Tocqueville « pessimiste public » ? - article ; n°61 ; vol.18, pg 5-18
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Description

Romantisme - Année 1988 - Volume 18 - Numéro 61 - Pages 5-18
14 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1988
Nombre de lectures 16
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Madame Françoise Mélonio
Tocqueville « pessimiste public » ?
In: Romantisme, 1988, n°61. pp. 5-18.
Citer ce document / Cite this document :
Mélonio Françoise. Tocqueville « pessimiste public » ?. In: Romantisme, 1988, n°61. pp. 5-18.
doi : 10.3406/roman.1988.5508
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/roman_0048-8593_1988_num_18_61_5508Françoise MÊLONIO
Tocqueville « pessimiste public » ?
Le métier de Cassandre n'est pas toujours ingrat. A Tocqueville, le plus
célèbre de nos « pessimistes publics », nos contemporains trouvent aujour
d'hui un grand charme de mélancolie douloureuse. On le cite, beaucoup, et
on le tire à soi dans les débats politiques ou les colonnes de nos journaux.
Mais pessimiste, Tocqueville l 'était-il vraiment ? Sans doute la nostalgie des
valeurs aristocratiques lui donnait-elle le style découragé. Petit-fils de guil
lotiné, il tenait encore à cette France vieillarde des légitimistes qui, sous la
Restauration, pleuraient aux veillées la mort de Louis XVI. Il en hérita le
mépris pour le « pot-au-feu bourgeois », offrant un patronage noblement
distingué à la morosité de tous ceux qui aujourd'hui constatent, ou croient
constater, que de jour en jour la vie enlaidit, la culture décroît ou déchoit,
la jeunesse se corrompt a. Découragé, Tocqueville l'était plus encore par
la résurgence dans la France démocratique du « despotisme » napoléonien.
Par là il nous semble avoir discerné, le premier, les risques du despotisme
moderne de l'ère des masses. Mais sans doute noircissons-nous sa pensée.
Comment ne pas superposer à l'œuvre sa redécouverte, en 1945, à l'épreuve
du totalitarisme 2 ? Quelle place tient donc dans le système conceptuel de
Tocqueville cette vision affligée du monde qu'on lui prête si obstinément?
A lire conjointement l'œuvre et la correspondance 3 qui l'éclairé, on est sur
pris plutôt de l'incertitude de Tocqueville. Epistémologiquement, il récuse
le déterminisme du pire ; politiquement il prône un libéralisme héroïque
qui se refuse à s'avouer jamais vaincu.
Plus que par l'œuvre, c'est par les mutations intellectuelles de la fin du
XIXe siècle qu'il faut expliquer cette mémoire ombreuse qui donne à Tocq
ueville la figure de libéral chagrin que nous lui connaissons.
LE PIRE N'EST PAS TOUJOURS SUR
OU LA NATURE DE LA DEMOCRATIE
La modernité, un multiple désastre
On démembre souvent l'œuvre de Tocqueville : d'un côté De la démoc
ratie en Amérique (1835 et 1840), qui inaugure une sociologie fondée sur
l'étude synchronique des sociétés ; de l'autre, L'Ancien Régime et la Révo- 6 Françoise Mélonio
lution (1856), étude diachronique sur l'émergence de la démocratie en
France. Tocqueville a pourtant sans relâche affirmé l'unité de son œuvre :
unité temporelle puisque la réflexion historique s'amorce dès le premier
texte sur l'Ancien Régime en 1836, tandis que l'étude de l'Amérique se
poursuit dans la correspondance de Tocqueville avec ses amis américains
jusqu'à la veille de la guerre civile. Unité conceptuelle surtout puisque, dans
des champs divers, se déploie une seule méditation, obsessionnelle, sur l'effo
ndrement de l'ordre ancien de la dépendance religieuse, politique et sociale.
Quelles sont les composantes de ce multiple désastre ? C'est d'abord,
plus brutal en France que partout ailleurs, le divorce entre la religion et le
monde moderne. L'alliance du trône et de l'autel nouée sous l'Ancien Régime
et renouée sous la Restauration a entraîné l'Eglise dans la ruine de la
monarchie. Seule une séparation de l'Eglise et de l'Etat pourrait éteindre
les haines engendrées par cette collusion ancienne du religieux et du poli
tique. Mais cette séparation était impensable dans la France du xixe siècle,
et Tocqueville s'évertua en vain à la promouvoir 4.
Il y a pis pourtant que cette adhérence historique et conjoncturelle de
l'Eglise à l'ordre politique ancien : entre la dépendance religieuse et la dépen
dance politique, le lien n'est pas que de hasard, il est de nature. La chro
nologie même en témoigne. De ce que le principe individualiste et égalitaire
du libre examen est apparu dès le xvr8 siècle avec la Réforme, bien avant
de se manifester dans l'ordre politique avec la Révolution, il faut conclure
que la chute de la monarchie a favorisé, mais non créé, le déclin de la foi.
Et donc que l'évacuation de la transcendance divine est l'équivalent religieux
de l'évacuation de la dépendance politique. Du catholicisme au protestan
tisme puis au déisme puis au panthéisme ou au matérialisme, la glissade
n'est pas moins naturelle que de l'aristocratie à la démocratie, parce que
le sujet était l'autre face du croyant. D'où l'extrême difficulté à échapper
au désenchantement du monde.
Inquiétude conjointe, celle qui porte sur la politique moderne. Nul
mieux que Tocqueville n'a perçu l'opération par laquelle on passe sous la
Révolution de la représentation ancienne des corps à une représentation
artificialiste. Sous l'Ancien Régime le représentant était mandataire d'un
groupe social constitué. Le représentant démocratique est le délégué d'indi
vidus considérés sous le seul aspect de leur similitude, hors de tout lien de
dépendance mutuelle; c'est le délégué du nombre. En résulte la nécessité
d'une instance gestionnaire distincte, d'un appareil d'Etat seul capable de
faire converger les efforts et les inclinations d'une poussière d'individus5.
Cette analyse est menée surtout dans la seconde Démocratie, hantée par
l'ombre de Napoléon, dont, en cette même année 1840, on rapportait les
cendres à Paris dans un regain de ferveur. Tocqueville ne cessera ensuite
de dénoncer la pente naturelle de l'esprit public « vers une sorte de pan
théisme politique qui, retirant à l'individu jusqu'à son existence propre,
menace de le confondre enfin tout entier dans la vie commune du corps
social » e.
Enfin, inquiétude dérivée de la précédente, celle du risque économique
et social qu'engendre la disparition des liens anciens du patronage. On
s'aperçoit après 1830 que la misère est la conséquence inéluctable pour
toute une classe de l'essor industriel et qu'il ne suffit plus de dénoncer
vertueusement l'imprévoyance des pauvres. Tocqueville pourtant, sans voul
oir abandonner cette question « au mépris égoïste et inintelligent de la Tocqueville « pessimiste public » ? 7
majorité conservatrice » 7, ne l'aborde que fugitivement dans ses notes sur
l'Angleterre ou la Démocratie. Son seul écrit sur le paupérisme ne fait
qu'« effleurer très superficiellement et d'une manière fort imparfaite une des
plus grandes questions du monde moderne, sinon la plus grande » 8. De fait,
si la misère résulte d'un déchirement du tissu social, sa prévention relève
de la science politique plus que de l'économie. Qu'on renoue les liens entre
les hommes, qu'on limite l'action délétère d'un Etat dont la toute-puissance
favorise l'individualisme, et la misère s'atténuera.
L'indétermination démocratique
Dans ces inquiétudes sur l'avenir de la religion, du lien politique et du
lien social, faut-il discerner le génie inimitable de Tocqueville ? Non point.
La dénonciation de l'individualisme en ses composantes intellectuelles et
morales était alors un lieu commun. Elle relevait du « parlage incessant de
nos sociétés loquaces », de la rhétorique des publicistes de tous bords, contre-
révolutionnaires, légitimistes, saint-simoniens... Rhétorique pessimiste qui,
du reste, n'empêchait nullement de s'accommoder du monde moderne, ni
même de lui trouver quelque confort. Car « en politique, on peut se payer
de mots, et toujours bien mangeant mourir par métaphore » 9. L'important
est de saisir dans quelle théorie explicative ces inquiétudes s'insèrent : fatal
ité de la décadence ou prospective affectée d'incertit

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