VOIR quelques ON chez Louis Althusser, ou l'arbre dévoilant la forêt - article ; n°1 ; vol.86, pg 95-123

Monique Sassier

Description

Langage et société - Année 1998 - Volume 86 - Numéro 1 - Pages 95-123
Cet article illustre certains aspects du modèle VOIR élaboré par Pierre Achard. La première partie présente succinctement ce modèle, ainsi que d'autres outils théoriques utilisés dans l'analyse d'un texte de L. Althusser. Dans deux des exemples étudiés, dont l'interprétation est contrainte, la lecture décèle un effet de persuasion, avec, dans le cas du second, un mouvement argumentatif dont nous proposons une analyse. Le dernier exemple présente une opacification du point de vue du locuteur (L. Althusser) sur un fait qu'il relate. Cette opacification est liée à l'absence de marques formelles contraignant l'interprétation. L'analyse montre pourquoi un lecteur peut prêter à cet énoncé des valeurs diamétralement opposées.
Sassier Monique - SEE some ONEs (voir quelques on) in Louis Althusser's work, or The tree that lets you see the forest.
This article illustrates some of the facets of the VOIR model developed by Pierre Achard. The first part presents the model succintly, along with some other theoretical tools used to analyze a text by L. Althusser. In two of the examples, univocal or leaving little room for interpretation, the reader notices an effect of persuasion and, in the case of the second, a line of argumentation, also analyzed. The last example, however, is equivocal, and what the speaker (Althusser) sees is relatively obscure. This is linked to the absence of formal markers orienting an interpretation. Analysis shows why a reader can therefore lend diametrically opposed meanings to the same statement.
29 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Sujets

• Sociologie, société et politique

Informations

• Publié par: LANGAGE_ET_SOCIETE
• Publié le: 01 janvier 1998
• Nombre de lectures: 10
• Langue: Français
• Poids de l'ouvrage: 2 Mo

Extrait

Monique Sassier
VOIR quelques ON chez Louis Althusser, ou l'arbre dévoilant la
forêt
In: Langage et société, n°86, 1998. pp. 95-123.
Résumé
Cet article illustre certains aspects du modèle VOIR élaboré par Pierre Achard. La première partie présente succinctement ce
modèle, ainsi que d'autres outils théoriques utilisés dans l'analyse d'un texte de L. Althusser. Dans deux des exemples étudiés,
dont l'interprétation est contrainte, la lecture décèle un effet de persuasion, avec, dans le cas du second, un mouvement
argumentatif dont nous proposons une analyse. Le dernier exemple présente une opacification du point de vue du locuteur (L.
Althusser) sur un fait qu'il relate. Cette opacification est liée à l'absence de marques formelles contraignant l'interprétation.
L'analyse montre pourquoi un lecteur peut prêter à cet énoncé des valeurs diamétralement opposées.
Abstract
Sassier Monique - SEE some ONEs (voir quelques on) in Louis Althusser's work, or The tree that lets you see the forest.
This article illustrates some of the facets of the VOIR model developed by Pierre Achard. The first part presents the model
succintly, along with some other theoretical tools used to analyze a text by L. Althusser. In two of the examples, univocal or
leaving little room for interpretation, the reader notices an effect of persuasion and, in the case of the second, a line of
argumentation, also analyzed. The last example, however, is equivocal, and what the speaker (Althusser) "sees" is relatively
obscure. This is linked to the absence of formal markers orienting an interpretation. Analysis shows why a reader can therefore
lend diametrically opposed meanings to the same statement.
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Sassier Monique. VOIR quelques ON chez Louis Althusser, ou l'arbre dévoilant la forêt. In: Langage et société, n°86, 1998. pp.
95-123.
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/lsoc_0181-4095_1998_num_86_1_2840VOIR quelques ON chez Louis Althusser
ou l'arbre dévoilant la forêt1
Monique Sassier
RES-SYIED, Université Paris
INTRODUCTION
Nous nous proposons de donner un aperçu d'une première utilisa
tion qui a été faite du modèle VOIR élaboré par Pierre Achard. Précisons
que ce modèle est beaucoup plus riche que ce que l'on pourra en en
trevoir ici. Nous montrerons sur quelques exemples, tirés d'un texte
de Louis Althusser2, comment une "modalité persuasive" - par exhi
bition d'un sujet-de-connaissance3 - fait brusquement irruption dans
1. Cet article s'inspire pour une large part du mémoire de DE A que nous avons rédigé
sous la direction de Pierre Achard.
2. Écrit en octobre 1963, ce texte intitulé "Marxisme et humanisme" avait déjà fait l'ob
jet de plusieurs publications en 1965 lors de la première édition de Pour Marx et fut à
l'origine d'un débat fort vif au sein du Parti Communiste Français, en particulier sous
l'égide de la revue La Nouvelle Critique, de mars 1965 à février 1966. L'auteur y intro
duit la notion d'"anti-humanisme théorique" comme conséquence d'une rupture épis-
témologique qui serait intervenue chez Marx et qu'il situe en 1845.
3. Les expressions "modalité persuasive" et "sujet-de-connaissance" seront explicitées
plus loin ; notons simplement qu'un sujet-de-connaissance est construit, dans un
énoncé, comme détenteur d'un savoir universel. Outre l'exhibition d'un tel sujet-de-
connaissance, l'introduction d'un argument d'autorité ou une forme interro-négative
peuvent être supports de ce que nous avons appelé "modalité persuasive".
© Langage et société n° 86 - décembre 1998 96 MONIQUE SASSIER
le cours d'une démonstration d'apparence fort rigoureuse4 et comp
ortant peu de marques énonciatives. Ce sont ces marques cependant
qui, lorsqu'elles apparaissent, viennent rompre l'harmonie des idées
claires et distinctes; nous le verrons au travers de l'examen de quelques
occurrences de ON. Ainsi, c'est par l'étude de ces événements discurs
ifs que l'on peut voir que la transparence de la rigueur démonstrat
ive n'est pas absolue; c'est cette constatation que nous avons illustrée
par le sous-titre "l'arbre dévoilant la forêt". Par ailleurs, nous verrons
que, dans le dernier exemple traité, une partie de l'interprétation dé
pend uniquement du point de vue du lecteur (d'où le sous-titre de
cette partie : "l'auberge espagnole"). Précisons qu'il est, pour nous,
hors de question d'en inférer que l'auteur en aurait usé consciemment
dans une démarche d'ordre stratégique; ce point devant, à notre avis,
être considéré "faute de preuves" comme indécidable.
Notons, de plus, que nous n'entendons pas faire une analyse de
discours - même extrêmement partielle - de ce "corpus"; celui-ci ne
sera considéré que comme une source d'attestés permettant d'exem-
plifier l'amorce d'une démarche s'inscrivant dans le cadre d'une s
émantique discursive.
Pour observer comment peut être lu - et non a été produit - un
énoncé donné, il est indispensable de tenter de s'abstraire de ses propres
conditions de lecture. En effet, «Un énoncé attesté interpelle l'ensemble
des interdiscursivités possibles» (P. Achard, 1995 : 90); on s'attachera
donc, selon les cas, à cerner ce qui, dans les formes, contraint l'inte
rprétation ou à tenter de débusquer la multiplicité des lectures poss
ibles, indices de ces interdiscursivités. S'il est bien vrai que l'analyste
est un être humain et qu'en tant que tel il ne lui est pas loisible de s'abs
traire de sa condition d'être social, se prévaloir de cet état de fait pour
renoncer totalement à une tentative d'objectivarion semble dangereux
dans la mesure où l'on peut alors être amené à ne trouver que ce que
l'on cherche, à limiter l'analyse à l'explicitation de ses intuitions pre
mières, et ultérieurement, à s'interdire toute élaboration théorique.
4. Apparence de rigueur que nous avons tenté de mettre en lumière dans un mémoire de
maîtrise rédigé sous la direction de Claudine Normand. QUELQUES ON CHEZ LOUIS ALTHUSSER 97 VOIR
I. RAPIDE SURVOL DES NOTIONS UTILISÉES
I . I . Espace de points de vue :
quelques éléments du modèle VOIR
Ce modèle, qui est sous-tendu par la notion d'ensemble empirique
telle qu'elle a été formulée par Jean Bénabou (J. Bénabou, 1988 et 1990),
peut être reformulé au moyen des régimes d'assimilation de René
Guitart (R. Guitart, 1997) avec qui P. Achard avait commencé à tra
vailler en ce sens.
Nous considérerons trois espaces de description, notés respect
ivement XI, Xp et Xobj (P. Achard, 1996 : 14). Ce dernier pourra être vu
comme un espace de referents (ou d'objets à dire) et Xp comme un
espace de propriétés associables aux referents. XI est l'univers des
unités signifiantes symboliques; c'est là, par exemple, que s'inscrit
l'énonciateur bouclé au sens d'Antoine Culioli. Aucun de ces espaces
ne peut être appréhendé séparément :
1 - ils sont liés sous l'espèce du nœud borroméen5; nous noterons X le
système qui en résulte.
2 - seules peuvent être vues des relations entre éléments de ces espaces.
Le deuxième point montre la nécessité de considérer un espace
d'observation, ou espace de points de vue, d'où sont observées les-
dites relations. Cet noté I est posé comme extérieur à ce qu'il
"regarde". Chaque point de vue se détermine selon la dichotomie
VOIR / NE PAS VOIR; la relation VOIR elle même se déclinant selon une
infinité de modalités possibles : VOIR qu'une suite de sons est un mot,
VOIR un réfèrent à un mot, VOIR des propriétés associées à un mot, à
un réfèrent, VOIR une affirmation comme vraie, VOIR une question
comme pertinente, VOIR une action relatée comme légitime, etc.
Pour une modalité donnée de la relation VOIR, nous représente
rons par un point blanc un point de vue qui VOIT et par un point noir,
un point de vue qui NE VOIT PAS. La façon dont I est structuré est alors
5. Un nœud borrom