Tendances socio-langagières dans l évolution des pratiques lexicales en langue vietnamienne
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Tendances socio-langagières dans l'évolution des pratiques lexicales en langue vietnamienne

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Tendances socio-langagières dans L’EVOLUTION DES PRATIQUES LEXICALES EN LANGUE (1)VIETNAMIENNE Tran Thanh Ai Université de Cantho, Vietnam ttai@ctu.edu.vn Résumé : En effectuant l’étude de l’emploi des mots étrangers, nous avons l’intention de nous centrer sur le changement sociolangagier en cours, donc d’aller plus loin que la problématique structurale des emprunts, qui ne s’intéresse qu’aux unités étrangères conçues comme entièrement assimilées à la langue d’accueil et qu’à leurs relations morpho-syntaxiques internes. Nous nous limitons à un corpus écrit, collecté de la presse d’information générale, posant que le développement “ spectaculaire ” que celle-ci connaît depuis 1986 est étroitement lié à ce changement socio-langagier. Nous nous limitons aussi à l’étude de mots désignant les choses, pour les distinguer des toponymes et des anthroponymes, pensant que cette classe d’unités “ à référent unique ” mérite d’être étudiée à part. Nous avons effectué : - l’analyse des discours glottopolitiques officiels et des discours d’experts qui concernent cette problématique. Cette analyse nous révèle la préoccupation générale de la société face au problème en question. - l’analyse d’un corpus constitué de 6 hebdomadaires, nationaux et régionaux, d’informations générales et de grande diffusion. Cette analyse montre à quel degré les pratiques lexicales des locuteurs collectifs sont influencées par l’anglophonie.

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Publié le 10 février 2014
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Tendances socio-langagières dans
L’EVOLUTION DES PRATIQUES LEXICALES EN LANGUE (1) VIETNAMIENNE
Tran Thanh Ai Université de Cantho, Vietnam
ttai@ctu.edu.vn
Résumé: En effectuant l’étude de l’emploi des mots étrangers, nous avons l’intention de nous centrer sur le changement sociolangagier en cours, donc d’aller plus loin que la problématique structurale des emprunts, qui ne s’intéresse qu’aux unités étrangères conçues comme entièrement assimilées à la langue d’accueil et qu’à leurs relations morpho-syntaxiques internes. Nous nous limitons à un corpus écrit, collecté de la presse d’information générale, posant que le développement “ spectaculaire ” que celle-ci connaît depuis 1986 est étroitement lié à ce changement socio-langagier. Nous nous limitons aussi à l’étude de mots désignant les choses, pour les distinguer des toponymes et des anthroponymes, pensant que cette classe d’unités “ à référent unique ” mérite d’être étudiée à part. Nous avons effectué : -l’analyse des discours glottopolitiques officiels et des discours d’experts qui concernent cette problématique. Cette analyse nous révèle la préoccupation générale de la société face au problème en question. -l’analyse d’un corpus constitué de 6 hebdomadaires, nationaux et régionaux, d’informations générales et de grande diffusion. Cette analyse montre à quel degré les pratiques lexicales des locuteurs collectifs sont influencées par l’anglophonie. Mots clés :
mots étrangers, changement socio-langagier, discours glottopolitique.
Abstract :
By studying foreign words used in the Vietnamese press, we want to concentrate on sociolinguistic change, so to go over the structural problematic on borrowed words. In this research, we study only writing corpus, collected from the general information press, and words showing things, estimating that toponymes and anthroponymes belong to other lexical categories. We have effected: – a glottopolitic and expert discourse analysis. This one permits us to know about general preoccupation of society on using foreign words; – an analysis of a corpus based on 6 weekly national and regional newspapers. This one shows at which level the lexical practices of collective speakers are influenced by the anglophony.
Key-words:
foreign words, sociolinguistic change, glottopolitic discourse.
(1) Article paru dans la revue BULAG (Université de Franche-Comté, France), n°30, décembre 2005. http://tesniere.univ-fcomte.fr/bulag30.html
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A l’heure actuelle, la prédominance del’anglophonie l’arène mondiale est une chose sur évidente. Cette qualité n’est pas due à la valeur intrinsèque de la langue elle-même, comme l’ont indiqué plusieurs linguistes, mais liée étroitement aux conditions politico-socio-économiques qui valorisent cette langue. Outil de communication, elle possède peu à peu une valeur symbolique qui fait que ceux qui l’utilisent croient être honorés. Cette caractéristique a pour conséquence d’accélérer l’anglicisation, souvent partielle, des échanges quotidiens ainsi que des communications spécialisées. Cette situation est caractérisée, au Vietnam, par l’emploi excessif de mots anglais et devient alarmante sous les yeux de ceux qui se préoccupent de la langue vietnamienne. Ce phénomène à la fois linguistique et sociolinguistique s’est vu commencer à partir de l’ouverture du pays vers l’extérieur en 1986 avec la politique du renouveau(dôi moi), qui entraîne la pénétration massive sur le territoire vietnamien du mass media étranger, américano-anglais notamment, et des locuteurs, en grande partie anglophones. Nous sommes donc dans un moment fort de la problématique du contact de langues. En choisissant d’étudier ce phénomène (il s’agit d’une recherche d’envergure nationale, subventionnée par le ministère vietnamien de l’Education et de la Formation), nous avons l’intention de nous centrer sur le changement sociolangagier en cours, donc d’aller plus loin que la problématique structurale des emprunts, qui ne s’intéresse qu’aux unités d’origine étrangère conçues comme entièrement assimilées à la langue d’accueil et qu’à leurs relations morpho-syntaxiques internes. Ce positionnement théorique pose que derrière les mots étrangers utilisés dans une autre langue, il y a toujours un choix idéologique, surtout quand il s’agit d’une concurrence entre un mot étranger et son équivalent de la langue d’accueil. Nous nous limitons à un corpus écrit, collecté de la presse d’information générale (Tran Thanh Ai, 2003 : 14), posant que le développement “ spectaculaire ” que celle-ci connaît depuis la date importante sus-mentionnée est étroitement lié à ce changement socio-langagier. Nous nous limitons aussi à l’étude des mots désignant les choses, pour les distinguer des toponymes et des anthroponymes, pensant que cette classe d’unités “ à référent unique ” mérite d’être étudiée à part. 1. Méthodologie de recherche Cet article provient d’un travail dont nous ne voudrions pas définir la problématique en termes d’étude des emprunts, mais en termes de mots étrangers utilisés dans les pratiques socio-langagières en langue maternelle, pour finalement étudier les critères d’intégration des unités intruses dans la langue d’accueil et les tendances socio-langagières qui sous-tendent les pratiques lexicales contemporaines du milieu journalistique, puisque la question de démarcation entre les emprunts établis et les emprunts provisoires reste encore discutables et que les critères qui aident à mesurer les degrés d’intégration de mots étrangers sont différents d’une langue à l’autre. Nous voudrions en d’autres termes effectuer une démarche inverse aux études précédentes des emprunts qui, avant l’analyse, posent a priori que telles ou telles unités sont des emprunts établis (les emprunts proprement dits, selon J. Dubois & alii., 1994), telles ou telles autres sont provisoires (les xénismes et les pérégrinismes). Nous n’adoptons pas non plus la démarche des lexicographes vietnamiens qui se fonde uniquement sur les fréquences d’apparition et qui donne des résultats non satisfaisants. Notre démarche consiste tout d’abord à relever tous les mots que le chercheur estime originaires de l’étranger, puis à les considérer de plusieurs points de vue, linguistique d’abord (phonologique, morpho-syntaxique, sémantique et graphique aussi) et sociolinguistique ensuite pour établir les critères d’assimilation, et notamment pour étudier les dimensions sociolinguistiques qui sous-tendent ce phénomène. Nous partageons entièrement le point de vue de G. Bibeau, selon
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qui “ il devient impossible d’expliquer les emprunts sans considérer toutes les dimensions, tous les éléments auxquels ils peuvent se rattacher, dans une attitude pleinement descriptive, la plus objective et la plus complète possible ” (Bibeau G., 2000 : 11). Dans le cadre de cet article, nous présentons quelques résultats des analyses que nous avons effectuées sur l’emploi de mots d’origine étrangère dans la pratique lexicale en langue vietnamienne : - des discours glottopolitiques officiels et des discours d’experts qui concernent l’analyse cette problématique. Cette analyse nous permettra d’identifier la préoccupation générale de la société face au problème en question et de faire des observations critiques de la situation sociolinguistique de la pratique lexicale en langue vietnamienne. - l’analyse d’un corpus constitué de 6 hebdomadaires, nationaux et régionaux, d’informations générales et de grande diffusion. Cette analyse montrera les tendances socio-langagières du milieu journaliste- l’appellerons avec J.-B. Marcellesi & B. Gardin (1978) nous locuteur collectif-dans sa pratique lexicale.
2. Le discours glottopolitique officiel et les discours d’experts : 2.1. Le discours officiel : 2.1.1. “ Quelques règlements sur l’orthographe utilisée dans les manuels élaborés pour le programme de réforme éducative ” (1980) : Après la réunification du pays en 1975, les autorités sont amenées à résoudre bien des problèmes dus aux différences des deux entités politiques opposées des deux parties du pays qui existaient pendant plus de 20 ans, depuis l’accord de Genève en 1954. Les questions glottopolitiques sont vite apparues dans les plans d’action du gouvernement : le 30 novembre 1980, le Ministère de l’Education et du Comité des sciences sociales du Vietnam ont promulguéQuelques règlements sur l’orthographe utilisée dans les manuels élaborés pour le programme de réforme éducative l’orthographe utilisée dans les manuels en cours d’élaboration homogénéiser, visant à “ pour le programme de réforme éducative ”. Ce document impose l’orthographe des mots vietnamiens, celle des noms propres vietnamiens et étrangers ainsi que l’emploi du trait d’union. Il présente brièvement (en 4 lignes) la façon de transposer les terminologies des langues étrangères en langue vietnamienne. En général, il s’agit d’un travail de caractère sommaire et provisoire pour répondre à temps aux besoins posés par l’homogénéisation orthographique des manuels scolaires qui étaient en élaboration. 2.1.2. “ Les règlements sur l’orthographe et la terminologie vietnamiennes ” (1984) :Prenant conscience queQuelques règlements...ne couvrent pas toutes les activités socio-langagières, le Ministre de l’Education a signé le 25 décembre 1982, avec le consensus du Ministère de l’enseignement supérieur, de l’Institut des Sciences du Vietnam et du Comité des Sciences sociales, les actes de décision n° 2000/QD et 2001/QD, fondant respectivement leConseil d’examen des règles communes de transposition des terminologies utilisées dans les manuels élaborés pour le programme de réforme éducative(appeléConseil de standardisation terminologique) et leConseil d’examen des règles de l’orthographe utilisée dans les manuels élaborés pour le programme de er réforme éducative(appeléConseil de standardisation orthographique juillet). Le 1 1983, ces deux conseils ont achevé l’élaboration des règlements concernant l’orthographe du vietnamien et la terminologie des sciences en vietnamien pour les soumettre au Ministre de l’Education et au Président du Comité des Sciences sociales du Vietnam. Le 5 mars 1984, le Ministre de l’Education a signé l’acte de décision n° 240/QD promulguantLes règlements sur l’orthographe et la terminologie vietnamiennes, qui sont “ en grande partie la réaffirmation deQuelques règlements... promulgués en 1980, à l’exception de certaines rectifications ”.
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Ce nouveau texte comprend 2 parties distinctes. Dans la première partie, celle des règlements sur l’orthographe vietnamienne, sont traités les problèmes d’orthographe posés par les unités vietnamiennes ayant plus d’une forme graphique et par les noms propres, étrangers et vietnamiens. Dans la deuxième partie, celle des règlements sur la terminologie vietnamienne, le document mentionne 2 types de termes scientifiques (ceux importés de langues étrangères et ceux formés d’éléments vietnamiens) en dictant les procédés orthographiques à suivre. 2.1.3. Colloque national sur l’utilisation et la transcription des mots étrangers (1999) : En 1999, le Comité de la Culture et de l’Education de l’Assemblée Nationale a chargé l’Institut de Linguistique d’élaborer les règlements d’utilisation et de transcription des mots étrangers. Un colloque national s’est tenu à Hanoi le 12 novembre 1999. Il est cependant regrettable que cette manifestation ne publie aucun document présentant ses communications, ainsi que les Règlements sur la transposition de mots étrangers en vietnamien (projet) présentés lors de ce colloque en vue d’obtenir des suggestions et rectifications. Depuis cette date, seules quelques interventions remaniées de linguistes sont publiées dansTap chi Ngôn ngu (Revue de linguistique). Sur un autre plan, législatif, il faut noter que l’Assemblée nationale a adopté, le 12 juin 1999, l’amendement de la loi de presse, où l’on peut trouver dans l’article 6 concernant les devoirs et droits de la presse, la sentence 5 : “ la presse doit contribuer à la préservation de la clarté de la langue vietnamienne ainsi que des langues des minorités ethniques au Vietnam ”. 2.2. Les discours d’experts : Avant le colloque de 1999, les articles et ouvrages qui traitent du phénomène d’utilisation de mots étrangers dans la langue vietnamienne peuvent être comptés sur les bouts des doigts, et la plupart sont centrés sur la description desemprunts établiset des terminologies scientifiques. A la veille du colloque, une série d’articles d’experts ont été publiés dans les quotidiens et périodiques régionaux et nationaux. La plupart d’entre eux mettent l’accent surtout sur les questions posées par la transcription des toponymes et des anthroponymes, reléguant ainsi au plan secondaire, ou même effaçant entièrement, le phénomène d’emprunt de mots de la vie quotidienne à des langues étrangères. Pourtant, on peut trouver un article qui l’aborde de front (cf. Lê Trung Thành, 1999). Les arguments sont très divergents, et les solutions proposées le sont également, mais ce qui est commun entre eux, ce sont les jugements de l’état actuel d’utilisation de mots étrangers dans la langue vietnamienne. Les qualifications telles quelôn xôn(en salade), tùy tiên (anarchique), lam dung(abusif), sinh chu(manie de mots considérés comme relevant des savants), bùa bai(déréglé), trân dô bat quai(labyrinthe), révèlent l’acuité des problèmes posés à la langue vietnamienne quand elle entre en contact avec des langues étrangères. “ On est en train de transformer notre langue en [parlers de constructeurs de] la tour de Babel ”, “ on est en train de ‘‘massacrer’’ [traduction littérale] la langue vietnamienne ” pour parler comme Duong Tuong (2001 : 32). 2.3. Quelques observations critiques :De ces productions métalangagières on peut dégager quelques observations suivantes : Les activités glottopolitiques tournent autour de celles des deux conseils créés en 1982. Comme l’indiquent leurs noms, ces deux conseils s’intéressent particulièrement à la standardisation de l’orthographe vietnamienne et à celle de la terminologie scientifique en vietnamien. Dans leurs discours directifs et prescriptifs, il n’y a aucune place réservée aux problèmes posés par l’emploi de mots d’origine étrangère désignant les choses de la vie quotidienne. Quant à la littérature linguistique, les attentions des experts sont en très grande partie centrées sur la graphie des toponymes et des anthroponymes, tellement que le termetu ngu nuoc ngoai (mots étrangers) utilisé pour désigner presque exclusivement les noms de lieu et de est personne. Cette ambiance révèle que l’importance attribuée au phénomène de mélange lexical n’est
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pas suffisante pour refléter la situation alarmante de l’emploi de mots étrangers que plusieurs auteurs ont remarquée. Tout fait penser que la questioncomment écrire les toponymes et les anthroponymes étrangersest plus importante que cellepourquoi employer les mots étrangers pour désigner les choses vietnamiennes ou vietnamisées, et qu’il suffirait de résoudre le problème d’orthographe des toponymes et des anthroponymes pour trouver les solutions à la préservation de la clarté de la langue vietnamienne. 3. La pratique lexicale en tant que pratique socio-langagière Ayant comme objet de recherche les unités relevant d’un autre système linguistique, l’étude de l’emploi des mots étrangers s’inscrit inévitablement dans la problématique de l’emprunt linguistique. On peut donc constater facilement que ce phénomène socio-langagier a d’abord pour fonction de combler les lacunes lexicales. Les termes scientifiques et techniques nouveaux sont le plus souvent formés à partir des termes étrangers : certains reprennent provisoirement la forme originale avant qu’un équivalent vietnamien apparaisse et s’enracine dans l’usage (downloadprécèdetai xuông,ete-mail thu diên tu...), d’autres s’éternisent dans leurs formes étrangères (HIV, AIDS,dioxin(pourdioxine),caroten(pourcarotène)... ). Toutefois, pensant avec W. Labov que “ les traits sociolinguistiques caractérisent divers sous-groupes dans une communauté linguistique hétérogène et permettent de dire la même chose de plusieurs façons différentes ” (1976), nous remarquons que derrière l’emploi de mots étrangers se cachent plusieurs stratégies socio-langagières. N’étant pas toujours la solution à la lacune lexicale de la langue d’accueil, il est encore considéré comme : - :un acte de modernisation de la languecette figure est très habituelle surtout dans les terminologies de différents domaines. A côté des emprunts nouveaux qui consistent à combler les lacunes lexicales et répondent donc aux besoins communicatifs, il y a des emprunts, à l’anglais notamment, qui visent à remplacer une unité existante, vietnamienne ou d’origine chinoise : ainsi violon, parfoisviolin, remplacentvi câm, mot d’origine chinoise complètement vietnamisé. En voici quelques exemples : Ancienne appellation Nouvelle appellation design kê thiêtdesign galleryphòng tranhgallery(avec ou nontranh) gas khi dôt, gagas héroïne (fr.) phiên bachheroin hormone (fr.) thich tô kichhoocmôn (hooc-môn...) virus (fr.)siêu vivirus (virut, vi-rut) vitamine (fr.)sinh tôvitamin Cette figure peut être conçue comme un effort d’aménager linguistiquement les terminologies existantes. En effet, les éléments sino-vietnamiens servant de base à la formation terminologique ancienne semblent incommodes pour le développement rapide des terminologies (chaque syllabe est une unité significative, ce qui fait que chaque terme est très “ motivé ”), et le recours aux formes occidentales, notamment anglaise et française, apparaît comme une solution prédominante, par effet de mode peut-être, mais aussi par économie de temps. -une marque d’identité d’une couche sociale :cette figure est souvent utilisée dans les reportages. Le journaliste veut reproduire dans son discours journalistique l’énonciation des acteurs en réemployant les termes considérés comme spécifiques à leurs catégories socio-professionnelles. Le lecteur peut trouver jonchés dans les rubriques de spectacles les mots tels quecatsêcomme si son
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équivalent vietnamientiên thù laoétait réservé à d’autres types de travail et n’avait donc pas assez de charge sémantique pour désigner la somme qu’un acteur gagne contre sa représentation. - une : marque d’incompétence du locuteur dans la langue maternelle Cet exhibitionnisme “ linguistique ” vise à montrer l’incapacité du locuteur à s’exprimer dans sa langue maternelle et, à l’occasion, à déployer sa capacité à maîtriser une langue étrangère. Cette stratégie, souvent considérée comme pédantesque, vise à créer au locuteur du prestige vis-à-vis de son interlocuteur. Dans ce sens, l’emploi de mots étrangers est une marque de supériorité. Cette marque d’incompétence devient donc une marque de supériorité. Le locuteur préfère par exemplephim actionàphim hành dông d’action], [filmnhac dance ànhac khiêu vu de danse]. Cette [musique figure rejoint en quelque sorte ce que L. Deroy appelle “ emprunt de luxe ” (1956 : 171-172). -une marque de conversion en anglophiles: Bien des emprunts, d’origine française, établis depuis longtemps dans la langue vietnamienne sont menacés par l’usage de leurs équivalents anglo-américains. Cette tendance d’arrivistes peut être facilement identifiée dans les interactions verbales quotidiennes des employés qui travaillent pour les entreprises étrangères. Ainsiboxingrepousse peu à peudanh bôc[boxe] ;billiardsremplacebi daetbi-a, mots empruntés àbillardetgasl’emporte surgaen provenance degaz. -une marque d’identité socio-géographique :habitants des deux bouts du pays pratiquent  les différemment l’emprunt aux langues étrangères : il y a bien des cas où, pour désigner une chose, ceux du Nord choisissent d’emprunter une unité d’origine étrangère, alors que ceux du Sud se contentent d’employer les unités autochtones, et vice versa. Ce fait constitue donc une sorte d’indicateur d’identité socio-géographique du locuteur. De là le phénomène de conversion sociale : dans les propos des journalistes du Sud, lerail presque systématiquement devientray, conformément à la prononciation des gens du Nord, tandis que l’occurrencerâ`y la selon prononciation des gens du Sud est très rare même dans le corpus du Sud. D’une part, ce phénomène reflète la suprématie de la dialectologie nordiste ; d’autre part, il devient un facteur fédérateur de l’unification linguistique du pays. -un facteur fédérateur de la langue nationale :les prononciations des gens du nord et du sud, on le sait, sont différentes l’une de l’autre. Si en général la prononciation des gens du nord n’arrive pas à distinguer, à titre d’exemple, les /r/, /z/ et /j/, ceux du sud ne peuvent pas prononcer les /n/ et /t/ finales des mots vietnamiens. Mais dans certains mots empruntés, on voit se rejoindre les locuteurs de ces deux régions :met(mètre),cang tin(cantine) ;radiô(radio),rúp(rouble) ; - : aussi une manifestation de la conscience linguistique de la masse populaire maisLa masse populaire ne suit pas toujours les emplois prescrits par les institutions : naturellement, elle choisit ceux qui présentent plus de commodité surtout dans la prononciation. Le termeSIDA, à titre d’exemple, est déconseillé au profit deAIDS (parce qu’on veut réserver cette graphie-là à l’ONG suédoise de même nom qui offre beaucoup d’aides au Vietnam) est choisi dans la pratique orale de la grande masse. 4. La pratique lexicale observée sous l’angle de la graphie Du point de vue structural, “ langue et écriture sont deux systèmes de signes distincts ; l’unique raison d’être du second est de représenter le premier : l’objet linguistique n’est pas défini par la combinaison du mot écrit et du mot parlé, ce dernier constitue à lui seul cet objet. ” (Saussure, 1972 : 45). Adoptant un autre positionnement théorique qui prend en compte les éléments extra-linguistiques, nous trouvons que l’étude de la graphie des mots empruntés nous procure des éléments extrêmement intéressants qui contribuent à expliquer le phénomène de changement sociolangagier, comme ce qu’a remarqué B. Gardin : “ le scripteur donne un élément de son identité, contribue au changement sociolinguistique, tout en utilisant l’écrit à une fin spécifique ” (B. Gardin, 1999 : 109).
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4.1. La graphie comme terrain de discrimination linguistique : Du point de vue sémiotique, pour les locuteurs vietnamiens qui s’habituent à voir et écrire séparément les syllabes d’une unité lexicale de leur langue (bô dôi, par exemple), la présence de trait(s) d’union mis entre les syllabes d’un mot emprunté, ou l’absence de l’espacement entre elles ont pour conséquence de signaler aux lecteurs qu’il s’agit d’une unité exogène, et ainsi le lecteur reconnaît d’emblée la xénité de cette unité à ces marques typographiques, ce qui n’est pas le cas dans un corpus oral : Ex :bêtông/bê-tông(pourbéton) ;va-li/vali(pourvalise)... Ces marques typographiques empêchent donc les unités d’origine étrangère de s’intégrer entièrement dans la langue d’accueil ; elles rappellent en permanence leur xénité (notamment pour les emprunts aux langues européennes, car les emprunts au chinois sont écrits à la vietnamienne) même si elles sont régulièrement utilisées par les locuteurs d’une communauté linguistique. 4.2. La graphie comme indicatrice d’appartenance socioculturelle du scripteur : “ Dis-moi comment tu écris, je te dirai qui tu es ”. Nous avons remarqué dans le corpus bon nombre d’unités d’origine étrangère qui sont entièrement assimilées à la langue d’accueil du point de vue linguistique (phonologique, morpho-syntaxique) mais qui résistent peu ou prou à l’assimilation orthographique. Ce phénomène est évidemment imputable aux scripteurs, qui gardent encore en leurs mémoires l’origine étrangère des emprunts. Dans ce cas, on peut dire que la graphie révèle l’identité socioculturelle du scripteur. L’écriture descandaleau lieu dexì cang danpar exemple fait savoir que son scripteur fait partie du monde francophone. 4.3. L’incidence de la graphie des mots d’origine étrangère sur l’orthographe de mots vietnamiens : les cas de viba, basa, phalê. Mot sino-vietnamien,vi ba micro onde) est écrit plus d’une fois, dans (littéralement : quelques publications, en syllabes aboutéesviba, à la manière des mots d’origine européenne. Il en est de même pourpha lê qui apparaît à plusieurs reprises sous cette forme européenne, (cristal), mais dans un seul article. Ce qui paraît ridicule, c’est le cas debasa : mot (poisson chat) vietnamien, il finit par adopter cette écriture exogène dans plusieurs publications, d’informations générales ou spécialisées. Ce phénomène n’est pas sans rapport avec la nouvelle pratique orthographique des mots d’origine étrangère, et il est encore trop tôt pour savoir si on pourrait le concevoir comme une tendance nouvelle de l’orthographe du vietnamien. 4.4. La presse, un “ fasciste ” linguistique : Le rôle de filtre linguistique de la presse se manifeste dans le fait qu’elle rectifie et contrôle l’usage langagier, en l’occurrence les mots étrangers empruntés par d’autres types de locuteurs que celui des journalistes : ainsi, dans le milieu de praticiens (ouvriers, mécaniciens... même les simples particuliers), on entend dire beaucoup de termes spécialisés d’origine étrangère, tels quecô dê (collier), la phông(plafond), xê lang(plancher), cu roa(courroie), na mô di(dynamo), mô tua (moteur)..., les mots qu’on n’a pas rencontrés, ou rarement, à l’écrit, même dans les dictionnaires de la langue vietnamienne. Quoique jargons, ils entrent dans la vie langagière quotidienne et méritent d’être comptés parmi d’autres unités. Apparemment, ce contrôle donne à croire que la presse lutte pour la sauvegarde de la clarté de la langue nationale. Toutefois, on trouve rapidement son revers : tout en contrôlant l’usage langagier de la communauté, la presse impose le sien aux lecteurs, aussi bien au niveau de l’emploi qu’au niveau de la graphie des unités employées. Elle importe beaucoup de mots dont les équivalents vietnamiens fonctionnent sans problème depuis longtemps. Est-il nécessaire de dire
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nhac dance(musique de danse),diva, festival...alors que le vietnamien dispose respectivement de nhac khiêu vu, nu danh ca, liên hoan...? Est-il judicieux d’écriredollar (dollars)etscandalealors qu’on prononce à l’unanimitédo’laetxi’cang’dan,c’est-à-dire entièrement à la vietnamienne ? Ici nous partageons avec Richard-Zapella l’inquiétude sur le rôle “ fasciste ” de ce type de locuteurs, “ la société médiatique, sorte de tribunal sociolangagier... Exerçant ainsi son contrôle sur les codes, sur les moyens de communication et sur les modes de décodage et d’interprétation du message, la classe médiatique joue au ‘‘maître d’école’’, pose les questions, rejette les ‘‘mauvaises réponses’’ et fustige ensuite les ignorants ” (J. Richard-Zappela, 1990 : 179). 5. Pour ne pas conclure L’emprunt est un phénomène universel de toute époque, et les études portant sur lui sont nombreuses. Pourtant, il semble que la plupart se positionne sur le point de vue à la fois descriptif et prescriptif, qui pose a priori les critères d’un mot d’emprunt au service de la constitution d’un inventaire d’emprunts et de leurs descriptions. Quoique universel, ce phénomène exige des procédés spécifiques pour chaque langue d’accueil, car celle-ci constitue un élément non négligeable de l’intégration d’un mot étranger. Il paraît donc nécessaire d’opter pour une démarche sociolinguistique centrée sur les realia (corpus authentiques en une langue déterminée) et les éléments extra-linguistiques qui interviennent dans le processus de circulation et d’implantation de ces unités exogènes. Cette approche nous semble plus fructueuse au sens que nous pouvons construire des outils pertinents pour distinguer les xénismes des emprunts établis et pour découvrir des dimensions cachées derrière les pratiques lexicales. Bibliographie BIBEAU G. (2000) : “ L’évolution du statut de l’emprunt linguistique ”, dans Latin D & Poirier C. (2000). DEROY L. (1956) :L’emprunt linguistique, Paris, les Belles Lettres. DUBOIS J. & ALII (1994) :Dictionnaire de linguistique et des sciences du langage, Paris, Larousse. DUONG TUONG (2001) : “ La langue vietnamienne S.O.S ” dans l’hebdomadaireSports & Cultures, n° 15 (20 février 2001), Hanoi (en vietnamien). GARDIN B. (1999) : “ L’esprit de la lettre ”, dansPanoramiques, n° 42, 1999,L’ortografe ? C’est pas ma faute !Courbevoie (France), Editions Corlet. KLEBER G. (1981) : : description définies et noms propresProblèmes de références, Paris, Klincksieck. LE TRUNG THANH (1999) : “ L’inconscience dans l’emploi excessif de mots étrangers ” dans l’hebdomadaireEducation et Epoque, n° 97 (13 novembre 1999), Hanoi (en vietnamien). MARCELLESI J.B. & GARDIN B. (1978) :Introduction à la sociolinguistique La linguistique sociale, Paris, Larousse. RICHARD-ZAPPELA J. (1990) : “ Qu’est-ce qu’un noyau dur ? ou Comment les médias se constituent en tribunal du sens ” dansLangage et Praxis, Actes du Colloque à Montpellier 24, 25 et 26 mai 1990. TRAN THANH AI (2003) : contribution à la définition de l’environnement linguistique du“ Une Vietnam. Vers une étude sociolinguistique de l’emploi des mots étrangers dans la presse vietnamienne ”,Actes du séminaire régional de Phnom Penh (Cambodge) du 2 au 5 décembre 2002, Publication de l’AIF & l’AUF.
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