Seigneurs et intendants en Russie aux XVIIIe-XIXe siècles - article ; n°1 ; vol.41, pg 61-91
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Seigneurs et intendants en Russie aux XVIIIe-XIXe siècles - article ; n°1 ; vol.41, pg 61-91

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Description

Revue des études slaves - Année 1962 - Volume 41 - Numéro 1 - Pages 61-91
31 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1962
Nombre de lectures 17
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

Extrait

Monsieur le Professeur Michael
Confino
Seigneurs et intendants en Russie aux XVIIIe-XIXe siècles
In: Revue des études slaves, Tome 41, fascicule 1-4, 1962. pp. 61-91.
Citer ce document / Cite this document :
Confino Michael. Seigneurs et intendants en Russie aux XVIIIe-XIXe siècles. In: Revue des études slaves, Tome 41, fascicule
1-4, 1962. pp. 61-91.
doi : 10.3406/slave.1962.1790
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/slave_0080-2557_1962_num_41_1_1790ET INTENDANTS SEIGNEURS
EN RUSSIE
AUX XVIIIe-XIXe SIÈCLES
PAR
MICHAEL CONFINO
Приказчика Здесь Вот это почивал барский доклады он, кабинет; кофей слушал кушал.
И книжку поутру читал. . .
И старый барин здесь живал. . .
Пушкин, Евгений Онегин, VII, 18.
Dans la vie rurale en Russie et dans le domaine seigneurial au xvine et au
xixe siècle, l'intendant était un personnage traditionnel, à l'égal des moujiks
qui lui étaient confiés et du barin dont il dirigeait la propriété; il était un él
ément essentiel et permanent de la société paysanne et du folklore campagnard.
De là il devait passer dans nombre d'oeuvres littéraires dont les héros étaient
des gentilshommes ou des serfs, agissant dans Vusad'ba domaniale ou dans la
derevnja voisine. C'est ainsi que Puškin et Grigorovič, Turgenev et Tołstoj,
observateurs attentifs de la vie rurale russe, ont esquissé des portraits d'inten
dants, éclairé le rôle de ces personnages et révélé du même coup certains aspects
des rapports humains dans le pomest'e.
Seigneurs et intendants : diptyque familier qu'illustrent tant de pages
d'oeuvres de ce temps. Penočkin et Sofron, Nechljudov et Jakov Alpatyč,
Levin et Vasilij Fedorovič : noms qui évoquent des caractères d'une époque,
des éléments originaux de l'atmosphère domaniale. Mais l'écrivain a préféré
parfois ne pas nommer l'un des protagonistes, sans le priver pour autant d'une
individualité bien marquée : Nikita Fedoryc, le régisseur à'Anton-Goremyka,
est aux prises avec les serfs d'un barin résidant à Saint-Pétersbourg, mais que
Grigorovič ne nomme pas, peut-être pour mieux souligner son absence du 62 MICHAEL CONFINO
domaine. Par contre, Pierre Bezuchov a affaire à de nombreux intendants et
régisseurs, dirigés par un intendant en chef, et leur anonymat cadre bien avec
la force impersonnelle qu'ils symbolisent, avec la routine et la résistance qu'ils
opposent aux projets de réforme du pomeščik en herbe.
Ces exemples ont permis de rappeler la présence de l'intendant aux côtés
du barin, dans le domaine seigneurial et dans le domaine littéraire. Ils invitent
à voir, avant de passer à la pure histoire, quel type d'intendant se dégage des
œuvres et comment leurs auteurs, connaisseurs profonds des hommes et des
mœurs rurales, ont dépeint le personnage. Telles de ces œuvres, offrant si
nettement des tableaux de mœurs, des analyses sur le vif de psychologie indi
viduelle et collective, peuvent renseigner l'historien sur l'opinion des contemp
orains et sur les courants de l'imagination populaire. Et l'examen historique,
d'autre part, doit nous apporter son aide pour une compréhension meilleure
de cet aspect de la vie domaniale et du cadre social et humain recréé dans les
œuvres de ces écrivains.
I. Portraits d'intendants
Это был человек средних лет, то есть от сорока до пятидесяти, сред
ней полноты и среднего роста; шарообразная голова его, покрытая
белокурыми волосами с проседью, обстриженными ниже, чем под
гребенку, прикреплялась почти непосредственно к плечам, что делало
Никиту Федорыча издалека весьма похожим на бульдога. К этому
сходству немало также способствовали густые черные брови, серые
глаза навыкате, широкие калмыцкие скулы, пышный трехъярусный
подбородок и коротенькие ноги наподобие обруча, или, как говорится,
« кибитки » ď.
L'homme que Grigorovič dépeint ainsi est l'intendant Nikita Fedoryč
et telle est pour lui la physionomie habituelle de l'intendant. Cependant ces
traits ne sont pas aussi déplaisants qu'on pourrait le croire. Malgré les défauts
mineurs qui n'avaient rien de particulièrement repoussant, poursuit Grigo
rovič, la figure de Nikita exprimait la gravité et la fierté sereine qu'on lit
toujours sur celle de l'homme conscient d'avoir un sentiment de dignité per
sonnelle. La stature de l'intendant semblait bien proportionnée et même élé
gante, elle avait quelque agrément et même du caractère (2). Vu d'une cer
taine distance cet intendant ne manquait pas d'allure. Néanmoins, sans être
fausse, cette impression s'avère superficielle. Observons le héros de plus près,
suivons Grigorovië, et son dernier coup de palette nous livrera le sentiment
profond qu'inspire le personnage :
Но если всмотреться хорошенько, нельзя было не прочесть в этих
серых бойких глазах, в этих толстых раздувшихся губах что-то столь
W D. V. Grigorovic", Anton-Goremyka, chap. n (Izbrannye proizvedenija, M., 1959, p. 92).
— Cf. la description de I. S. Turgenev, Kontom, Zapiski ochotnika, M., 1954, p. 167 (sera cité :
Z. o.).
<8) Grigorovič, op. cit., loc. cit. ET INTENDANTS EN RUSSIE AUX XVIIIe-XIXe SIÈCLES 63 SEIGNEURS
наглое, дерзкое и подлое, что невольно напоминало любимца — камер
динера, или дворецкого, или вообще члена многочисленной семьи
мерзавцев богатой избалованной дворни или аристократической пе
редней t1*.
Ces lignes suggèrent le portrait moral de l'intendant « moyen » et les sen
timents qu'il suscitait en de nombreux contemporains. D'autres auteurs s'en
sont fait les interprètes à leur tour. Ainsi Turgenev ^ :
. . . Павел Петрович (Кирсанов) недолго присутствовал при беседе
брата с управляющим, высоким и худым человеком с сладким чахо
точным голосом и плутовскими глазами . . .
Tołstoj, qui décrit l'intendant en chef de Pierre Bezuchov comme un des
administrateurs intelligents de ses domaines, le tient néanmoins pour très
sot et rusé(3). Vu par Puškin, le premier intendant qui s'installe à Goro-
chino, marquant ainsi la fin de « l'âge d'or » du village, est un « administrateur
avide de profit » (4).
Tels étant les traits de caractère attribués au prikaščik, deux séries de ques
tions se présentent qui permettraient d'élucider les raisons d'appréciations
aussi tranchées et défavorables. D'abord, comment ces écrivains imaginent-ils
l'attitude de l'intendant envers les paysans? Ensuite, comment voient-ils
les rapports entre et le seigneur?
Par leur attitude envers les moujiks, les intendants de ces auteurs, à quelques
nuances près, se ressemblent beaucoup. Ils n'ont que mépris pour les paysans
et les tiennent pour des voleurs, des ivrognes et des paresseux. Dans cet ordre
d'idées, le discours inaugural de l'intendant de Gorochino aux paysans assemb
lés est, chez Puškin, un morceau d'éloquence qui ne manque ni de franchise
ni de saveur :
Смотрите ж вы у меня, не очень умничайте — вы, я знаю, народ изба
лованный; да я, небось, выбью дурь из ваших голов скорее вчераш
него хмеля.
Et Puškin ajoute :
Хмеля уже не было ни в одной голове, и горохинцы, как громом
пораженные, повесили носы и с ужасом разошлись по домам <6).
Plus grave en cette matière, Tołstoj appréhende que l'intendant ne haïsse
les paysans et ne se conduise envers eux avec grossièreté. Dans la nouvelle
biographique Matinée d'un seigneur, il fait dire au prince Nechljudov :
Не грех ли покидать их (les sept cents serfs de son domaine) на произвол
грубых старост и управляющих...?^'.
W Ibid. — í») L S. Turgenev, Otcy i deti, chap. viii, M., 1955, p. 474.
<8' L. N. Tołstoj, Vojna i Mir, livre II, chap. x, Polnoe sobranie soíinenij L. N. Tolstogo
pod red. P. I. Birjukova (sera cité : PSS), t. V, M., 1913, p. 85-86. — Même type dans Dva porne-
ščika de Turgenev, Z. o., p. 193.
<4' A. S. Puškin, Istorija sela Gorochina, Sočinenija A. S. Puïkina, Polnoe sobranie v odnom
tome, izd. 6-е, M., 1909, col. 885 (sera cité : PS). Nous avons maintenu «Gorochino », employé
dans cette édition, au lieu de « Gorjuchino », qu'on trouve ailleurs.
W Puškin, op. cit., col. 884.
<e' L. N. Tołstoj, Utro ротеШка, chap. i, PSS, III, p. 5. 64 MICHAEL CONFINO
Levin est exaspéré par le dédain de son régisseur envers les paysans ^ ; l'i
ntendant en chef de Pierre Bezuchov est convaincu que ce serait une erreur
d'affranchir les serfs (2), sans doute parce qu'il les estime indignes de la vie
d'hommes libres. Et si le régisseur de Niko

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