d'une symétrie amoureuse, d'une reconnaissance réciproque des
partenaires.
Lespinasse insiste cependant davantage que Diderot sur la mise à dis
tance des autres. Ainsi elle rappelle sa différence avec les femmes raison
nables — raison équivaut ici à futilité et manque de cœur :«[...] car vous
me le dites: si j'avais été calme, raisonnable, froide, rien de tout cela ne
serait arrivé. Je végéterais avec toutes les femmes qui jouent de l'éventail,
en causant du jugement de M. de Morangiès, et de l'entrée de madame la
comtesse de Provence à Paris» (6 septembre 1773, 17). «Hélas! c'est
qu'ils [les gens raisonnables] n'aiment rien; c'est qu'ils ne vivent que de
vanité et d'ambition, et moi je ne vis plus que pour aimer» (22 août 1773,
16). Lespinasse prend ici en compte le rapport qu'entretient l'individu avec
la société bien plus que ne le fait Diderot.
1.2
S'il y a (comme Sainte-Beuve déjà l'a observé) drame déchirant chez
Julie de Lespinasse, si un ton tragique résonne dans ses lettres, ce ton est
surtout d'inspiration pascalienne. Elle emprunte à Pascal non seulement la
forme du paradoxe, mais aussi certains thèmes, notamment ceux du pari et
du tragique, pour les appliquer à l'amour passion. L'épistolière trouve ici
des accents guère entendus jusqu'alors dans les correspondances: «Je me
sens capable de tout, excepté de plier» (14 juillet 1773, lettre 10). —
« Songez donc que je sais souffrir et mourir [comme je sais aimer] » (24
juin 1773, 8). Elle fait un pari sur l'amour passion, et la possibilité de l'i
ssue tragique lui semble être donnée avec le moment même de la connais
sance de l'autre. Le 25 juillet 1773 elle écrit à Guibert parti pour un long
voyage en Prusse et en Autriche: «[...] les Indes ne sont pas

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