Sur la peinture de Chagall, réflexions d un sociologue - article ; n°4 ; vol.15, pg 667-683
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Description

Annales. Économies, Sociétés, Civilisations - Année 1960 - Volume 15 - Numéro 4 - Pages 667-683
17 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1960
Nombre de lectures 40
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Lucien Goldmann
Sur la peinture de Chagall, réflexions d'un sociologue
In: Annales. Économies, Sociétés, Civilisations. 15e année, N. 4, 1960. pp. 667-683.
Citer ce document / Cite this document :
Goldmann Lucien. Sur la peinture de Chagall, réflexions d'un sociologue. In: Annales. Économies, Sociétés, Civilisations. 15e
année, N. 4, 1960. pp. 667-683.
doi : 10.3406/ahess.1960.421642
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/ahess_0395-2649_1960_num_15_4_421642Sur la peinture de Chagall
RÉFLEXIONS D'UN SOCIOLOGUE
Lorsqu'un chercheur, qui s'est consacré pendant de longues années
à l'étude sociologique des œuvres philosophiques et littéraires, se
décide à publier, pour ainsi dire brusquement, en tout cas sans prépara
tion prolongée, ses remarques sur l'œuvre d'un grand peintre contemp
orain, il est non seulement utile mais indispensable qu'il précise, au
préalable, les possibilités qu'il assigne à l'étude sociologique de la pein
ture, et les limites dans lesquelles, à l'intérieur de ces possibilités, se
situe, d'après lui, son propre travail.
Disons, d'emblée, que si les premières nous paraissent, en principe,
extrêmement vastes, nous avons, par contre, conscience que les secondes
sont assez étroites.
En effet, comme celle des œuvres philosophiques et littéraires, l'étude
sociologique des œuvres artistiques doit, en principe, pouvoir aller très
loin dans la compréhension de ses objets. Laissant de côté le problème
des œuvres philosophiques qui ne nous intéresse pas ici, il nous semble
que l'on peut définir les œuvres littéraires et artistiques valables par le
fait qu'elles expriment toujours un contenu cohérent г et dans une forme
adéquate.
Or, si tout contenu est une réalité individuelle, le contenu cohérent
(ou universel) nous paraît caractérisé par la coïncidence de l'individuel
et du social, ce qui d'ailleurs n'a rien de surprenant, la raison pour laquelle
le social est toujours réellement ou virtuellement cohérent étant la même
que celle qui fait de la cohérence une valeur esthétique.
Il nous semble, en effet, que la tendance à la cohérence, plus ou moins
réalisée bien entendu (et chez l'esprit moyen, soumis à tant d'influences
contradictoires, elle l'est plutôt moins que plus), constitue (presque sans
exception) une caractéristique de la vie psychique de tout individu.
1. Ce terme nous paraissant plus compréhensible que celui d? universel que nous
pourrions employer à condition de l'expliciter suffisamment.
Note concernant l'illustration de cet article :
Les illustrations qui figurent ici ne représentent pas la totalité de révolution dont
nous avons essayé de rendre compte. En particulier, on ne trouvera aucune illustration
se rapportant à la première période de Vœuvre de Chagall. Il n'a pas été possible, en
effet, d'obtenir toutes les autorisations souhaitées.
Les tableaux cités figurent presque tous au catalogue de la récente exposition Chagall
aux Arts Décoratifs.
667 ANNALES
II s'ensuit que toute œuvre qui exprime de manière adéquate un
contenu cohérent représente une valeur pour qui la voit, la lit ou l'entend ;
c'est ce que nous appelons valeur esthétique — il s'ensuit, en outre, que
tout groupe social, orienté vers une organisation globale de la société,
tend à élaborer une vision cohérente du monde, qui, étant donné
que les innombrables distorsions individuelles s'annulent les unes les
autres, est mieux réalisée et, par cela, plus facile à saisir dans le groupe
que chez la plupart de ses membres pris individuellement.
Si elles sont exactes, ces affirmations impliquent que le contenu de
toute œuvre, plus ou moins valable, correspond à une tendance fonda
mentale du psychisme humain, tendance qui doit pouvoir être dégagée,
sinon exclusivement, du moins de manière plus précise et aisée par une
analyse sociologique que par une analyse psychologique ou purement
« esthétique » dans le sens traditionnel de ce mot ; et cela sans parler de
ce que nous appelerions volontiers une sociologie de surface (influence
du milieu, conditions économiques et sociales extérieures à la création,
conditions de l'édition, de la diffusion, etc.).
De plus, même une étude proprement technique des moyens d'ex
pression ne saurait avoir de valeur que dans la mesure où elle se fonde
sur une analyse sociologique du contenu, le véritable problème esthé
tique n'étant pas de savoir quels sont les moyens techniques employés
par l'artiste mais bien, et surtout, pourquoi ces moyens sont les plus adé
quats your exprimer sa propre vision du monde.
Toutefois, après avoir d'un mot esquissé les visées et possibilités d'une
étude sociologique de la peinture, il nous faut déclarer aussitôt que les
analyses du présent article ne sont, au plus, qu'une hypothèse introduc-
tive qui, même si elle s'avère valable, ne constituera qu'un premier pas
dans l'étude sociologique de la peinture de Chagall. Car d'une part, nous
manquons de compétence pour l'étude des moyens techniques de l'e
xpression picturale et, d'autre part, même dans les domaines qui nous
sont familiers (ceux de l'étude sociologique, de la philosophie et de la li
ttérature) la mise en lumière d'un contenu cohérent — d'une vision du
monde — demande de longues, de patientes années de recherches que
nos préoccupations actuelles ne nous permettent pas de consacrer à
l'étude d'une œuvre picturale x.
Telle quelle cependant, avec les réserves que nous tenions à formuler
nous-même, l'hypothèse que nous présentons aujourd'hui, née, sans
aucun doute, de notre familiarité avec les domaines apparentés de la
littérature et de la philosophie et du fait accidentel que nous avons connu
des milieux sociaux plus ou moins semblables à ceux dans lesquels a
1. Il faut noter aussi que — sauf cas exceptionnels — l'étude sociologique de
l'œuvre d'un peintre sera toujours désavantagée par rapport à l'étude
d'une œuvre écrite, par la difficulté de connaître tous les tableaux d'un peintre alors
qu'il est possible de se procurer les œuvres complètes de la plupart des grands penseurs
et des grands écrivains.
668 CHÂGALL
vécu Chagall, pourra présenter un certain intérêt en tant que travail
préparatoire à l'élaboration ultérieure d'une véritable étude sociolo
gique de l'œuvre de ce très grand peintre.
Pour aborder la peinture de Chagall il faut partir du milieu social
dans lequel se sont déroulées son enfance et sa jeunesse : le groupe
juif de la petite ville et du village russes. Encore faut-il ajouter qu'au
début du xxe siècle les structures fondamentales de la société russe en
général, et implicitement, dans une mesure peut-être encore plus grande,
celles du groupe social juif en particulier, étaient déjà très ébranlées.
Plus encore, cet ébranlement s'était manifesté à l'extérieur par l'explo
sion révolutionnaire de 1905 (ce n'est probablement pas un hasard si
Chagall commence à peindre vers 1907-1908). Cet ébranlement, encore
à ses débuts, explique sans doute, en partie du moins, le fait qu'un
jeune Juif ait pu, sans pourtant rompre avec son milieu, se consacrer
entièrement à la peinture. Car cette décision implique une rupture, sinon,
comme on l'a dit parfois, avec une interdiction formelle, du moins avec
une tradition assez puissante (née peut-être en partie de l'interdiction de
représenter la Divinité) et qui faisait de la peinture un métier non-juif \
En décidant de devenir peintre, le jeune Chagall se singularisait déjà
dans une certaine mesure, il s'éloignait de son groupe social, témoignant
par cela même qu'il ressentait celui-ci comme problématique jusqu'à un
certain point.
Néanmoins, il était loin d'avoir rompu avec lui. Et surtout il allait
continuer à voir le monde avec les catégories mentales et affectives —
légèrement mises en question — de la société dans laquelle il avait été
élevé.
Or quelles étaient ces catégories ? Dans la totalité relative du vil
lage et, dans une moindr

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