Scission du coeur et désordre du corps dans Lélia de Sand - article ; n°91 ; vol.26, pg 19-34
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Description

Romantisme - Année 1996 - Volume 26 - Numéro 91 - Pages 19-34
16 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1996
Nombre de lectures 32
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

M. Jad Hatem
Scission du coeur et désordre du corps dans Lélia de Sand
In: Romantisme, 1996, n°91. pp. 19-34.
Citer ce document / Cite this document :
Hatem Jad. Scission du coeur et désordre du corps dans Lélia de Sand. In: Romantisme, 1996, n°91. pp. 19-34.
doi : 10.3406/roman.1996.3069
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/roman_0048-8593_1996_num_26_91_3069Jad HATEM
Scission du cœur et désordre du corps dans Lélia de Sand
Lors de la première réception, en 1833, de Lélia, certains critiques, cherchant à
apposer le sceau de l'infamie sur l'œuvre, la trouvèrent comparable aux romans de
Sade l. Le point d'analogie était erroné : Lélia n'est pas un roman libertin, aussi peu
par le drame que par la pensée. Ce qu'on n'a pas vu, c'est qu'il étaie Sade plutôt qu'il
n'en dérive. Mettant en scène la scission du cœur, il permet de suivre le fil de la
dépravation jusqu'à la fin, dans les excès de ses conséquences. L'intérêt de Lélia rési
de en cela qu'il réussit à saisir l'origine en son excès, l'anomie de l'origine. Il n'est
pas certain, n'en déplaise à Baudelaire, que Sand soit inférieure à Sade 2.
La scission du cœur
II appartenait à Lélia, chef-d'œuvre du roman lyrique, de. configurer la scission du
cœur. Je privilégie la version de 1833 qui a le mérite de concentrer le problème quitte à
examiner, dans un deuxième moment, l'apport de l'édition de 1839 qui élargit l'angle.
Le portrait de Lélia à l'orée du roman est propre à inspirer l'inquiétude. Ce Faust
féminin, miné par l'incroyance et la misanthropie, pourrait bien être Lucifer (p. 13) 3.
A moins que ce ne soit un spectre : « Vous êtes ici, lui dit Sténio, comme un cadavre
qui aurait ouvert son cercueil et qui viendrait se promener au milieu des vivants »
(p. 12). La réalité est plus complexe car Lélia est partagée, non qu'elle soit parcourue
de deux postulations, l'une vers le bien et l'autre vers le mal ; c'est un seul mouvem
ent, de dépassement de soi qui la déchire. Elle se veut « toute au ciel » (p. 9), mais
privée de la grâce, elle retombe lourdement sur le sol.
A Sténio qui lui demande si elle vient d'une contrée où l'on adore le diable, elle
répond en faisant d'une pierre deux coups : elle pose l'unicité du surnaturel et brouille
les frontières du licite et donc de l'être : « L'esprit du mal et l'esprit du bien, c'est un
seul esprit, c'est Dieu ; c'est la volonté inconnue et mystérieuse qui est au-dessus de
nos volontés » (p. 15). De Dieu le portrait brossé exclut toute providence avec son
corollaire de la philanthropie. On est abandonné à soi. Mieux encore que le panthéis
me de Spinoza, le déisme conduit à l'athéisme. Sur cet horizon, la coïncidence en
Dieu du bien et du mal n'apparaît que comme une abstraction au lieu qu'elle eût pu
servir de principe dynamique. Si dans le surnaturel les frontières sont brouillées entre
le bien et le mal, il s'en suit que sur terre, il est vain d'en tracer. Le principe de l'ano
mie est acquis. Ne persiste, pour un moment, que la démarcation entre les deux plans
du surnaturel et du naturel. Mais comme, en l'absence de Dieu, elle ne dessine que le
mouvement de la transcendance humaine, le surnaturel sera intégré au naturel comme
1. Voir Sand, Correspondance, éd. G. Lubin, t. Ill, Gamier, 1966, p. 406, 432.
2. Voir ses Notes sur les Liaisons dangereuses. Baudelaire visait sans doute la production socialiste de
Sand, coupable à ses yeux de favoriser le mal en l'ignorant.
3. Lélia, Gamier, 1960.
ROMANTISME n°91 (1996-1) 20 Jad Hatem
son germe d'insatisfaction. Cette inviscération marquera d'impuissance tous les
essors. Mais c'est la prise de conscience de cet essor, c'est en quelque sorte la vénéra
tion de l' auto-dépassement vers un idéal intellectuel qui distingue Lélia.
L'anomie dont souffre Lélia qui, bien que s'estimant sans vertus ni vices, fait le mal
plutôt que le bien, est celle qui naît d'un cœur scindé. Lélia présente un cas idéal d' ano
mie, source de toute anomie, car il ne comporte pas ses conséquences au niveau du
corps, de l'âme, de la raison. Seul l'esprit s'en trouve affecté, sa maladie s'appelant
nihilisme et athéisme. C'est auprès des autres personnages du roman que ces consé
quences sont repérables : la démence de la raison fait le siège de Magnus précipité par
son cœur partagé entre Dieu et Lélia, l'esprit et le corps, dans la folie meurtrière de
l'âme. Le désordre du corps auquel succombe Sténio vient de l'impossibilité où il se
trouve, à cause de Lélia, de concilier dans son cœur l'âme et le corps. Le cas de
Pulchérie est particulier car, comme nous le verrons, elle ne signifie pas par elle-même,
mais comme le double de sa sœur. C'est en tout état de cause en la personne de Lélia
que se pose et se fixe et se noue la question de l'anomie prise à sa source. Et du fait que
ce n'est pas en elle, comme chez une Anna Karénine ou une Manon Lescaut, que
s'observent les ravages de l'anomie hors du domaine du cœur, l'analyse a des chances
d'aboutir, en prenant comme matière un type pur, à des résultats probants.
« Ame privée de guide » (p. 128), « esprit sauvage » en révolte (p. 135), Lélia se
découvre la proie du doute et de la léthargie : « Abandonner ainsi sa vie sans rames et
sans gouvernail sur une mer plate et morne, c'est échouer de la plus triste manière »
(p. 132). Reste à savoir quelle loi, elle enfreint ou suspend. Eh bien ! ce sont les deux
lois conjuguées de la nature et de Dieu. Trenmor qui s'est purifié au bagne, vit au
monde comme n'y étant pas, juge Lélia citant la « parole sacrée »... Elle ajoute :
« Mais moi, dans le cours de ma vie sans règle et sans frein, j'ai fait comme les
autres. J'ai abandonné au mépris superbe de l'âme les nécessités impérieuses du
corps. J'ai méconnu tous les dons de l'existence, tous les bienfaits de la nature »
(p. 126). Il n'est pas clair en quoi Lélia agit en ceci comme les autres à moins de voir
en eux les exemplaires du type qu'elle incarne 4. Pour le reste, il est évident que c'est
la scission de l'âme et du corps qui est mise en évidence. L'hypertrophie des fonc
tions cérébrales aurait provoqué l'anesthésie des corporelles. D'où le fiasco de sa pre
mière expérience amoureuse. L'homme, normalement constitué, ne voulait pas
entendre parler d'une relation d'esprit pur à esprit pur.
Mais moi, nourrie d'une manne céleste, moi dans le corps était appauvri par les contemp
lations austères du mysticisme, le sang fatigué par l'immobilité de l'étude, je ne sentis
point la jeunesse enfoncer ses aiguillons dans ma chair. J'oubliai d'être jeune, et la
nature oublia de m'éveiller. Mes rêves avaient été trop sublimes ; je ne pouvais plus
redescendre aux appétits grossiers de la matière. Un divorce complet s'était opéré à
mon insu entre le corps et l'esprit. J'avais vécu en sens inverse de la destinée naturelle
(p. 167).
Or le lieu de la scission est repérable, c'est le cœur, le point de jonction de l'âme,
de la raison et du corps. En effet, Lélia distingue corps et cœur lequel survit à ses
sens. Mais le cœur n'enfonce-t-il pas nécessairement sa racine dans le corps ? Peut-on
aimer sans son corps ? Un point de jonction n'est pas une entité autonome. Il permet
la communication de ce qui se croise en lui. Or le sang qui vient de l'existence se
4. « Je m'humilie et m'afflige d'être un type si trivial et si commun de la souffrance de toute une géné
ration maladive et faible » (p. 164). Son type, c'est le mal du siècle interprété par elle. Scission du cœur et désordre du corps dans Lélia de Sand 21
corrompt dans un cœur désincarné et, mis en contact avec l'âme, ne trouve rien à nourr
ir : « La réalité a trouvé mon âme trop vaste pour y être contenue un instant ».
Le résultat premier c'est la misanthropie qui attire sur le cœur de Lélia l'accusa
tion de « perversion » (p. 9). Encore faut-il qu'il ait survéc

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