Quinet l enchanteur : mythologie de l amour et philosophie de l histoire - article ; n°68 ; vol.20, pg 111-125
16 pages
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Quinet l'enchanteur : mythologie de l'amour et philosophie de l'histoire - article ; n°68 ; vol.20, pg 111-125

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Description

Romantisme - Année 1990 - Volume 20 - Numéro 68 - Pages 111-125
15 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1990
Nombre de lectures 30
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Simone Bernard-Griffiths
Quinet l'enchanteur : mythologie de l'amour et philosophie de
l'histoire
In: Romantisme, 1990, n°68. Amours et société. pp. 111-125.
Citer ce document / Cite this document :
Bernard-Griffiths Simone. Quinet l'enchanteur : mythologie de l'amour et philosophie de l'histoire. In: Romantisme, 1990, n°68.
Amours et société. pp. 111-125.
doi : 10.3406/roman.1990.6130
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/roman_0048-8593_1990_num_20_68_6130Simone BERNARD-GRIFFITHS
Quinet l'enchanteur : mythologie de l'amour
et philosophie de l'histoire
L'Amour, « le grand amour aux ailes d'or » l, est omniprésent dans la
mythologie et la philosophie de l'histoire d'Edgar Quinet. D'Ahasvérus (1833) à
Merlin l'Enchanteur (1860), il ne cesse de hanter l'œuvre épique et son paysage
imaginaire, présidant à cette aventure toujours recommencée par laquelle Je et
l'Autre se créent, se prouvent leur singularité avant d'en éprouver les limites ou
d'en gommer les contours dans un rêve d'union partagée. L'objet aimé, l'Autre, est
pour l'être ébloui, celui, celle vers qui le porte, « dès la première rencontre », ce
« transport » délicieux qui pousse l'un vers l'autre des corps frémissant
ensemble, des « âmes éprises » 2 solitaires et solidaires dans l'expérience de
l'attirance mutuelle. Ainsi Rachel, Г« ange » « aux ailes diaphanes » 3, l'Ange
de lumière « aux yeux couleur du ciel, aux cheveux qui secouaient la lumière
autour d'eux » 4, est-elle fascinée par le regard ténébreux d'Ahasvérus le maudit.
Dès lors, elle devient une « femme » dont le « sein tremble comme le sein des
femmes » quand l'haleine du printemps apporte, avec « les fleurs des
marronniers » s, les effluves du désir. De même, lorsque les yeux de Merlin
rencontrent l'« immense regard paisible » de Viviane, l'enchanteur se sent « à la
fois naître et mourir » 6 dans la douceur amère de la première surprise de l'amour.
Sujet et objet aimé se cherchent et se fuient avant de s'unir dans la dyade sacrée de
l'androgyne que forment au terme d'une quête initiatique Rachel et Ahasvérus ou
dans le couple que scelle, à travers les dernières pages de Merlin, l'amour consacré
par la mort.
Mais l'objet aimé, l'Autre, peut aussi, cessant d'être une personnalité
singulière, devenir une individualité collective : peuple, patrie, voire humanité
tout entière. Eros laisse alors place à Agapè, le désir à la « charité sociale » 7,
dont l'auteur de La République (1872), parvenu au crépuscule de sa vie, attend
qu'elle régénère la civilisation, une « charité » dont, à leur manière, Christophe
Colomb, Voltaire furent les prophètes et la Révolution française la glorieuse,
l'éclatante épiphanie. Or cette « caritas » est respect de la spécificité des peuples
et patries autant qu'aspiration à créer l'unanimité du genre humain. L'Amour, dans
cette extension qui élargit son objet du Moi à l'Humanité, traverse toutes les
strates de l'Histoire, qu'Edgar Quinet, dans l'Introduction (1827) à sa traduction
des Idées de Herder, définissait ainsi : « Ou l'histoire raconte la vie d'un individu,
ou celle d'un peuple, ou celle de l'humanité, dans laquelle les peuples et les
individus vont se perdre » 8. Présent dans ces trois « modes d'être » dont les
progrès accordés créent « la beauté harmonique » 9 du devenir humain, l'Amour
ROMANTISME n°68 (1990 - П) 1 12 Simone Bernard-Griffiths
ne se contente pas de vivifier l'histoire de l'Humanité. Il rayonne encore dans
l'histoire naturelle, ordonnant par l'exigence élective et sélective de l'amour
animal la progression des espèces, harmonisant le Moi et le Monde. Dans
L'Esprit nouveau, son testament philosophique, Quinet se plaît à esquisser les
linéaments d'une « théorie de l'Amour comme principe de vie universelle » 10, en
qui se réconcilieraient la philosophie et la science naturelle, politique ou sociale.
A l'Amour donc, rien, dans l'œuvre de Quinet, n'est étranger. Mais la
pluralité des registres et des formes interdit-elle l'affleurement d'une problématique
constante ? Notre propos serait de montrer comment, de la diversité de la
phénoménologie, se dégage une unité structurelle, dynamique. Quel que soit le
sujet aimant, l'objet aimé, l'Amour n'est-il pas le lieu privilégié où s'affrontent
les deux postulations fondamentales de la pensée de Quinet : le respect de
l'individualité, et l'aspiration à l'unité qui incite les êtres à transcender leur
originelle insularité, leur apparemment irréductible altérité pour partir en quête de
ces unions duelles ou plurielles que représentent tour à tour, dans les mirages
intégrateurs du Romantisme, le couple, la société, l'humanité, l'univers ?
Ces jeux de l'individualité et de l'unité commandent d'abord l'Amour vécu
comme aventure du Moi. Dès le prélude de Merlin, Quinet fait assister à la
métamorphose qui, arrachant Viviane au syncrétisme, la consacre dans sa dignité
de personne. Au début, Viviane apparaît à Merlin, sur fond de rêverie, comme un
mirage inséparable de la Nature dont elle reflète les couleurs au point de sembler
n'être d'elle qu'un chatoiement radieux :
II releva les yeux sur la crête de la montagne qui était couverte de noirs sapins, et il
vit ou crut voir une femme assise au pied d'un arbre. [...] Des bandes d'oiseaux
sortaient des bois pour venir becqueter dans ses mains. Sa robe avait le même vert
que la forêt. Son front était blanc et poli comme la pierre des sommets lavés par de
continuels orages. Ses yeux étaient couleur de la violette des champs u.
La litanie comparative fait peser un doute sur l'individualité d'une apparition
qui pourrait bien n'être qu'un « brouillard du matin », qu'un fantôme « de
vapeur » exhalée par une « multitude d'haleines de plantes » 12. Mais, dès que se
pose sur elle le regard aimant de Merlin, Viviane échappe à l'étreinte de la nature.
L'enluminure prend vie, réalité même à travers le rite gracieux de gestes en qui se
dit encore l'ambiguïté de la Femme-Fée :
Merlin leva les yeux vers la montagne, et quelles furent sa stupeur, son angoisse,
quand il vit sur le même tertre, au pied du même pin, la même figure qu'il avait
aperçue la veille !
Ce n'était là ni un brouillard, ni un fantôme, mais une jeune fille qui existait
très réellement, puisqu'elle avait à la main un peigne d'or et qu'elle peignait
tranquillement ses longs cheveux, lesquels ruisselaient jusqu'à ses pieds et
l'enveloppaient comme des rayons étincelants du matin 13.
Sans doute l'image demeure-t-elle archétypale et la beauté féminine en étroite
correspondance avec la nature par les ondoiements jumeaux de la lumière et de la
chevelure. Mais l'essentiel est qu'Edgar Quinet mette en évidence la vertu
« singulière », singularisante, d'une « curiosité » 14 passionnée qui est en
Merlin la première forme de l'amour : « Si Merlin eût osé parler, il eût dit : [...] l'amour, l'histoire 113 Qiúnet,
- Qui êtes-vous ? Où est votre pays ? » 15 Le merveilleux touche terre. Bientôt,
c'est le « Je t'aime » 16 proféré par Merlin, qui s'affirmant, dirait Roland Barthes,
comme « actif », comme « force contre d'autres forces » 17, libère Viviane des
fatalités d'un cosmos dont elle épousait jusqu'alors les aurores, les zéniths et les
crépuscules. Le verbe amoureux, le verbe d'amour fonde définitivement
l'autonomie de Viviane qui désormais n'aura plus à craindre de « mourir avec le
jour » 18, vivifiée qu'elle est par l'ardeur qu'elle inspire et bientôt, à son tour,
éprouve.
La naissance de l'Amour se confond donc avec la naissance du Moi comme
objet et sujet. Mais, instaurateur de l'individualité de l

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