Les Modifiés
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Description

Quelque chose a dérapé... La vieille Europe s'est enfoncée peu à peu dans un grand abandon. Parmi les survivants, certains se cachent, d'autres errent. Et puis, il y a... Les modifiés.

Informations

Publié par
Publié le 10 juin 2015
Nombre de lectures 43
Langue Français

Extrait

Les modifiés Roman de Christophe Kauffman
ck@teledisnet.be
CHAPITRE 1
L'odeur particulière du rat frais tombé sortit Misha de son sommeil en le tirant par le ventre. Avant même qu'il ouvre les yeux, un large sourire vint éclairer son visage, découvrant des dents dont la blancheur aurait paru suspecte à n'importe qui. Misha lui-
même se demandait souvent comment il parvenait à les garder aussi propres. On ne pouvait pas en dire autant du reste de son corps. Mais dans les Iglégouts, la propreté n'était pas vraiment un problème. La fourrure de la bestiole était si proche de son visage qu'elle lui chatouillait les narines. Une belle bête. Le genre de prise qu'on ne faisait pas si souvent ! De quoi agrémenter le repas familial avant un bon raid chez les Zaér. Merci, Néron !
L'idée du raid à venir finit de réveiller totalement le jeune homme. Il déplia son mètre quatre-vingt hors du patchwork de tissus raccommodés qui lui servait de couverture. Les morceaux qui composaient l'ensemble avaient eu toutes les couleurs de l'arc-en-ciel, un jour... Mais aujourd'hui, ils n'en avaient plus qu'une : la teinte vaguement merdeuse de toutes les choses qui traînaient de propriétaire en propriétaire depuis des années. Dans les Iglégouts, tout finissait par avoir cette couleur-là. Le jeune homme jeta un œil autour de lui,
s'attendant à trouver son chat roulé en une grosse boule de fourrure soyeuse quelque part sur une hauteur. Mais il ne le vit pas. La bestiole n'avait sans doute pas terminé sa partie de chasse... Ou alors, elle s'était prudemment planquée dans un recoin secret duquel personne n'aurait pu l'extirper sans prendre le risque de se voir écharper par les griffes acérées de l'animal. L'heure du réveil n'était plus loin. Misha le devinait aux grognements qui émanaient d'une bonne partie des corps encore allongés dans les recoins aménagés de leur niveau. Il y avait pas mal de gémissements aussi, que Misha essayait à toute force de ne pas entendre... Des temps difficiles... Mais les temps ont toujours été difficiles. Il y avait beaucoup de malades dans l'agrégat. Il y en avait même de plus en plus. — Si on ne trouve pas de meds dans les semaines qui viennent, on va se retrouver dans une merde noire, lui avait soufflé MartialOk la veille. Misha s'était endormi là-dessus. Et il avait eu du
mal à le faire... Il ne faisait jamais tout à fait noir dans les nids. Comme si les Klassems avaient eu peur de l'obscurité. Ce qui était étrange, se disait parfois Misha, vu qu'il y passait l'essentiel de leur vie. Misha y était né. Il y mourrait sans doute. Il faisait partie de la seconde génération qui ne connaîtrait rien d'autre que l'iglégout, la survie et les raids... — Que la merde, quoi ! râlait MartialOk chaque fois qu'il le pouvait. Misha, lui, trouvait ça plutôt normal. Difficile parfois, injuste souvent, mais tellement ancré dans son quotidien qu'il n'y pensait plus vraiment. Une soufflerie fit entendre un lointain mugissement. Le moteur qui l'actionnait crachotait des ratés de plus en plus nombreux, laissant entre ses redémarrages, planer une angoisse de plus en plus pesante sur les épaules des réfugiés de ce sous bloc. La tête légèrement penchée sur le côté, Misha écouta le grondement sourd qui signait un nouveau passage d'air
frais dans les galeries. Enfin, frais... Il faut l'dire viteironisa-t-il in petto. Tout ce qu'il y a de frais ici, c'est mon rat, et encore, pas pour longtemps. Le garçon décida de s'en occuper immédiatement. La chair la plus fraîche avait une fâcheuse tendance à se corrompre à une vitesse inégalée ces temps-ci. S'il n'y prenait pas garde, le cadeau de Néron finirait par ne nourrir personne. — 'Tain ! Un de ces matins, on va me trouver aussi raide que ton rongeur ! MartialOk venait de se réveiller. Il était l'un des plus vieux exemplaires d'humain que Misha connaisse. Peut-êtreleplus vieux. Évidemment, ça lui donnait quelques avantages, comme le droit de râler aussi fort et longtemps qu'il le voulait sans que personne n'ose lui demander de fermer sa grande gueule. Elle se fermera d'elle-même bien assez vite... Avec ses 80 berges passées, MartialOk avait connu le 20e siècle ! Misha peinait souvent à se l'imaginer.
Mais la chose était pourtant vraie : son référent dans l'iglégout était la mémoire vivante de ce qui avait mené le monde occidental au bout de sa course. Une mémoire parfois bien défaillante, c'était vrai aussi, mais il valait mieux défaillante que tout à fait absente. — Alors, demanda le vieux, on se le fait tout de suite ou on attend la pourriture ? À son regard affamé, Misha comprit qu'il ne fallait pas compter en garder pour plus tard. Le rat serait bouffé en une fois, pattes et queue comprises. Le vieux avait aussi la prérogative de décider de la répartition quotidienne de la nourriture. Et c'était généralement une répartition du type « tout et tout de suite » ! Le corps décharné de MartialOk s'extirpa de l'invraisemblable entortillement de draps, de couvertures et de divers vêtements hétéroclites. Il était aussi maigre que petit. En le voyant dans cet état, on avait du mal à imaginer l'athlète qu'il avait pu être. De cette époque-là ne restait que ses mains. Des mains immenses et noueuses qui vous auraient étranglé d'une seule torsion du poignet. Il restait
quelques photographies aussi. Des impressions sur un papier glacé qui était devenu craquant comme du bois trop sec. Les traces parfaitement anachroniques d'un passé depuis longtemps révolu. MartialOk ne tenait pas à grand-chose en vérité, mais il aurait aisément tué pour protéger ces images. — Gamin ? grogna-t-il avant de s'interrompre pour lancer un crachat presque par-dessus son épaule, tu as vérifié ? La question était classique. Vérifier que la viande était saine. Un autre travail pour Misha. Une tâche de la plus haute importance. Depuis que la Régeurope s'était écrasée sous son propre poids, les Gouvs avaient pris la sale habitude de bourrer les aliments d'un paquet de substances pas nettes. Le Grandcalme. Misha n'en connaissait pas tout les effets. D'ailleurs, ils étaient plutôt changeants. Mais en quelques années, il avait pu en voir les symptômes les plus divers, des plus spectaculaires aux plus sournois. C'est sur la bête elle-même qu'il allait constater la
présence des drogues. Il restait peu d'animaux en liberté dans les parages. La plupart d'entre eux avaient fini leur vie dans l'estomac des Klassems. Ceux qui subsistaient étaient les plus forts, bien sûr, mais surtout les plus malins. Les rats en constituaient la majorité. Mais aussi malins qu'ils soient, ces bestiaux finissaient aussi par bouffer tout et n'importe quoi. Poison compris. Misha se pencha sur la gueule acérée de l'animal. Fermant les yeux, il renifla longuement à la recherche d'une odeur qui ne lui paraisse pas naturelle. Comme ses congénères, il avait développé un sens terriblement fin pour déceler le moindre indice de danger dans la nourriture. Il y avait l'odeur, bien sur, mais pas seulement. La texture, la couleur, la fourrure de l'animal. Un ensemble coordonné d'indicateurs qu'il envisageait d'un regard acéré. — Merde ! — qu'est-ce qu'il y a, grogna le vieux inquiet pour son repas. — Tiques !
Ces foutus animaux s'étaient développés en nombres incalculables. Depuis tout petit, Misha avait appris à s'en méfier comme de la peste. Les cas d'infection graves étaient pourtant peu fréquents, mais cette fréquence avait tendance à augmenter. Et puis, Misha avait eu un frère qui... — Mais bordel ! s'indigna MartialOk comme si le petit animal l'avait visé personnellement. Quand je pense que dans mon jeune temps, j'aurais refusé de me lever sans avoir au moins deux tranches de bacon et un oeuf sur mon assiette ! Misha sourit en prenant un couteau à la pointe suffisamment aiguë pour se débarrasser proprement des parasites. Il connaissait par coeur les diatribes de l'ancêtre. Il aurait presque pu les réciter à sa place. Mais il n'en fit rien. Son rôle était aussi de l'écouter radoter aussi longtemps qu'il le fallait. Tout autour, des lumières s'allumaient, provenant des sources les plus diverses. Quelques-uns avaient la chance de posséder des accus électriques dont ils
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