Pour en finir avec le contrat social  - article ; n°1 ; vol.68, pg 59-73
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Description

Autres Temps. Cahiers d'éthique sociale et politique - Année 2000 - Volume 68 - Numéro 1 - Pages 59-73
15 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 2000
Nombre de lectures 12
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Philippe Soulier
Pour en finir avec le contrat social
In: Autres Temps. Cahiers d'éthique sociale et politique. N°68, 2000. pp. 59-73.
Citer ce document / Cite this document :
Soulier Philippe. Pour en finir avec le contrat social . In: Autres Temps. Cahiers d'éthique sociale et politique. N°68, 2000. pp.
59-73.
doi : 10.3406/chris.2000.2236
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/chris_0753-2776_2000_num_68_1_2236OUVERTURES
Pour en finir avec le « contrat social »
A propos du livre de Ch. Lazzeri :
« Droit, Pouvoir et Liberté »
Philippe Soulier *
La multiplication des scandales politiques, économiques et financiers
aux niveaux les plus élevés de l'État peut conduire à des réactions ou des
interprétations très divergentes, voire contraires. L'attitude la plus som
maire consiste dans le rejet populiste du politique et l'appel à un net
toyage musclé : « ils » sont tous pourris, l'État est gangrené. Ce rejet de
l'État au nom de la société civile (ou du peuple) peut aussi bien emprunt
er le langage du redressement national que celui d'une démocratie plus
libérale. Politique de liquidation ou liquidation du politique ? La diffé
rence est ténue. Ces discours mobilisent de puissants affects : envie, peur,
haine, désespoir, ambition.
L'autre réaction fait appel à la raison et refuse de faire reposer sur les
institutions mêmes le poids de la corruption. Elle se soucie de séparer le
bon grain de l'ivraie : on imputera les responsabilités au manque de scru
pules de certains individus fautifs (mais « il faut laisser la justice faire
son travail »). On fera appel à la conscience et à la probité de représent
ants politiques exemplaires pour y remédier. On considérera aussi que la
reconstitution du tissu social déchiré par l'économie passe par une prise
de conscience civique chez les individus, grâce à une éducation éthique et
juridique appropriée. L'École aurait alors pour mission de faire comp
rendre la nécessité du respect des clauses du fameux « contrat social ».
Une telle moralisation du politique maintiendrait son autonomie face aux
pressions de la société civile, et permettrait en retour à celle-ci de se
* Philippe Soulier est agrégé de philosophie, professeur au lycée Atlantique de Luçon.
59 Philippe Soulier
prendre en charge (ce sera donc aux travailleurs eux-mêmes, non à l'État,
de faire valoir leurs droits élémentaires lors d'un conflit social. Si la
misère est trop criante, ce sera aux citoyens, non à l'État, d'assumer le
devoir de fraternité par des actes de charité individuelle). Entre la société
et l'État, un rempart, une digue : le droit, miraculeuse panacée assurant le
triomphe de la raison sur les passions.
On l'aura compris, la fuite dans l'éthique et la religion du droit trahit
une dépolitisation de la société et contribue à l'accentuer. La seconde
conception est le pendant de la première : le remède à la corruption subjec
tive des individus serait une saine moralité, tout aussi subjective, chez les
élus et les citoyens. Le résultat, c'est la coupure entre gouvernants et gou
vernés. L'« autonomie » du politique ne désigne que son extériorité aux
individus réels. La fracture sociale est ainsi creusée par ceux-mêmes qui en
font, selon des modalités diverses, leur thème électoral de prédilection.
Or, une troisième attitude reste possible : ne pas se contenter d'attr
ibuer aux seuls individus « défaillants » la responsabilité du malaise inst
itutionnel ambiant, et reconnaître que si les défaillances apparaissent
d'abord comme des faits individuels subjectifs, elles n'en sont pas moins
rendues objectivement possibles par certaines carences liées à la nature
même des dispositifs institutionnels actuels. Il ne s'agit pas de confondre
le symptôme et le mal, comme dans la seconde conception, mais pas non
plus d'amputer le membre ni de tuer l'organisme en prétendant le soi
gner, comme dans la première.
Ainsi, la question que les « affaires » du jour conduisent à poser
dépasse l'actualité immédiate : comment construire une théorie politique
qui ne soit pas fondée sur l'autonomie de la sphère politique, elle-même
réduite à un ensemble de rapports juridiques suspendus à l'obligation
rationnellement fondée d'un sujet de droit ?
Si le livre de Ch. Lazzeri ' y apporte une réponse réellement réfléchie,
c'est qu'il passe par un apparent détour qui s'installe en réalité au cœur
du problème. À travers la confrontation des philosophies de Hobbes et de
Spinoza, il interroge la manière dont les démocraties européennes pour
raient renouveler la compréhension de leurs propres fondements. Mais
pour cela, il faut comprendre le lien entre la théorie politique et l'anthro
pologie qui la soutient : c'est d'abord du rapport en l'homme entre la
raison et les passions qu'il est question.
Raison et passions
L'anthropologie de Hobbes est fondée sur la physiologie et la phy
sique qui distinguent deux mouvements principaux : le mouvement vital
60 en finir avec le « contrat social » Pour
qui assure la conservation de soi grâce à la circulation du sang et le mou
vement animal ou « volontaire » qui garantit la connexion du mouvement
vital au monde extérieur, s'opposant à ce qui lui fait obstacle ; c'est le
conatus, l'effort lié à la production de sensations ou phantasmes de
l'objet. La source de la valeur de toute chose réside dans le mouvement
vital en tant qu'il est aidé ou entravé : le désir a d'abord pour objets
l'intégrité corporelle, la santé et la longévité ; le conatus n'est qu'un
moyen au service de la conservation de l'existence. La reproduction du
mouvement vital est la cause finale du mouvement animal et de ses
efforts. La définition des passions prend alors la forme d'un calcul ou
d'une opération d'addition : l'espoir est l'appétit ajouté à l'opinion qu'on
atteindra son objet, la crainte est l'aversion ajoutée à l'opinion d'un dom
mage causé par l'objet. Les passions fondamentales de l'espoir et de la
crainte sont engendrées par la représentation des maux à venir. La raison
se comprend dans son usage instrumental à l'égard de l'utile, et les
conditions mêmes du calcul prudentiel orientent constamment les
hommes vers l'avenir.
Selon Spinoza, au contraire, la question n'est pas seulement de savoir
si tous les hommes s'efforcent de conserver leur être, mais quel est cet
être qu'ils s'efforcent de conserver.
Vivre, pour l'individu, n'est pas affirmer sa seule existence, mais
aussi la puissance de son essence, celle du corps et celle de l'esprit (par la
connaissance). Dès lors, l'anthropologie ne requiert pas seulement un
fondement physique mais aussi une métaphysique. L'effort du désir n'est
plus comme chez Hobbes moyen au service d'une cause finale (conserver
la vie, continuer d'exister), mais plutôt cause efficiente des effets qui en
découlent : c'est l'effort d'une essence pour rejoindre son être optimal à
partir de toutes les modifications qui l'affectent dès lors qu'elles empêc
hent ou favorisent cette puissance. Connaître par la raison n'est donc pas
connaître pour une autre raison que la connaissance (conserver en der
nière instance le mouvement vital) mais c'est affirmer notre essence pour
elle-même. Les hommes ne vivent pas constamment tournés vers le futur
et plus ils sont passionnés, moins ils possèdent d'idées de vérités néces
saires concernant leur nature et l'avènement des choses, et plus ils vivent
dans le présent.
La logique des conflits
Pour Hobbes, le pouvoir d'un homme tient à ses moyens présents
propres à obtenir quelque bien futur ; moyens les plus avantageux pour la
61 Philippe Soulier
reproduction de sa conservation de soi. Mais pour rendre à jamais sûre la
route du désir futur, on crée des pouvoirs artificiels ou « instrumentaux ».
Pour accroître ses propres pouvoirs, un des moyens essentiels est la répu
tation : « la réputation de posséder un pouvoir est un pouvoir car on
s'attache grâce à elle ceux qui

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