Premier troc, double illusion - article ; n°1 ; vol.13, pg 10-22
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Description

L'Homme - Année 1973 - Volume 13 - Numéro 1 - Pages 10-22
13 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1973
Nombre de lectures 26
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Daniel De Coppet
Premier troc, double illusion
In: L'Homme, 1973, tome 13 n°1-2. pp. 10-22.
Citer ce document / Cite this document :
Coppet Daniel De. Premier troc, double illusion. In: L'Homme, 1973, tome 13 n°1-2. pp. 10-22.
doi : 10.3406/hom.1973.367325
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/hom_0439-4216_1973_num_13_1_367325AO
PREMIER TROC, DOUBLE ILLUSION
par
DANIEL DE COPPET
En hommage au professeur
André Leroi-Gourhan
Les pages qui vont suivre sont extraites d'un livre à paraître sur la confrontation
entre les Blancs et les Mélanésiens, vue et racontée par le peuple 'Are' are de l'île de
Malaita. L' anthropologue veut surtout donner au Mélanésien la parole, puisque
c'est elle que Von a voulu taire. La connaissance ethnographique est ici complémentaire
de cette traduction, car elle permet d'atteindre une réalité qui reste cachée à l'historien :
celle des symboles et le sens de leur manipulation.
La mer malade des voiles blanches
La flèche qui vient droit sur vous fait un point tout noir et c'est le signal
qu'il faut bouger de là pour l'esquiver. Le dessin du point noir est propre, net
et direct. De même sur la mer, la pirogue, vue du rivage ou d'une autre pirogue,
fait une tache noire. Si la tache est ponctuelle, c'est qu'elle vient droit sur vous
avec son message direct, nouvelle de guerre ou de paix, toujours impressionnante
comme un événement qui va frapper.
En contraste avec le noir pointu de l'attaque, il y a des menaces vagues qui
errent dans le ciel, ce sont les nuages, ces maladies blanchâtres d'où viennent,
furtives, les plus terribles épidémies. La blancheur, ce n'est pas la mort au combat,
mais une traîtrise floue, toujours suspendue. C'est la pluie blanche dans le soleil :
elle dissimule un ancêtre malveillant à la recherche de sa proie. Les traînées de
nuages cachent des esprits malheureux et des gestes terribles qui frappent sour
noisement, de côté ou par derrière.
Un jour les Mélanésiens voient sur la mer des boursouflures blanches qui
passent près des côtes, comme une menace de maladie nouvelle. Ce sont les voiles TROC, DOUBLE ILLUSION II PREMIER
des navires armés par les puissances européennes. Ces monstres flottants se
gonflent au gré du vent comme des nuages. S'ils viennent plus près, on y distingue
des êtres à la peau blanche qui s'affairent en tous sens ; ils cherchent surtout
de l'eau. Qui sont-ils ? Des vivants ? des morts ? des ancêtres ? ou, pire encore,
une troupe d'assassinés assoiffés de vengeance ? Leur parole ne nous parle pas.
Et si on les provoque au combat à l'arc, ils ne répondent pas par des flèches
noires, mais par un petit nuage de fumée blanche qui fait un bruit sec en s'échap-
pant de leurs armes. Du petit nuage part un coup qui frappe et tue à distance,
sans qu'on le voie venir.
C'est là le souvenir laissé par l'irruption des Blancs dans la mémoire des
Mélanésiens et transmis de génération en génération. A partir de là commence
une longue histoire, celle de leur relation avec les Blancs. Pour raconter l'histoire
vécue dans les esprits et dans la chair, il faut donner la parole à ceux-là mêmes
à qui on a voulu la retirer. Il y a donc d'une part des faits bien établis dans le
temps mathématique de l'Européen : ils sont autant de points de repère qui
forment l'argument chronologique. Mais d'autre part, et surtout, il y a les traces
laissées et bien marquées dans la mémoire, la souffrance et la colère de ceux qui,
ne sachant écrire, se souviennent de tout par la parole. Cette parole est venue
jusqu'à nous. Elle est aussi histoire, mais pas histoire pour nous Européens,
Blancs ou « civilisés », — une histoire pas « objective » du tout, une histoire qui
ne marche pas dans le sens du « progrès ». Cette histoire sera offerte à la connais
sance de chacun, hors du carcan académique qui s'efforce de rassurer en rationa
lisant les conduites humaines. La réalité doit être rendue avec le souci de laisser
voir ce qui est d'ordinaire tenu caché et qui remue d'autant plus fort les hommes.
Des hommes de deux sociétés différentes et qui n'ont jamais encore, de mémoire
d'homme, eu l'occasion de s'observer et de communiquer, ont un choix difficile
à faire car ils sont réduits à ne connaître l'autre que par la projection de leurs
propres sentiments. Mais de toute évidence et à chaque instant de cette confront
ation, l'échange se fera ou pacifique ou violent. Pourtant, et les récits sont
nombreux qui le prouvent, ces deux formes d'échange ne sont jamais l'une ou
l'autre établies. L'échange est la règle et qu'importe la nature des biens échangés,
car l'esprit humain organise une structure qui semble rendre compte aussi bien
du commerce pacifique que de la guerre et du meurtre. Mais la difficulté principale
de ces premiers contacts entre Mélanésiens et Européens est double. D'une part,
les deux systèmes de référence fonctionnent dans une totale méconnaissance
l'un de l'autre, en circuit pour ainsi dire fermé. D'autre part, les contacts se
faisant en des points différents des côtes et avec des bateaux différents, les parte
naires occasionnels de cette confrontation ne savent pas à quelle phase de l'échange
ils en sont chacun restés lors de leur dernière expérience. A chaque fois le discours
est repris, mais la césure est placée différemment pour chacun des nouveaux
partenaires et les chances d'harmonie sont infimes. 12 DANIEL DE COPPET
Un autre trait qui marque le scénario des premiers contacts, est la rapidité
avec laquelle on passe de la guerre à l'observation bienveillante, puis aussitôt
au troc, et inversement. Chacun restant le plus souvent inexplicable à l'autre,
les variations du comportement sont brusques, incontrôlables, imprévisibles.
Enfin, il ne faut pas oublier que les conditions générales de l'échange ne sont
pas équilibrées. Si les navigateurs ont un besoin vital d'eau et de vivres pour
subsister, les objets qu'ils acceptent d'offrir en échange ne sont pas toujours
prisés par les Mélanésiens. Et c'est là que sur un accord impossible fait irruption
la violence. Les armes à feu obtiennent ce que ni les arcs ni les lances ne peuvent
défendre. Ceux qui naviguent au nom de leur souverain à la conquête de terres
inconnues s'estiment en droit d'extorquer par la violence ce qu'il leur faut pour
subsister et pousser plus avant leurs entreprises. Ils ont l'Église et l'Histoire
pour eux seuls : ils sont les agents. Les Mélanésiens sont les spectateurs passifs
ou agités des exploits des explorateurs. L'avantage reste toujours à celui qui
vient pour repartir, laissant planté là son partenaire d'un moment. Les Blancs,
on le sait, avaient l'avantage de leurs navires et de leurs armes. Ni le scorbut
ni la fièvre ne pouvaient rétablir l'équilibre. Les récits qui nous sont parvenus
témoignent de gens assurés de garder l'initiative en même temps que les secrets
de leur ambition et de leur prestige.
GUADALCANAL \^ / =*
•MARAU "s===^Ni
Les voiles espagnoles de Alvaro de Mendana apparurent en vue des côtes
de l'île deBogotu (sitôt baptisée Santa Isabella), le Ier février 1568. Après quelques
semaines de cabotage, les Espagnols mouillaient dans le Détroit de Marau — et là,
le peuple 'Are'are vit pour la première fois ces inconnus, le 24 mai 1568 — , puis
deux jours plus tard au village d'Uuhu sur la côte ouest de l'île de Malaita, enfin
le lendemain au port de Tawani'ahi'a sur l'île de Petite Malaita. De ces trois
jours les 'Are'are ont gardé le souvenir d'une mer soudain malade et porteuse
de monstres boursouflés de blancheur. PREMIER TROC, DOUBLE ILLUSION 13
Les récits des Espagnols apportent des précisions sur leur arrivée dans
la lagune d'Uuhu1. Gallego écrit :
« ... nous allions en direction de File de Malaita comme l'appellent les
Indiens [...] Vingt-cinq pirogues de guerriers vinrent à nous en nous tirant
dessus leurs flèches. Nous leur répondîmes par des coups de feu qui en
tuèrent certains et en blessèrent d'autres [...] Ces Indiens, comme tous les
autres, vivent complètement nus. Au nom de Sa Majesté nous avons
pris possession de cette 

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