Un cas de palimpseste : sous Deux d un coup (Amândoï) de Rebreanu, Crime et châtiment ? ou Le roman comme fabrique de l homme - article ; n°4 ; vol.76, pg 447-460
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Un cas de palimpseste : sous Deux d'un coup (Amândoï) de Rebreanu, Crime et châtiment ? ou Le roman comme fabrique de l'homme - article ; n°4 ; vol.76, pg 447-460

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Revue des études slaves - Année 2005 - Volume 76 - Numéro 4 - Pages 447-460
Under Rebreanu's Both (Amândoi), Crime and punishment?
The novel Amândoi (Both), published in Romania in 1940, is to be analysed as a rewriting of Dostoevskij's Crime and punishment. Beyond puzzling détails, we acknowledge in both authors the same interrogation on man' s humanity and its limits, as well as the same affirmation of mankind: enduring mankind, in spite of its failures, and in spite of crime, which is usually supposed to deprive man of his humanity. The leader of Romanian realistic school, however, insists on the actual lack of transcendance and love in our world: lack which leads the main character, an original blending of Raskol´nikov and Sonja, to commit suicide – the same suicide of which Raskol´nikov, in the Russian novel, appeared unguilty (Svidrigajlov commit il for him). In an other way, the part played by foreign people and national identity (Russian or Romanian quality) completely changes when Rebreanu writes his Crime and Punishment. In addition to the fact that the common places of détective and crime novel are altered by this reading of the famous Russian novel, some prejudices of Dostoevskij's masterpiece are somehow corrected.
14 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 2005
Nombre de lectures 16
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Monsieur Pierre-Yves Boissau
Un cas de palimpseste : sous Deux d'un coup (Amândoï) de
Rebreanu, Crime et châtiment ? ou Le roman comme fabrique
de l'homme
In: Revue des études slaves, Tome 76, fascicule 4, 2005. pp. 447-460.
Abstract
Under Rebreanu's Both (Amândoi), Crime and punishment?
The novel Amândoi (Both), published in Romania in 1940, is to be analysed as a rewriting of Dostoevskij's Crime and
punishment. Beyond puzzling détails, we acknowledge in both authors the same interrogation on man' s humanity and its limits,
as well as the same affirmation of mankind: enduring mankind, in spite of its failures, and in spite of crime, which is usually
supposed to deprive man of his humanity. The leader of Romanian realistic school, however, insists on the actual lack of
transcendance and love in our world: lack which leads the main character, an original blending of Raskol´nikov and Sonja, to
commit suicide – the same suicide of which Raskol´nikov, in the Russian novel, appeared unguilty (Svidrigajlov commit il for him).
In an other way, the part played by foreign people and national identity (Russian or Romanian quality) completely changes when
Rebreanu writes his Crime and Punishment. In addition to the fact that the common places of détective and crime novel are
altered by this reading of the famous Russian novel, some prejudices of Dostoevskij's masterpiece are somehow corrected.
Citer ce document / Cite this document :
Boissau Pierre-Yves. Un cas de palimpseste : sous Deux d'un coup (Amândoï) de Rebreanu, Crime et châtiment ? ou Le roman
comme fabrique de l'homme. In: Revue des études slaves, Tome 76, fascicule 4, 2005. pp. 447-460.
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/slave_0080-2557_2005_num_76_4_6963UN CAS DE PALIMPSESTE :
SOUS DEUX D'UN COUP {AMÂNDOI) DE REBREANU,
CRIME ET CHÂTIMENT ?
ou
LE ROMAN COMME FABRIQUE DE L'HOMME
PAR
PIERRE-YVES BOISSAU
Université de Toulouse II
« Prudence, de toute façon, mon ami,
prudence ! N'oublions pas que nous
vivons entre hommes et avec des
hommes. »
{Amândoi, 183)
Cet article se propose de lire Amândoi de Liviu Rebreanu, roman roumain
de l'entre-deux-guerres, comme hommage et réponse à Crime et châtiment de
Dostoevskij1. Parfois traité de roman de deuxième rang (« a doua linie2 »), voire
démoli par la critique roumaine (Cälinescu, Al. Piru, N. Manolescu), parce que
lu selon les simples grilles du roman policier, il prend du poids par le dialogue
qu'il instaure, nous semble-t-il, avec le texte dostoïevskien dont il prolonge
l'écho tout en le corrigeant parfois. Le rapprochement a d'ailleurs été effectué
par la critique de l'époque et, en particulier, par Eugen Todoran3.
Résumons Amândoi traduit en français sous le titre Deux d'un coup — le
terme roumain signifie littéralement tous les deux — qui date de 1940 : Un
double crime a été accompli chez des usuriers d'une petite ville roumaine,
Piteçti. Les suspects ne manquent pas. Alors que l'un d'entre eux est en prison
1. Les références au roman dostoïevskien seront données dans l'édition suivante : F.
M. Dostoevskij, Полное собрание сочинений в тридцату томах, t. 6, Leningrad, Nauka,
1973. La traduction française sera celle de Pterre Pascal
2. In Liviu Rebreanu, Opere, t. III, Bucureçti, Academia romana, 2001, p. 1006.
L'expression est de Perpecissius. Cette édition utilisée tout au long de l'article sera abrégée en
Opere.
3 . « Realismul lui Rebreanu nu este dezmin(it nici de romanul Amândoi care trateazä o
problema criminalista ce tinde spre atmosfera dostoievskiana. Aceeasj distanca care exista între
{aranii lui Rebreanu din Räscoala s,i démonii lui Dostoievski din Posedáni se menšine s,i
Solomia din Amândoi s, і Raskol'nikov din Crimà si pedeapsâ. » (E. Todoran, dans Revista
Fundanilor regale, t. IX, n° 12, déc. 1942, p. 559-584 ; cité dans Opere III : 1037).
Rev. Étud slaves, Paris, LXXVI/4, 2005, p. 447-460. PIERRE- YVES BOISSAU 448
pour avoir ramassé à proximité des lieux du crime un gage, Solomia, la servante
des Daniloiu vient spontanément avouer son à Dolga, le juge d'instruction
ambitieux, puis, jetée en prison, elle se donne la mort en s'enfonçant une épingle
dans le cœur.
La critique roumaine s'est relativement peu intéressée à la place de
Dostoevskij dans le cheminement intellectuel de Rebreanu. Sous le régime com
muniste, elle s'est surtout intéressée au rapprochement avec Čexov et Tołstoj
ainsi qu'avec le Dostoevskij des Pauvres gens. Il a pourtant été établi qu'en
1912 Rebreanu avait lu Douce, Récits de la maison des morts et Crime et châti
ment. Il traduira d'ailleurs Douce de l'allemand en roumain. Mais, d'après nos
recherches, la critique roumaine s'est contentée de rapprochements rapides,
impressionnistes. On a vu par exemple dans la Forêt des pendus (Pàdurea spân-
zurafilor) le plus dostoïevskien des romans de Rebreanu. Nous voudrions mont
rer de quelle manière s'installe un jeu entre Crime et châtiment et Amândoi,
mais aussi avec un genre littéraire en plein âge d'or, le roman policier, de sorte
qu'on peut voir dans cette œuvre de Rebreanu une correction des facilités que se
permet le roman policier, pure mécanique4, et ce grâce au roman dostoïevskien.
C'est la fameuse vacuité (goliciunea) que reproche Rebreanu lui-même au genre
policier. C'est un comble alors de l'en accuser.
Tour à tour, nous réfléchirons sur la notion de double crime, puis sur le
crime envisagé, de manière résolument anti-intellectuelle mais aussi asociale -
comme péché pour montrer que les deux romans proposent une sorte de
réflexion narrative sur l'humanité et ses limites. Nous verrons comment l'inhu
manité s'introduit totalement dans le monde du crime et frappe plus que le
criminel, mais aussi quelle place occupe l'étranger dans ce flux d'inhumanité
avant de réfléchir sur le réalisme grâce à la notion d'anti-psychologisme.
I. LE DOUBLE CRIME
On trouve chez les deux auteurs le même point de départ, le - double -
crime, les mêmes figures actancielles sans que ni l'un ni l'autre ne puissent
entrer dans le genre (para- ?)littéraire du policier ainsi que la même réflexion,
par et le roman, de ce que René Girard appellera par la suite la mimétique
de la violence, mise de côté par le roman policier classique et que revendiquera,
au contraire, le roman noir : le meurtre appelle le meurtre. Ce double meurtre
inscrit aussi le de Rebreanu dans le camp des romans policiers, dans la
mesure où le genre policier s'intéresse aux crimes inouïs. Un crime simple ne
saurait l'intéresser. Il faut au minimum qu'il soit double... D'où cette surenchère
du policier, genre fonctionnant comme le fantastique dans une logique du tou
jours plus, de l'inouï, ce qui l'a amené à un point où le sens littéral et la fonction
de représentation vacillent.
Aussi ce double meurtre qui s'inscrit dans l'énigme originelle du titre
fonctionne-t-il en référence à l'auteur avec lequel le genre policier naît vérit
ablement, c'est-à-dire Poe et son Double assassinat de la rue Morgue. Une
phrase souligne dans l'ironie le commerce entre le texte roumain et le récit fon
dateur : « Le double assassinat de la rue de l'Espérance - dublul asasinat din
strada Speranfei - avait un peu redoré le blason de la ville dans les chroniques
4. Opere XVII, p. 308. UN CAS DE PALIMPSESTE 449
judiciaires des journaux de la capitale5. » Restera à éclaircir le changement de
nom de la rue, puisqu'on passe de la Morgue à l'Espérance. Tout fonctionne
donc comme si le roman corrigeait le schéma policier classique en introduisant,
mine de rien, des problématiques dostoïevskiennes dans le trop simple méca
nisme policier (la place de l'homme, le coup de force de toute psychologie, la
largeur de l'homme, l'action délétère de la pensée occidentale...).
C'est d'abord la profession de la victime qui attire l'attention : dans les
deux cas, une usurière est assassinée par celui qui avait engagé des objets chez
elle. Dans les deux cas, surtout, un second meurtre redouble le meurtre de l'usu
rière, exigé par le hasard ou la fatalité. Que dit cette force des choses mise en
place par le texte, si ce n'est que le crime appelle le crime ? Chez Dostoevskij, la
pensée se dégage aisément de la chaîne des

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