Thomas Gage parmi les Naguales - article ; n°1 ; vol.11, pg 5-31
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Description

L'Homme - Année 1971 - Volume 11 - Numéro 1 - Pages 5-31
27 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1971
Nombre de lectures 33
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

Extrait

Julian Pitt-Rivers
Thomas Gage parmi les Naguales
In: L'Homme, 1971, tome 11 n°1. pp. 5-31.
Citer ce document / Cite this document :
Pitt-Rivers Julian. Thomas Gage parmi les Naguales. In: L'Homme, 1971, tome 11 n°1. pp. 5-31.
doi : 10.3406/hom.1971.367151
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/hom_0439-4216_1971_num_11_1_367151THOMAS GAGE PARMI LES NAGUALES
Conceptions européenne et ma/a de la sorcellerie
par
JULIAN PITT-RIVERS
Faut-il croire l'ethnographe ? Son récit n'est qu'un témoignage dont la valeur
ne sera jamais plus grande que celle du témoin. On sait bien que l'investigateur
ne retrouve sur le terrain que ses propres conceptions, ne répond qu'aux questions
que sa propre culture aura formulées, n'observe que ce qu'il est capable de décrire,
ne rapporte, au mieux, qu'une image partielle prise du « nid de pie » érigé sur
les superstructures de la société qui est la sienne. Cependant on a facilement
tort en refusant de le croire. Sans doute ne manque-t-on pas d'exemples dans
l'histoire de l'anthropologie de chercheurs qui ont refusé d'admettre le témoignage
que leur propre système ne savait pas assimiler ; Malinowski lui-même, le père
du fieldwork, acculé par les témoignages des Trobriandais, les a esquivés en par
lant à! anomaly . Mais combien plus nombreux sont ceux qui ont escamoté les
données de leurs collègues, qui parfois n'étaient plus là pour répondre. Même
celui qui retourne sur le terrain d'un autre n'y retrouve pas la même réalité1.
Si l'ethnographe est victime de ses propres conceptions, il n'est pas le seul ;
son critique, le théoricien, l'est encore davantage. Ce n'est donc qu'avec une
extrême prudence qu'on osera mettre en doute la parole de l'ethnographe, car,
en admettant qu'elle soit erronée, on risque, en essayant de la corriger, d'aggraver
l'erreur.
Ceci dit, il faut néanmoins reconnaître qu'on est bien obligé d'analyser les
rapports ethnographiques pour pouvoir les utiliser à des fins théoriques, et
l'analyse implique leur évaluation. Il devient ainsi non seulement permis mais
obligatoire de rendre compte du cadre conceptuel de l'observateur pour établir
les limites de ce qu'il était capable de comprendre. C'est à cette fin que répond
la présente tentative d'évaluer les écrits de Thomas Gage au sujet de la sorcellerie.
i. Le désaccord entre Robert Redfield et Oscar Lewis au sujet de la réalité de Tepoztlân
est célèbre. Ceux qui s'y intéressent ne devraient pas manquer de se reporter à la tentative
ingénieuse d'Eric Wolf de donner raison aux deux ; cf. Alpha Kappa Deltan, i960, XXX (1). JULIAN PITT-RIVERS
Thomas Gage est certainement le plus curieux des personnages qui figurent
parmi les chroniqueurs des Indes. Né en 1603 dans une famille de pieux catho
liques anglais, il était destiné par son père à la Société de Jésus et à cette fin il
fut envoyé en France. Mais il ne se plaisait pas chez les jésuites et s'échappa
de son couvent pour entrer chez les dominicains. Il termina ses études en Espagne
d'où il s'embarqua avec une mission de moines de son ordre à destination des
Philippines. Arrivé à Mexico et goûtant peu ce qu'il entendait dire de sa desti
nation, il s'enfuit avec trois camarades au Chiapas. Là, les quatre fugitifs se
firent bien accueillir par le prieur dominicain, heureux de voir renforcer de cette
façon inespérée la faction espagnole à l'intérieur de sa mission. Pendant les
douze années suivantes il fut frère dans le couvent dominicain de Guatemala
Antigua, puis curé de trois communautés indiennes : à Pinola et Mixco près de
l'actuelle capitale du pays, ensuite à Amatitlân et finalement à Petapa d'où il
s'enfuit encore une fois pour rentrer en Angleterre. Sa foi catholique s'y éteignit
par la suite et il se fit protestant, allant même jusqu'à dénoncer à la répression
politique un certain nombre de ses anciens coreligionnaires. Il écrivit son livre1
une dizaine d'années plus tard dans l'intention de convaincre Cromwell de tenter
la conquête de l'Amérique Centrale. Le récit de Gage est parmi les meilleurs
textes que nous possédons sur la première moitié du xvne siècle dans cette région
du monde et, si l'on en croit J. Eric S. Thompson, d'une grande exactitude2,
mais sa description de la sorcellerie ne semble guère avoir attiré l'attention des
américanistes3. Pourtant elle est pleine d'intérêt, car Gage ne nous donne pas
simplement un abrégé de la croyance indienne, mais raconte, selon la bonne
méthode de l'ethnographie moderne, des case-histories qu'il a recueillies dans la
langue indienne qu'à son dire il parlait très bien.
S'il était d'un caractère insolite et d'une conduite équivoque, Gage était
bien un homme de son époque et les crises de conscience qui l'ont conduit à
l'apostasie tenaient précisément à sa passion pour les problèmes théologiques de
son temps qui était, ne l'oublions pas, la grande époque de la sorcellerie aussi
bien chez les protestants que chez les catholiques. Il ne manque pas de pratique
1. Thomas Gage, The English American [...] or a New Survey of the West India's, London,
1648.
2. Thomas Gage's Travels in the New World, ed. with an introduction by J. Eric S. Thomps
on, University of Oklahoma, Norman, 1958 : xlvi. Néanmoins, Thompson trouve l'occasion
d'apporter un nombre considérable de corrections au texte dans ses notes explicatives et
va jusqu'à accuser Gage de mensonges prémédités.
3. A l'exception de D. Brinton (Essays of an Americanist, Philadelphia, 1890 : 170)
qui la commente sans discernement. Foster (cité infra, p. 28, n. 4) la mentionne dans une
note en bas de page. GAGE PARMI LES NAGUALES 7
dans le maniement des concepts relatifs au sujet, mais, dans sa rencontre avec
la croyance indigène, Gage n'est pas un simple observateur, c'est un combattant.
Un esprit moins préoccupé par la théologie de sa propre culture et, partant,
plus flexible, aurait peut-être mieux saisi une pensée autre que la sienne.
Les incidents concernant la sorcellerie sont au nombre de trois dans le livre
de Gage. En voici le résumé :
1) Parmi les sorciers de Pinola figure une vieille veuve, Marta de Carrillo,
la plus pauvre du village (Thompson, op. cit., p. 270). Avant l'arrivée de Gage
elle a déjà été accusée de sorcellerie, mais les magistrats espagnols l'ont acquittée.
Là-dessus elle ne fait que redoubler ses activités néfastes. Plusieurs de ses victimes
dépérissent et meurent en déclarant l'avoir vue à leur chevet dans une attitude
menaçante, bien qu'inaperçue des autres personnes présentes à la scène. Gage
entame un procès contre elle ; les témoignages affirment qu'autrefois elle avait
l'habitude de se promener en compagnie d'un canard qui la suivait jusqu'à la
porte de l'église et l'attendait à l'extérieur. Les chiens qu'on envoyait poursuivre
ce canard en avaient peur et le fuyaient, car, conclut Gage, c'était son démon
familier.
Pendant que le curé mène son enquête, Marta vient se confesser en lui apport
ant, malgré son indigence, une offrande de Pâques particulièrement somptueuse.
Gage écoute sa confession, puis l'interroge au sujet des accusations portées
contre elle et lui demande comment elle avait pu trouver de quoi lui faire un
si beau cadeau. Elle prétend que Dieu l'aime et lui fournit tout ce dont elle a
besoin, mais Gage est d'un autre avis sur l'identité du pouvoir qui lui vient en
aide et lui refuse la communion. Rentré chez lui il trouve que les aliments
appétissants qu'elle lui a offerts ont tous pourri et que l'argent, les quatre
reaies, ont disparu de sa poche comme par enchantement. La nuit suivante
Gage est affligé par un esprit frappeur qui fait un vacarme terrifiant et claque
toutes les portes de sa maison. Le fiscal, secrétaire indien de l'église, lui explique
que Marta a l'habitude de jouer ainsi de mauvais tours à ceux qui l'ont contrariée.
D'autres Indiens, les chefs de la communauté, l'assurent que la veuve Carrillo
s'est vantée qu'elle se vengerait du curé ; pour libérer la ville d'un tel suppôt
de Satan, Gage la fait envoyer devant les autorit

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