« Sociologie du développement » ou sociologie du « développement »? - article ; n°90 ; vol.23, pg 257-278
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Description

Tiers-Monde - Année 1982 - Volume 23 - Numéro 90 - Pages 257-278
22 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1982
Nombre de lectures 14
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Pierre Achard
« Sociologie du développement » ou sociologie du «
développement »?
In: Tiers-Monde. 1982, tome 23 n°90. pp. 257-278.
Citer ce document / Cite this document :
Achard Pierre. « Sociologie du développement » ou sociologie du « développement »?. In: Tiers-Monde. 1982, tome 23 n°90.
pp. 257-278.
doi : 10.3406/tiers.1982.4111
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/tiers_0040-7356_1982_num_23_90_4111« SOCIOLOGIE DU DÉVELOPPEMENT »
OU DU « » ?
par Pierre Achard*
La sociologie du développement, si elle doit exister, ne peut faire
l'économie de s'interroger sur son histoire et sur sa signification sociale.
Ne pas le faire serait constituer un domaine purement technique et apo
logétique, une annexe tiers mondiste de la science politique. Il est, au
contraire, possible de reconnaître dans la notion de « développement »,
non un concept scientifique mais une opération politique, et de construire
une sociologie critique des rapports internationaux, en montrant quelle
est la qui permet d'expliquer le fonctionnement social du
terme.
Pourquoi, tout d'abord, nous est-il proposée une « sociologie du
développement », alors que l'ethnologie ou l'anthropologie du dévelop
pement sont, sinon inenvisageables, du moins inenvisagés. Il me semble
que, pour le comprendre, il faut remonter à l'analyse de la division qui
s'est constituée historiquement entre sociologie et ethnologie. Ensuite,
se poser la question de savoir si la « du développement »
se contentera de reproduire dans le présent cette division, ou sera capable
de produire un domaine de connaissances où cette division serait abolie.
Je n'argumenterai pas longuement l'interprétation que je propose de
la division ethnologie/sociologie. Cette différence s'est constituée à la
fin du xixe siècle et au début du xxe, sur la base de l'évidence d'une
différence entre les sociétés (de plein droit) et les peuplades sauvages
aux mœurs bizarres. Cette différenciation recouvrait justement la diff
érence entre colonisateurs et colonisés, et la colonisation était justifiée
« en droit » par l'existence de cette différence, censée se traduire dans tous
les ordres de réalité : religions, langues, techniques, morphologie crâ
nienne, etc. Les plus clairvoyants (Engels, Freud) y voyaient au mieux
* Maison des Sciences de l'Homme. Langage et Société.
Revue Tiers Monde, t. XXIII, n° 90, Avril-Juin 1982 258 PIERRE ACHARD
notre préhistoire ou notre enfance... Insistons sur le fait qu'il ne s'agit
pas du projet délibéré de séparer des sociétés « égales en droit », mais
bien de l'incapacité d'accepter l'autre comme autre, le rejetant donc dans
l'arriération ou dans l'animalité. De cette séparation initiale, les deux
disciplines feront un usage dissymétrique : l'ethnologie, la ressentant
comme limitation, la combattra toujours en la reproduisant constam
ment, tandis que la sociologie verra toujours, dans les sociétés primitives,
un simple cas limite qu'on ne considère qu'exceptionnellement. Certes,
il ne s'agit que d'une répartition tendancielle, et on aurait beau jeu de
m'opposer tel ou tel passage de Marcel Mauss, de Georges Balandier
ou de Roger Bastide. La tendance générale, pour autant que les disci
plines sont nommées et désignées, me semble par contre bien réelle.
La sociologie du développement « naît », ou « apparaît » dans les
années 60. La métaphore de la naissance a ceci de commode qu'elle
masque l'existence de deux phénomènes distincts : la parution à cette
époque de travaux d'origine ethnologique ne s'intéressant pas en priorité
aux sociétés « pures », mais étudiant des phénomènes de réaction des
sociétés dites primitives à la situation coloniale; la reprise de ces travaux
sous l'étiquette sociologique. Le premier phénomène n'est pas spécifique,
il correspond à ce mouvement constant de la discipline ethnologique
tendant à essayer de faire éclater une barrière ressentie comme arbitraire.
Le second phénomène au contraire correspond à un traitement social
spécifique du premier : dans le cadre de la décolonisation octroyée
ouvrant l'ère du néo-colonialisme, il devient urgent de « plonger » (au
sens topologique) les sociétés primitives dans le monde moderne en les
« munissant » (au sens logique) d'une sociologie. Cette opération histo
rique, où le politique opère sur l'universitaire, fonde une sociologie du
développement comme récupération de travaux ethnologiques dans un
champ sociologique néo-colonial. C'est-à-dire que la constitution de ce aura pour effet de fournir une réponse néo-coloniale (« le » déve
loppement) à un questionnement ethnologique anticolonialiste.
Car si la sociologie du développement apparaît, en France, autour
des années 60, et si cette apparition (qui n'a rien de miraculeuse !) est
liée aux décolonisations formelles, on est en droit de poser à cette disci
pline postulée une double question sur ses origines : quelle analyse de la
décolonisation, quelle analyse du concept de développement ? A cette
double question, je proposerai une simple réponse : il n'y a pas eu de et le développement n'est que la poursuite de la politique
coloniale par d'autres moyens.
Il n'y a pas eu décolonisation, tout d'abord. Sous sa forme brutale,
cette affirmation peut paraître paradoxale. Je ne prétends pas ici qu'il n'y SOCIOLOGIE DU DÉVELOPPEMENT 259
a eu aucune décolonisation, ni que la situation actuelle est identique avec
celle qui prévalait, disons, en 1939. Le Viêt-nam, ou l'Algérie se sont
bien libérés par une lutte effective, et le nombre des Etats représentés à
I'onu a bien subi une certaine variation. Ce que je prétends ici, c'est que
la soi-disant décolonisation de i960 n'est pas autre chose que le résultat
de la concurrence entre plusieurs formes de colonisation : administration
directe, indirect rule et doctrine Monroe, aboutissant à la généralisation
de cette dernière forme. Pour les ex-colonies françaises, ce sont les ser
vices français (officiels et secrets) qui ont installé la plupart des nouvelles
républiques. Pour les ex-colonies britanniques, les indépendances qui
qui ont eu lieu contre le gré du colonisateur sont les
« blanches » (Afrique du Sud, Rhodesie). Quant à « l'esprit de Bandoeng »,
où l'on a pu voir la source du tiers mondisme, il a été submergé par cette
avalanche de « non-alignés plus ou moins alignés ». De ce fait, ce qui
pouvait au départ être un mouvement nationalitaire et libérateur deve
nait un club hétérogène de « tiers exclus » : les Etats de problématiques
nations, soumises aux protections intéressées d'Etats-nations beaucoup
mieux armés historiquement, industriellement et commercialement, et
pouvant se passer dans leur politique coloniale de l'ingérence apparente
et directe, grâce à une classe suscitée sur le « terrain » même et
manœuvrable à distance, que ce soit (parfois) par la corruption ou (le
plus souvent) par la « force des choses » (aide, emprunts, contrats,
éducation, etc.).
C'est dans la mise en place de cette « force des choses » qu'intervient
la notion de développement. Pour le montrer, il faut réfléchir à la colo
nisation non comme fait empirique brut, mais comme processus histo
rique. Ce processus historique est lui-même pris dans la définition
rique qui en est donnée : ainsi la conquête de la Gaule par les Romains
sera-t-elle envisagée comme interprétable en termes de colonisation,
tandis que cette interprétation ne sera pas retenue pour l'invasion de
l'Empire romain par les « Barbares ». Le xixe siècle nous a légué à la fois
un modèle positif (Rome) et une vue constructive de la colonisation.
De ce qu'elle détruit, nous ne voulons voir — au mieux — que
le pittoresque.
Nous retiendrons que la colonisation débute souvent par une forme
brutale : l'invasion. Mais cette forme brutale tend à masquer que la
continuité s'établit très vite. Dans l'Amérique qui s'hispanise au xve

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