Une étude de cas du style de Bernard Herrmann
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Une é tude d e cas du st yle de B ernard Her rmann
Traduction par Didier Lonca, professeur de musique au Lycée Lo uis Bart hou, de l'Artic le de J. Bondelevitch, publié dans sa
version originale en ligne à l'adresse suivant e :
http://hitchcock.tv/essays/herrmann/herrcase1.html
Le suspense est un aphrodisiaque célèbre, comme l'ont prouvé à maintes reprises les réalisateurs
pendant le siècle. Il n'y a rien de mieux qu'une accélération de la pulsation cardiaque et qu'une coulée
d'adrénaline pour se préparer à une suite plus agréable. Et aucun réalisateur n'était meilleur qu'Al fred
Hitchcock pour mélanger le suspense et la romance dans une puissante combinaison de frissons
érotiques.
La Mort aux trousses est le plus populaire des films à suspense sur le "faux coupable" ("w rong man")
d'Hitchc ock, dans lequel on peut suivre C ary Gr ant dans sa fuite à travers les États-Unis, des Na tions
Unies au sommet du Mo nt Rus hmore, poursuivi à la fois par la police et un groupe d'espions meurtriers
mené par James Maso n. L'ouverture d'Herrma nn, un fandango richement orchestré et construit sur des
rythmes Su d-Am éricains alternativement effrénés ou hésitants, reflète la combinaison décalée (no n
conventionnelle) de sus pense e t d e c omédie du film.
Sur l'A uteur :
Da vid J. Bondelevitch a étudié la composition au Berklee College of Music de Boston et la production de
Film au MIT et à l'USC. Il travaille actuellement comme éditeur de musiques de films à Lo s Angel es ...

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Une étude de cas du style de Bernard Herrmann
Traduction par Didier Lonca, professeur de musique au Lycée Louis Barthou,de l'Article de J. Bondelevitch, publié dans sa version originale en ligne à l'adresse suivante :
http://hitchcock.tv/essays/herrmann/herrcase1.html
Le suspense est un aphrodisiaque célèbre, comme l'ont prouvé à maintes reprises les réalisateurs pendant le siècle. Il n'y a rien de mieux qu'une accélération de la pulsation cardiaque et qu'une coulée d'adrénaline pour se préparer à une suite plus agréable. Et aucun réalisateur n'était meilleur qu'Alfred Hitchcock pour mélanger le suspense et la romance dans une puissante combinaison de frissons érotiques. La Mort aux trousses est le plus populaire des films à suspense sur le "faux coupable" ("wrong man") d'Hitchcock, dans lequel on peut suivre Cary Grant dans sa fuite à travers les États-Unis, des Nations Unies au sommet du Mont Rushmore, poursuivi à la fois par la police et un groupe d'espions meurtriers mené par James Mason. L'ouverture d'Herrmann, un fandango richement orchestré et construit sur des rythmes Sud-Américains alternativement effrénés ou hésitants, reflète la combinaison décalée (non conventionnelle) de suspense et de comédie du film.
Sur l'Auteur : David J. Bondelevitch a étudié la composition au Berklee College of Music de Boston et la production de Film au MIT et à l'USC. Il travaille actuellement comme éditeur de musiques de films à Los Angeles et enseigne à l'école de cinéma de l'USC.
Bien que Bernard Herrmann soit un des compositeurs Hollywoodiens les mieux connus, très peu de choses ont été écrites sur ses partitions de musiques de film, probablement parce que la musique de film est l'aspect le plus négligé de la critique de film. Il y a cependant quelques articles qui traitent de son œuvre.1 Les références existantes ont tendance à discuter principalement dePsychose1960) et de (Universal Sueurs froides -Vertigo-(Universal 1958).2Une collaboration importante d'Herrmann / Hitchcock qui a été oubliée estLa Mort aux trousses(MGM 1959), laquelle est riche d'exemples musicaux et structurels du style d'Herrmann et de son utilisation dans un film d'Hitchcock. Cette partition a peut être été négligée parce que Vertigo etPsychose sont l'une et l'autre des tragédies d'une tonalité plus sombre, plus lourde et plus sérieuse, tandis queLa mort aux troussesune comédie romantique plus légère, avec une intrigue est amoureuse forte et une fin complètement résolue. Aussi, certains critiques, particulièrement Roy M. Prendergast, restent sur l'impression d'une partition inférieure. Il écrit, à propos de l'ouverture, "le motif principal est répété à l'infini et seule des couleurs orchestrales toujours changeantes sauvent l'auditeur d'un ennui aigu" et qu'il s'agit "d'un des moindres efforts d'Herrmann dans son approche motivique de la musique de film.".3 Contrairement au point de vue de Prendergast,La mort aux trousses est une partition très complexe, au développement motivique riche, à l'orchestration originale et aux rythmes fascinants.4Dans leurs collaborations filmiques, Herrmann et Hitchcock ont établi une qualité sonore particulière immédiatement identifiable. En plusieurs endroits,La mort aux troussestypique du son Herrmann / est Hitchcock5et peut par conséquent être utilisé comme cas d'étude pour leurs œuvres communes.
Herrmann a eu une longue et remarquable carrière,6avec quelques-uns des réalisateurs parmi travaillant les plus respectés. La liste inclut Welles, Truffaut, De Palma, et Scorsese, mais ses partitions les meilleures et les plus remarquables ont été écrites pour les films dirigés par Alfred Hitchcock. Herrmann a composé la musique de neuf films pour Hitchcock,7 ainsi que celle de la série téléL'heure d'Alfred Hitchcock.8 Herrmann est également très connu pour son oeuvre composée pour la série télévisée9The Twilight Zone -La quatrième dimension-.La dernière collaboration Herrmann / Hitchcock futTom Curtain(Universal 1966), pour laquelle Hitchcock demanda, sous la pression des studios, une partition "populaire". Herrmann s'y opposa en créant une partition hautement dissonante pour une orchestration unique évitant la couleur "romantique" traditionnelle.10Hitchcock rejeta la partition et sa collaboration avec Herrmann fut terminée.
La différence structurelle la plus visible entre les partitions d'Herrmann et celles de ses contemporains est la place qu'y tient la musique. Ceci est particulièrement évident dans ses compositions pour Hitchcock. Herrmann évite souvent de mettre en musique des scènes émotionnellement fortes, riches en dialogues, ou
même d'action, s'il lui semble que la scène fonctionne bien d'elle même. Dans les partitions Hollywoodiennes "classiques", les scènes les plus chargées en émotion sont probablement les plus mises en musique, même si ce sont des scènes au dialogue intense. Cela revient à souligner le contenu émotionnel de ces scènes. Herrmann sentait que si la sensibilité d'une scène était apparente, la musique ne pouvait que reproduire ce qui était déjà apparent, ou pire, empêcher l'écoulement narratif. La séquence la plus remarquable dansLa mort aux troussesla séquence de " est l'avion pulvérisateur". La plupart des compositeurs auraient vu dans cette scène l'occasion de démontrer leur habileté compositionnelle. Herrmann rejeta cependant toute demande de musique [ndt(Herrmann écrivit une d'accompagnement]. scène intitulée "La Nationale",11non utilisée dans le film, et qui couvrait seulement la section dans laquelle Roger attendait l'arrivée de "George Kaplan", avant que la poursuite actuelle ne commence). La musique, dans la scène de "l'avion pulvérisateur", intervient seulement à la fin, avec le "Crash de l'avion pulvérisateur", quand le thème de l'ouverture est repris (varié). Hitchcock a déjà établi dans le film que Roger est plus à l'aise dans l'environnement exigu de la ville (avec le générique d'ouverture et l'ouverture sur la rue) et qu'il est plus en danger quand il est seul (enfermé dans la bibliothèque de la maison de Van Damm / Townsend, ou apparaissant comme une fourmi à l'extérieur des Nations Unies après le meurtre). Dans la séquence de "L'avion pulvérisateur", Hitchcok commence par un plan avec un angle élevé sur l'étendue des terres cultivées, symbolisant la complète isolation de Roger. D'avoir le silence plutôt que la musique sur la bande son renforce sa solitude de façon très efficace. Plusieurs autres scènes dont on attendrait normalement qu'elles soient accompagnées de musique, sont sans partition. Le premier soulignement musical d'une scène [ndthormis la musique d'ambiance dans le hall de l'hôtel] apparaît quand les hommes de main de Van Damm menacent Roger d'un pistolet, longtemps après qu'ils aient été introduits par le travelling évident qui les révèle. Un plan qui est si anticipatif aurait du être normalement accompagné de musique, d'autant qu'il s'agit de la première allusion, dans le film, au fait qu'il y a quelque chose de dangereux dans l'environnement de Roger. Au lieu de cela, Herrmann attend jusqu'à ce qu'il soit évident qu'ils sont les bandits et introduit la musique sous la scène du "Pistolet" (attirant l'attention sur ce qui serait autrement presque invisible, puisque l'angle de la caméra cache le revolver.) Quand Roger et Van Damm se rencontrent pour la première fois, ils se regardent et s'inspectent soigneusement. Ceci sans musique, bien qu'il s'agisse de l'introduction du principal "méchant" dans le film. Le silence dans la scène crée une tension inconfortable que la musique aurait pu inefficacement recouvrir. L'intensité du jeu des acteurs et le design visuel (montage qui va et vient de l'un à l'autre entre des travelling circulaires) créent une tension suffisante. Ici, Herrmann évite soigneusement un cliché : l'introduction d'un thème du "méchant", pour indiquer que Van Damm est l'antagoniste principal. Quand, plus tard dans la scène, Roger suit la vente aux enchères, la musique est utilisée comme une transition dans la scène, mais la confrontation principale est laissée sans musique. Sa conversation avec Eve, Van Damm et Léonard, tout comme la bagarre, est sans musique, mais on entend le motif du "voyage" 12 pendant sa tentative de sortie (qui n'est pas une confrontation majeure, mais seulement un moment de suspense) et pour sa véritable sortie après que la bagarre soit terminée. Herrmann met en musique les espaces vides entre les moments de tension et laisse les interactions importantes sans musique, afin que les spectateurs puissent se concentrer sur les dialogues ou l'action. Parfois, les plans d'Herrmann sont contrariés. À l'origine, il n'avait pas l'intention de mettre de musique pour la "Poursuite en voiture" (la scène de la "Conduite en état d'ivresse"). Apparemment, Hitchcock sentait que cette scène posait problème13et que la musique l'aiderait, aussi l'ouverture fut replacée en entier sous la scène. Il est ironique, puisque l'ouverture qui couvre le générique est une version tronquée, de placer la seule véritable présentation de l'ouverture dans une scène ou aucune musique n'était prévue. La poursuite en voiture est l'une des scènes les plus faibles du film : la projection sur l'écran d'arrière-plan est pauvre, la lumière et l'exposition sont faibles, les effets sonores sont peu convaincants, et la scène n'a ni construction logique, ni climax. Si la scène avait été mieux photographiée et mieux montée, elle aurait pu mieux fonctionner sans musique, mais dans son état, la musique était nécessaire pour que la scène soit émotionnellement efficace. La musique seule est suffisamment tendue, avec ses rythmes et ses harmonies dissonantes qui ajoutent du supense à une scène qui par ailleurs en a très peu. Une autre scène importante laissée sans musique est celle de la première rencontre entre Roger et Eve, quand elle l'aide à échapper à la police dans le train. D'habitude, quand l'intérêt romantique est introduit, un thème d'amour doit être immédiatement entendu, indiquant le futur statut de leur relation amoureuse. Herrmann évite cela pour plusieurs raisons. Dans le film, le personnage d'Eve change sans cesse. Bien qu'elle apparaisse en premier lieu bienveillante, Roger pense ensuite qu'elle travaille pour Van Damm et qu'elle l'utilise simplement. Finalement, il découvre qu'elle est un agent du gouvernement et notre confiance lui revient. Si Hermann l'avait introduite avec le thème d'amour, les spectateurs auraient été tentés de croire qu'elle était du côté de Roger et que tout finirait bien. En n'utilisant pas de musique sous cette scène, Herrmann a créé une ambivalence, au regard de son personnage, qui nous permet de changer nos impressions sur elle de la même façon que le fait Roger. La façon dont Herrmann introduit le thème d'amour est interessante. Quand Roger rentre dans le wagon -restaurant, une source musicale diffuse un air romantique swingué, aux violons. Royal S. Brown l'identifie comme "Fashion show" [ndt "défilé de mannequins"], une mélodie d'André Prévin.14Maintenant que Roger
et Eve sont en train de faire connaissance, on leur alloue une musique romantique, mais pas leur "thème". Au milieu de la scène, le dialogue évolue autour de leur désir de passer la nuit ensemble ("Je n'aime pas particulièrement le livre que j'ai commencé ... tu sais ce que je veux dire?") et la mélodie finit. Herrmann fait suivre ce dialogue de la première apparition de son thème d'amour, une séquence intitulée "Interlude", dont l'atmosphère est décrite avec plus de précision dans le tempo indiquant "Allegretto con molto delicato" ("modérément rapide, avec beaucoup de délicatesse"). Malgré tout, elle sonne davantage comme une musique d'ambiance plutôt qu'une musique de "soulignement". Apparemment, Hitchcock et Herrmann ont senti que cela ferait trop "cliché" d'écrire une scène avec un thème d'amour au premier plan.15 On note également avec intérêt qu'il s'agit du thème le plus tonal, le plus consonant et le plus simple du film. L'harmonie est basée sur une progresion basique I-V-I, avec seulement quelques modulations au ton voisin Ré Majeur. D'introduire le thème d'amour à la façon d'une musique d'ambiance, aide à faire la transition avec la musique dissonante et déroutante sur le plan tonal, qu'Herrmann a écrite pour la première partie du film. Les compositeurs essaient en principe d'écrire une partition aussi cohérente que possible, utilisant tout du long le même style harmonique. Si le thème d'amour était entré comme musique de "soulignement", il aurait pu sonner comme si la partition d'un autre film était soudainement interrompue, puisqu'il est d'un style si différent de celui des autres musiques de soulignement. Hitchcock donne une grande importance visuelle aux mains des acteurs dans la scène d'amour. Dans "L'interlude", quand Roger allume la cigarette d'Eve, ils se touchent romantiquement les mains et Roger réagit de façon appropriée. Musicalement, cela se passe alors que le thème passe du hautbois à la clarinette. Plus tard, dans "Les Adieux", Eve quitte Roger à la gare et le renseigne au sujet de sa rencontre avec l'avion pulvérisateur [ndtou, comme il le croit, Kaplan]. Ici, Hitchcock coupe pour insérer un plan de la main de Roger réagissant au toucher de la main d'Eve, gantée de façon appropriée, pendant que la musique joue une version en mineur du thème d'amour. Dans la chambre d'hôtel, après la scène de l'avion pulvérisateur, les acteurs se servent de leurs mains de façon manifeste comme faisant partie du rôle qu'ils [se] jouent, le tout accompagné par trois séquences musicales. Les scènes "Les Retrouvailles" et "Éconduit" utilisent le thème d'amour et celle de "La Question" ("Tu as jamais tué personne ?") utilise un thème de suspense. Cette attention portée aux mains des personnages présage de leur importance à la fin du film. Dans le climax de la séquence au Mont Rushmore, Roger tire Eve à travers l'espace et le temps, du rebord du précipice à la couchette dans le train. Quand ce plan en coupe est effectué, Herrmann l'accompagne avec à propos par le thème d'amour.16
Il est intéressant de noter qu'il y a moins d'une heure de musique dans tout le film, alors qu'il dure plus de deux heures.17 C'est un pourcentage de musique remarquablement faible pour un film qui peut être considéré comme un film d'action ou de suspense, et qui montre qu' Herrmann restreint la musique s'il lui semble qu'elle ne va pas dans le sens de l'action. Il est aussi interessant de voir que la plupart des interventions musicales sont courtes, et que beaucoup parmi elles durent moins d'une minute.18 Cela montre à nouveau l'aversion d'Herrmann pour une musique qui ne se justifierait pas. Structurellement, Herrmann évite également l'usage traditionnel à Hollywood du "Mickey-Mousing" (le fait de synchroniser rythmiquement la musique à l'action de l'écran), et des signaux, utilisant une note spécifique ou un accord pour faire ressortir une action dramatique. La partition de musique de film "classique" d'Hollywood a utilisé cette technique comme base pour le placement de la musique. Cela était fait pour tenter de renforcer l'action et l'écoulement narratif des films. Pratiquemment aucune action deLa mort aux trousses n'est en technique de Mickey-Mousing, et les signaux sont utilisés seulement occasionnellement et ne sont qu'une partie de la séquence jouée. Dans la scène de "La Bibliothèque", ou Roger rencontre Van Damm pour la première fois, Roger tente de quitter la pièce seulement pour trouver un des hommes de main de Van Damm de l'autre côté de la porte. On aurait pu s'attendre à un signal de quelque sorte, mais Herrmann évite soigneusement ce cliché. Seuls quelques signaux sont utilisés dans la scène culminante du Mont Rushmore, mais c'est difficile à évaluer, puisque la musique dans le film ne correspond pas à ce qu'Herrmann avait écrit. Apparemment, Hitchcock a eu des difficultés en montant la scène du Mont Rushmore.19 Les "spotting notes" d'Herrmann [ndtainsi parce qu'elles sont écrites lors des appelées "spotting sessions" - étape durant laquelle on décide où l'on va placer la musique] ne couvrent même pas la séquence,20apparence les monteurs travaillaient toujours dessus. La scène est accompagnée puisqu'en de six courtes séquences musicales qui la couvrent entièrement. La séquence la plus longue, spirituellement appelée "Sur les Rochers" [ndt "On The Rocks" dans le texte : clin d'oeil aux boissons servies sur des glaçons ?], débute au milieu de la poursuite et finit quand Roger se fait sauter dessus par l'acolyte de Van Damm [ndttueur des Nations Unies]. La partition originale de cette séquence est perdue, mais la Le réduction sur trois portées provenant des archives de la MGM montre que la séquence a été écrite pour une scène durant 2' 58". Dans le film, la scène dure seulement 1' 25", indiquant qu' une surprenante 1' 33" a été coupée de la musique entre la session d'enregistrement et le mixage final.21 Cela est malheureux car il s'agissait de l'apothéose musicale d'Herrmann pour le film. Herrmann avait apparemment destiné la scène à être une reprise développée de l'ouverture, mais elle n'a pas longtemps suivi ce chemin, puisque la séquence a été coupée en petits segments et radicalement réarrangée. En fait, il est difficile de dire quelque chose au sujet de cette réduction, mais il apparaît qu'il y a de la musique qui n'est pas dans la partition et qui
d'une manière ou d'une autre terminait la scène.22 L'aspect le plus remarquable du son d'Herrmann est sans doute son orchestration. À la différence de la plupart des compositeurs d'Hollywood, Herrmann orchestre entièrement sa propre musique, écrivant des partitions complètes de sa propre main. La plupart des compositeurs écrirait une partition réduite sur deux à huit portées et aurait un collaborateur l'orchestrant entièrement, la précision des indications de l'orchestration dépendrait alors du compositeur. Le son unique de l'orchestre d'Herrmann peut être démontré par l'instrumentation utilisée dansLa mort aux trousses,23 qui requiert environ 64 instrumentistes (avec la plupart des percussionnistes doublés). C'est un orchestre assez important pour une partition de musique de film de cette époque, particulièrement pour Herrmann, qui a souvent utilisé un petit orchestre. Néanmoins, une étude de la liste des instruments démontre la signature sonore d'Herrmann, par l'usage d'une instrumentation non conventionnelle comparée aux partitions habituelles d'Hollywood. Les bois sont groupés par trois, mais les clarinettes, incluant deux clarinettes basses, sont au nombre de cinq. Cela crée un déséquilibre dans la section des bois, qui va à l'encontre de l'orchestration traditionnelle. Dans son article, Royal S. Brown a pour théorie qu' Herrmann utilise sa musique pour montrer l'irrationnel au même titre qu'Hitchcock utilise un style narratif et visuel.24Herrmann accomplit cela de la façon la plus évidente quand il porte son attention aux couleurs "sombres" de l'orchestre. À travers toutes ses partitions, Herrmann s'appuie largement sur les clarinettes et particulièrement les clarinettes basses qui sont les instruments de l'orchestre au son le plus sombre. Herrmann emploie également de façon assez importante le son sombre du basson et du contrebasson, particulièrement dans ses partitions pour la télévision, mais cependant pas autant que dansLa mort aux trousses. En général, Herrmann va à l'encontre de l'orchestration traditionnelle d'Hollywood, ôtant au pupitre des cordes sa primauté et étoffant plus conséquemment les pupitres de bois, de cuivres et de percussions quand une scène particulière le requiert. Le style orchestral d'Herrmann est plus proche de celui de compositeurs contemporains comme Stravinsky, Holst ou Bartòk, plutôt que de celui des compositeurs de musiques de films de son époque, comme Steiner, Waxman ou Tiomkin. Pour les cordes, il a évité l'usage des violons chaque fois que c'était possible, renforçant les pupitres de violoncelles, contrebasses et harpes.25Un orchestre normal avec une section de bois de cette taille devrait avoir au moins quarante et peut-être jusqu'à 60 instrumentistes à cordes. Herrmann en emploie seulement trente-deux, et les cordes les plus graves sont presque égales en nombre aux violons (bien qu'une partie de ce choix soit indubitablement dû à des préoccupations budgétaires). Le seul moment ou Herrman met les cordes au premier plan est lorsqu' il utilise un thème "d'amour", comme dansLa mort aux trousses, où il le relie essentiellement aux violons.
Le sens de l'orchestration d'Hermann est si développé qu'il peut utiliser plusieurs techniques de jeu spécifiques et contemporaines quand il compose, étendant les sons de l'orchestre au-delà de la palette quelque peu limitée de beaucoup de compositeurs de musique de film. A l'exception de l'ouverture et des autres musiques "d'action" du film, les cordes sont habituellement jouées avec sourdine ; il en résulte un son plus doux et plus sombre. Dans "Le Mont Rushmore", quand Roger et Eve aperçoivent pour la première fois le haut du monument en courant pour échapper à Van Damm, les violons répètent la même note, mais sont priés de jouer petit à petit avec sourdine, ce qui veut dire que chaque membre de la section des cordes met sa sourdine à tour de rôle pendant que les autres continuent à jouer.26 cela crée le son unique de ce passage, qui devient progressivement assourdi, au lieu d'un changement immédiat entre le jeu sans sourdine et le jeu avec. Des techniques complémentaires incluent un usage répété dupizzicatoet duglissando. Dans "Kidnappé", la moitié des cordes jouent la même ligne depizzicati, pendant que l'autre moitié joue avec l'archet. Le glissando est utilisé dans l'ouverture, quand les violons font une réponse grinçante à la mélodie des trompettes / xylophone, comme ci-dessous :
Ex.1. Glissando des violons dans l'ouverture deLa mort aux troussesde Bernard Herrmann. Notez que les violons jouent un intervalle mélodique très dissonnant de 7ème majeure. Combiner ceci avec leglissando
crée un son perçant et très inquiétant (annonçant la prochaine musique du compositeur dans la fameuse séquence de la douche dePsychose). Leglissando est aussi très fréquemment employé avec les harpes, autre son que le compositeur affectionne. Dans l'ouverture, les deux harpes jouent fréquemment des glissandidans des directions opposées et en même temps.
Herrmann évite également l'usage traditionnel duvibratopour les cordes, demandant aux instrumentistes de jouer sansvibratomoins que cela ne soit noté -le contraire de l"usage habituel- et leur indiquant à fréquemment de jouersul ponticello(avec l'archet près du chevalet), ce qui ajoute des harmoniques élevés et crée un son sec et plus granuleux. Dans "L'avion", comme Eve est sur le point de monter à bord de l'avion avec Van Damm, les violons répètent la même figure, mais dans une succession rapide desul tasto(près de la touche : l'opposé desul ponticello) etsul naturale(au milieu : naturel). Herrmann évite aussi l'utilisation du trémolopour les cordes, une autre technique qui est devenue un cliché dans les films à suspense.
Bien que la section des cuivres soit traitée de façon plus traditionnelle, Herrmann donne de l'importance aux cors, qui sont les instruments les plus sombres de la section (si sombres, qu'on les considère traditionnellement comme faisant partie des bois) utilisés très souvent avec sourdine. À nouveau, Herrmann utilise des techniques d'orchestration contemporaines normalement évitées par les compositeurs d'Hollywood. Dans "Kidnappé", la scène qui accompagne Roger, alors qu'il est enlevé et emmené à la maison des Townsend (Van Damm), deux cors ont pour consigne de jouer avec sourdine et deux doivent jouer bouché (avec la main de l'instrumentiste placée entièrement dans le pavillon). Cela aboutit à un timbre unique que Herrmann a préféré. Dans la scène "Le tir", quand Roger se fait tirer dessus à la cafétéria, les trompettes et trombones utilisent des sourdines bol, la plus sombre des sourdines des cuivres (habituellement utilisée en jazz) pour le moment le plus dramatique du film, quand on croit que le héros s'est fait tirer dessus par celle qu'il aime. Les cuivres utilisent aussi des sourdines sèches, et dans la scène de "La gare", quand Roger a emprunté l'uniforme d'un porteur de valises, les trompettes utilisent des sourdines "Harmon"[ndt sourdine wah-wah dont on a complètement enlevé le tube] (un son joyeux pour un moment comique plus léger alors que nous voyons le vrai porteur dans ses sous-vêtements), à nouveau utilisées à l'origine dans le jazz, mais adoptées par Herrmann comme une autre couleur orchestrale. À la différence des autres pupitres de l'orchestre, le pupitre des percussions est étendu pour cette partition. C'est quelque chose d'inhabituel pour Herrmann, mais c'est relié à la narration pour plusieurs raisons. Tout d'abord, le climax du film trouve sa place sur l'impressionnante architecture des Monts Rushmore. La batterie de percussions, particulièrement les timbales et les cymbales, reflètent la nature grandiose de la scène. Depuis qu'Herrmann a choisi d'utiliser le rythme Sud-Américain du fandango [ndten réalité originaire d'Andalousie, mais ensuite étendu à toutes les colonies espagnoles] dans l'ouverture, l'usage des castagnettes et du tambour de basque est logique puisque ces instruments sont associés au fandango. Le vibraphone a toujours été un des instruments préférés d'Herrmann, et il est le plus sombre des instruments de percussions mélodiques.27Les timbales et la grosse caisse sont aussi des instruments qui sonnent de façon très sombre. Aussi, comme le développement motivique est principalement rythmique dans l'ouverture et la séquence finale, le fait d'augmenter le pupitre des percussions prend du sens. En définitive, les percussions sont souvent associées à l'armée (et aux fonctions gouvernementales). Herrmann a pu faire une association inconsciente avec le gouvernement, puisque c'est le Gouvernement des Etats-Unis qui aurait laissé Roger se faire tuer plutôt que de voir leurs plans interrompus. Le rythme est particulièrement important dans les partitions d'Herrmann.Psychoseavec un rythme débute caractéristique, qui circule pendant la première moitié du film. PourLa mort aux trousses, Herrmann choisit de fonder sa partition sur le rythme caractéristique du fandango. Ce rythme est basé sur une hémiole, rythme composé de trois notes pour deux temps (ou deux pour trois) et est normalement noté en alternant des mesures à 6/8 et à 3/4. (Leonard Bernstein emploie le même rythme dansAmerica, de la comédie musicaleWest Site Story). La raison exacte pour laquelle Herrmann choisit le fandango n'est pas claire, bien qu'il puisse avoir été intrigué par le mouvement dynamique de ce rythme28sans avoir cherché à le relier à la narration du film. Royal S. Brown pense que cela peut être un transfert deSueurs froides - Vertigo-, qui utilise un rythme de habanera pour le personnage mexicain de Carlotta. Il y a peut être quelque vérité à cela, puisque ces films ont quelques ressemblances structurelles. De façon plus évidente, les personnages de Carlotta / Madelaine / Judy et Eve sont semblables. En tout cas le rythme est compositionnellement intriguant. Herrmann choisit de le noter à 3/8 comme ci-dessous :
Ex. 2, Rythme de Fandango de l'Ouverture deLa mort aux troussesde Bernard Herrmann
Les deux premières mesures ci-dessus sont clairement à trois temps, mais les mesures trois et quatre ont trois notes réparties sur deux mesures, créant unehémiole. Dans la partition, Herrmann utilise ce motif (et l'hémiole) comme cellule compositionnelle pour l'action rythmique. Le développement rythmique de cette cellule dans l'ouverture est un tour de force, utilisant pratiquemment chacune des combinaisons ou permutations imaginables de l'hémiole. En supplément, la plupart du développement rythmique est basé sur lasyncope, dans laquelle les notes accentuées sont placées sur les temps faibles ou la partie faible des temps. Comparez les mesures trois et quatre de cet exemple avec les mesures sept et huit.
Ex. 3,Syncopesmélodiques dans l'Ouverture deLa mort aux troussesde Bernard Herrmann. Lessyncopes de cet extrait de l'ouverture sont encore plus remarquables :
Ex. 4, Section ensyncopesde l'Ouverture deLa mort aux troussesde Bernard Herrmann.
Un dernier exemple montre la présence de l'hémiole, à nouveau aux timbales, cette fois avec un motif mélodique différent. Notez que les deux croches à cheval sur les deux mesures peuvent être considérées comme une seule unité, pour former une ensemble de trois noires réparties sur deux mesures.
Ex. 5,Hémiole/Syncopesde l'Ouverture deLa mort aux troussesde Bernard Herrmann.
On remarque avec intérêt que le thème d'amour introduit plus tard dans le film utilise un rythme basé sur le motif d'ouverture des timbales (ex. 2). La noire suivive de deux croches peut être vue (avec une métrique doublée) comme une abréviation du motif à 3/8 avec une croche suivie de quatre doubles croches.
Ex. 6, Rythme de la scène "Interlude" [ndtdans le wagon restaurant] dansLa mort aux troussesde Bernard Herrmann. Le motif du "voyage", décrit par Royal S. Brown, peut être perçu comme le motif rythmique de quatre doubles croches de l'ouverture, mais sans la croche précédente :
Ex. 7, Motif du "voyage" dans la scène "La salle aux enchères" deLa mort aux trousses de Bernard Herrmann.
Ce motif est utilisé dans les scènes de "La gare", "Le carnet et le stylo" (il suit Roger dans la salle aux enchères), "La salle aux enchères", "La Police" et "L'aéroport". Dans tous les cas, Roger est dans l'attente
d'aller quelque part, d'où le terme motif du "Voyage". Le mouvement constant de doubles croches propulse Roger d'une scène dans une autre. La construction dynamique est un autre élément utilisé par Herrmann. Il s'agit simplement d'augmenter le volume, soit en demandant aux intrumentistes de faire uncrescendo, soit en étoffant l'orchestration, ou les deux à la fois. Bien que la plupart des compositeurs utilisent traditionnellement cette technique, quelques-uns écrivent la musique à un seul niveau dynamique, afin qu'elle reste à l'arrière-plan et ne devienne pas "voyante". Dans sa musique, Herrmann utilise la construction dynamique plus que les autres compositeurs de musique de film et à un niveau plus important. L'ouverture, par exemple, débute avec les timbales, quasiment inaudibles sous le rugissement de "Leo le Lion". Elle progresse de lentement à une allure frénétique et à un niveau dynamique maximal à la fin du générique d'ouverture. Beaucoup de la musique à suspense du film est orchestrée avec peu d'instruments et à des niveaux dynamiques très bas, pour créer une atmosphère de tension. La scène du "Tir", par exemple, débute avec un accord puissant au moment du coup de feu, mais quand le corps de Roger est chargé dans l'ambulance, nous entendons un solo de cor et de trompette. En plus de son important sens de l'orchestration et du rythme, Herrmann avait des idées uniques sur l'utilisation de l'harmonie. À nouveau, Herrmann pourrait être comparé à des compositeurs tels que Stravinsky, Hindemith et Copland, plutôt qu'à d'autres compositeurs de musique de film. Comme Royal S. Brown l'a établi, Herrmann base librement son harmonie sur l'harmonie occidentale traditionnelle, mais en transforme alors les principes fondamentaux pour créer un sentiment d'inconfort chez l'auditeur. Bien que, "l'accord Hitchcock"29 (un accord parfait mineur avec une septième majeure ajoutée) ne soit pas utilisé dansLa mort aux trousses (alors que c'était largement le cas dansSueurs froides,Psychosed'autres et films d'Herrmann / Hitchcock), ces pratiques harmoniques sont la signature d'Herrmann. Une des pratiques préférées d'Herrmann est l'usage étendu du chromatisme sans la résolution standard. L'ouverture, par exemple, est presque continuellement chromatique. Le motif d'ouverture aux timbales établit un mouvement chromatique allant dela àsib. L'exemple de chromatisme le plus frappant apparaît dans la section du pont, quand les trompettes et le xylophone jouent une ligne mélodique au-dessus des basses et des bassons. L'harmonie en accords de trois sons de la ligne de basses et bassons change toutes les deux mesures, passant par huit hauteurs différentes. (Regardez la clef de fa de l'exemple 9 au-dessous). On peut voir un autre exemple de mouvement chromatique dans la ligne mélodique utilisée dans "Kidnappé" (la ligne évolue chromatiquement).
Ex. 8, Chromatisme dans le motif "Van Damm", tel qu'on peut l'entendre dans la scène "Kidnappé" deLa mort aux troussesde Bernard Herrmann.
Il est intéressant de noter que cette ligne mélodique est utilisée comme motif de suspense chaque fois que Roger est sur le point de rencontrer Van Damm (ou le cherche).30Techniquement parlant, il ne s'agit pas réellement du motif "Van Damm", puisqu'il est habituellement utilisé seulement en anticipation du personnage. En réalité, le thème est introduit sous le fondu [ndt scène dukidnapping] de la maison des Townsend jusqu'au panneau sur lequel il y a écrit "Townsend". Chaque fois que Van Damm apparait, la musique disparait, excepté dans la scène finale lorsqu'il tente de partir avec Eve. On note avec intérêt que pour cette dernière présentation du thème, Eve pense à Roger, ce qui permet de relier les personnages de Roger et Van Damm. La bitonalité -superposition de deux tonalités différentes- est une autre technique harmonique employée par Herrmann. Bien que ce soit une pratique courante dans la musique contemporaine, les partitions de films "classiques" d'Hollywood n'ont pratiquemment jamais utilisé la bitonalité parce qu'il en résulte une dissonance extrême. Dans l'ouverture, les trompettes sont harmonisées sur des accords très différents de ceux de la ligne des bassons / contrebasses présentés ci-dessous. La structure harmonique résultante est la suivante :
Ex. 9, Structure harmonique bitonale dans la section du pont de l'Ouverture deLa mort aux trousses de Bernard Herrmann.
Dans tous les cas, les effets sont extrêmement dissonnants. Une citation différente deSueurs froidesutilisée par Herrmann à deux reprises fournit un autre exemple de bitonalité. Dans la séquence finale deLa mort aux trousses, Herrmann cite la musique deSueurs Froidesqui accompagne le plan en travelling / zoom sur le point de vue de James Stewart lorsqu'il regarde en bas des escaliers. Nous l'entendons dansLa mort aux troussesle plan en plongée sur le bas de la montagne avec Eve accrochée au rebord,lorsque nous voyons et à nouveau lorsque Léonard chute après qu'on lui ait tiré dessus. La structure est un accord demajeur sur un accord demi bmineur, comme suit :
Ex. 10, Structure bitonale deSueurs Froides, telle qu'on peut l'entendre dansLa mort aux trousses.
"La falaise" [ndt ???] deLa mort aux trousses de Bernard Herrmann. Herrmann utilise également la technique despédalesl'et de ostinatopour obtenir la tension. (Unepédaleest une note tenue ou répétée, souvent à la basse et sur un temps étendu. Unostinatoest une courte figure répétée en boucle, également souvent à la basse. Le résultat est souvent assez dissonant.) La scène de "La cabine téléphonique" utilise les timbales jouant une pédale deSi bpour créer une atmosphère lugubre alors qu'Eve arrange la mort de Roger. La scène de "La question" utilise également unepédale pour créer la tension, puisque c'est la première fois que Roger se retrouve confronté à elle au sujet de ses agissements, l'accusant d'être une meurtrière. La séquence finale du film l'utilise considérablement. Les scènes de "La maison de Van Damm", "La boîte d'allumettes", "Le message", "La porte", "La falaise", utilisent toutes les pédales comme moyen de créer la tension.
Sur le plan harmonique, Herrmann utilise la dissonance pour représenter la tension, le suspense ou l'irrationel. Souvent, le thème d'amour se termine en dissonance quand c'est nécessaire. Dans la scène du "Compartiment", les coups frappés à la porte par le portier conduisent la musique à finir sur un accord de mib augmenté, et à la fin de la scène du "Duo", lorsque nous voyons le regard troublé d'Eve alors qu'elle considère le mot qu'elle a envoyé à Van Damm, le thème termine sur un accord surSolbune quinte avec diminuée. Certains passages de l'ouverture sont extrêmement dissonnants, comme dans l'exemple suivant joué en contrepoint par les bois :
Ex. 11, Dissonances des bois dans l'Ouverture deLa mort aux troussesde Bernard Herrmann.
La section la plus dissonante de l'ouverture voit les quatre cors jouer seuls en frottements de demi-tons (mesures trois et quatre) :
Ex. 12, Dissonance au demi-ton dans l'Ouverture deLa mort aux troussesde Bernard Herrmann.
À la différence de la plupart des compositeurs d'Hollywood, Herrmann évite d'utiliser le "leitmotiv" ou le thème. À la place, il emploie généralement des motifs courts ou cellules et souvent, ne les assigne pas à un personnage ou à une idée spécifique. On doit noter que l'ouverture est complètement non-mélodique, avec de grands sauts intervalliques inchantables (aussi bien que des modulations) et qu'elle est entièrement motivique. J'ai déjà mentionné les motifs du "Voyage" et de "Van Damm" ; chacun d'eux est très court. Le thème d'amour est un thème complet, mais il est vraiment très simple et est fondé sur un motif remarquable de seconde en mouvement diatonique descendant qui est répété pour former la mélodie entière. En un sens, ce mouvement peut être vu comme venant du motif initial de timbales, qui va deSi bàLa. Il est intéressant de noter que la scène de "L'interlude" termine également avec un mouvement harmonique allant deSibà La. Au même moment, Herrmann ralentit le tempo, précédant en cela l'arrêt du train. Un autre motif court a été réferrencé par Royal S. Brown comme le motif du "kidnapping", puisqu' il affirme qu'il provient de deux partitions antérieures d'Herrmann, l'une et l'autre avec une scène de kidnapping :La maison dans l'ombre(RKO, 1951, dirigé par Nicholas Ray) etL'homme qui en savait trop(Universal 1956). 31Ce motif de quatre notes a beaucoup d'incarnations, toutes en mouvement descendant.32Deux des premières séquences musicales du film utilisent une inversion abrégée sur trois notes du motif du "kidnapping", la première étant celle de "La porte", quand Roger est laissé seul dans la bibliothèque et qu'il découvre que la porte est verrouillée. Cette scène est intéressante, parce qu'elle est, dans son climat, différente de quoi que ce soit d'autre dans le film. La mélodie est assez chaleureuse et pastorale, mais solitaire, et elle est jouée par les flûtes et les violons. C'est la première fois dans le film que Roger est seul. Comme Hitchcock est parti dans de grands développements pour nous montrer que la ville affairée est son domaine [ndtcelui de Roger], Herrmann a écrit une pièce calme, séduisante, pour nous montrer sa solitude. La seconde scène suit ("Ivresse") quand Roger est contraint à boire du bourbon. Alors qu'elle est basée sur le même motif, celui-ci est joué par les contrebasses ce qui le rend beaucoup plus menaçant. Deux scènes utilisent le motif de trompette / xylophone de l'ouverture, (voir l'exemple 12 ci-dessus), l'une et l'autre sont proches du début du film et représentent la mère de Roger. La première est la scène de "L'amende" ("Roger, paye l'amende !"), et la seconde, un peu plus loin, est la scène de "L'ascenseur", dans laquelle Roger et sa mère sont suivis par deux hommes de Van Damm (Townsend) dans un ascenseur bondé. Le personnage récurrent de la mère dominatrice chez Hitchcock justifie le fait qu'elle ait son propre motif dans le film. Bien qu'elle ne se retrouve que dans ces quelques scènes, sa présence est suggérée dans chaque scène d'action qui cite l'ouverture.
Les exemples ci-dessus, extraits deLa mort aux trousses, illustrent combien Bernard Herrmann peut être considéré comme un des grands compositeurs d'Hollywood, bien qu'il ait rejeté les normes et les traditions musicales du langage [ndtdes compositeurs de films] de l'époque. Son usage de l'orchestration et de l'harmonie est allé beaucoup plus loin que celui des compositeurs de musique de film contemporains et a influencé beaucoup de compositeurs du vingtième siècle. Son adaptation de ces idées à un film a montré une nouvelle approche de la musique de film, la plaçant seulement quant il sentait qu'elle était vraiment nécessaire à la narration, plutôt que dans n'importe quelle scène "d'émotion" et remplaçant la mélodie trop visible par une idée motivique plus simple. Ce son particulier était un complément parfait des films d'Hitchcock, et en particulier dansLa mort aux trousses. Comme Herrmann l'a lui-même dit, "Hitchcock finit ses films à seulement 60 %, je dois les terminer pour lui".33Le son d'Herrmann est une partie importante et intégrante des films d'Hitchcock, et, sans sa musique, les films n'auraient certainement pas eu le même effet, et n'auraient pas été non plus considérés de la même façon comme de grandes œuvres.
1Les références les plus remarquables sont l'analyse de la partition dePsychosedu compositeur Fred Steiner et l'article de Royal S. Brown reliant la musique d'Herrmann à l'utilisation thématique par Hitchcock de l'irrationnel. Le manuscrit de Graham Bruce sur l'ensemble de la musique d'Herrmann est également d'intérêt. 2avec la plupart du matériel dePsychosetiré des papiers de Steiner 3Prendergast, pp. 138-139 4Une partie du point de vue de Prendergast sur l'ouverture est sans doute dû au fait qu'elle a été retouchée de façon significative pour son utilisation dans le film. En accord avec la partition, Herrmann a écrit 2'46" de musique pour le générique, mais la séquence-titre dure en réalité seulement 2'10". Apparemment, le générique de début n'a pas été complété avant la séance d'enregistrement. Cela signifie que l'ouverture a dû être amputée de trente-six secondes et qu'il en résulte une exposition thématique principale présentée deux fois de suite, sans le thème de pont, ce qui la rend redondante. 5Comme Graham Brice l'a décrit. 6Herrmann est né en Amérique et a étudié la composition à la Juillard School. Il est allé à New-York pour devenir compositeur et chef d'orchestre et est apparu comme un champion reconnu de la musique contemporaine. Il est devenu chef d'orchestre de l'orchestre de la CBS Radio, occupant une position similaire à celle d'Arturo Toscanini à la NBC. En supplément, Herrmann a également écrit la musique de centaines (peut-être de milliers) d'émissions radio de CBS, où sa musique est entrée dans les archives et a été utilisée à plusieurs reprises, et même des années plus tard à la télévision. Par son travail à la radio, Herrmann a été au contact d'Orson Welles, et lorsqu'e celui-ci s'est déplacé à New-York pour commencer à travailler sur son premier long-métrage, il a pris Herrmann comme membre de sa troupe, le faisant débuter dans sa carrière de compositeur de musique de film. Quelques-unes des œuvres les plus connues d'Herrmann sont celles de ses débuts.Citizen Kane(RKO, 1941) fut réalisé la même année queTous les biens de la terre(RKO, 1941), qui lui fit gagner son seul Oscar et battre une foule de compositeurs Hollywoodiens bien implantés comme Alfred Newman, Miklós Rózsa, Max Steiner et Franz Waxman.Kane fut suivi parLa splendeur des Amberson(RKO, 1942).Les Ambersona été finalement réédité par le studio, qui a coupé sa musique de façon significative et en a complètement remplacé une partie. 7Débutant avecQui a tué Harry? etL'homme qui en savait trop(Universal, 1956), et continuant avecLe faux coupable(Warner, 1957),Sueurs Froides -Vertigo- (Universal 1958),La mort aux trousses(MGM, 1959), etPsychose(Universal, 1960). Les dernières partitions d'Herrmann pour Hitchcock sontLes oiseaux (Universal, 1963) (qui n'est pas cependant réellement une partition, Herrmann étant crédité de la supervision de la conception sonore basée sur des sons électroniques d'oiseaux),Pas de printemps pour Marnie (Universal, 1964) et enfinTorn Curtain(Universal, 1966). 8Herrmann travailla de 1963 à 1965 sur seulement les séries d'Une heure avec Hitchcock.Il orchestra la musique du thème "Marche funèbre pour une Marionette", (composée par Gounod) et réalisa les partitions de 17 épisodes, mais aucun de ceux réalisés par Hitchcock. 91959-1963 10Douze flûtes, six cors, neuf trombones, deux tubas, trois trompettes, violoncelles, contrebasses et une artillerie de percussions incluant des enclumes accordées 11Une liste complète des répliques, avec les points de début et de fin, est donnée en appendice de cet essai. [ndtcf. document annexe :tableau scenes musique la mort aux trousses.pdf] 12Comme mentionné par Graham Bruce, p. 120. 13La photographie principale (prise de vue) deLa mort aux troussesse termina le 18 décembre 1958, et le premier montage le 21 janvier 1959. Les retirages des scènes "Conduite en état d'ivresse" et du climax au Mont Rushmore, enfin, le 3 Mars 1959. 14Brown, p. 35 15Dans ses notes de doublage, Hitchcock mentionne qu'il sentait qu'elle sonnait beaucoup trop en tant que musique de "soulignement". 16Dans son article, Royal S. Brown affirme qu'à deux occasions, le Thème d'amour cite celui du filmSueurs froides - Vertigo-. Bien que ce soit loin d'être évident, le Thème d'amour est si simple et si progressif dans son mouvement mélodique, qu'on y entend une ornementation mélodique qui rappelle le Thème d'amour de Sueurs froides. Ces différentes citations apparaissent plusieurs fois dans trois scènes différentes, "Les adieux", "Les retrouvailles" et "Éconduit". Dans tous les cas, les citations renvoient à une circonstance semblable du premier film, dans lequel une femme blonde a séduit un homme et est tombée immédiatement amoureuse de lui. 17Il y a environ 52 minutes de musique, incluant les autres sources. La partition originale totalise seulement 47 minutes de musique. Le film dure deux heures et 6 minutes, ce qui veut dire que seulement un tiers du film est souligné par la musique. 18Dans la bande originale du film, trente-deux scènes durent moins d'une minute, onze sont en dessous de deux minutes, et seulement six dépassent les deux minutes. 19Le film a été projeté en avant-première à Santa Barbara, le 6 Juin 1959. Les cartes d'avant-première indiquent que les spectateurs n'ont pas aimé la séance. Quatre personnes seulement ont mentionné la musique. Deux ne l'ont pas aimée ("J'ai trouvé que la musique de fond était assez irritante" et "Volume de la
musique trop élevé" ont répondu les deux hommes) ; et deux l'ont approuvée ( "La photographie était excellente, tout comme la musique" et "La musique était remarquable" ont répondu les deux femmes). 20Les "Spotting notes" [ndtappelées ainsi parce qu'elles sont écrites lors des "Spotting sessions" - étape durant laquelle on décide où l'on va placer la musique] datées des 12, 22, 30 Janvier et 12 Février 1959 se terminent avant que la séquence ne commence. La dernière note concernait la scène "Le Message" et mentionnait qu'il y aurait davantage de musique. 21La partition a été enregistré enre le 20 et le 22 Avril 1959 et le mixage final a débuté le 27 Avril. Les notes de montage d'Hitchcock indiquent des changements effectués entre le 17 Avril et le 6 Mai. 22Une autre scène au moins paraît avoir réécrite, "La Gare", alors que Roger et Eve quittent le train. (Herrmann avait initialement écrit une musique avec une atmosphère de suspense, mais la partition a été réécrite avec une séquence plus longue qui débute avec le thème d'amour, puis change avec le motif du "Voyage" alors que la police recherche Roger parmi les porteurs de valises). Bien que les partitions de chaque version de la scène de "La Gare" existent encore, il est possible que des sections de "Sur les rochers" aient été recomposées et que les parties originales aient été perdues. 23 Effectif Instrumental de La mort aux trousses Bois Cuivres Percussions Cordes 1 Piccolo 4 Cors Timbales (2 timbaliers) 2 Harpes 2 Flûtes 3 Trompettes Caisse claire 8 Violons 1 2 Hautbois 2 Trombones Grosse caisse 8 Violons 2 1 Cor anglais 1 Trombone basse Cymbales (susp. et crash) 6 Altos 3 Clarinettes 1 Tuba Tam-tam (Gong) 6 Violoncelles 2 Clarinettes basses Castagnettes 3 Contrebasses 2 Bassons Tambour de basque 1 Contrebasson Xylophone (doublé par Vibraphone)
24Brown, p. 14. 25On note qu'il y a deux harpes dans cette partition au lieu d'une ou aucune habituellement. 26Une des quelques utilisations de cette technique se trouve dansDaphnis et Chloéde Ravel. 27Herrmann a également utilisé abondemment le vibraphone dans sa partition deTwilight Zone(nb. la série téléviséeLa quatrième dimension). 28Notes de la pochette du disque. 29Comme mentionné par Brown. 30En plus de "kidnappé"", le motif est utilisé dans la scène Le retour", quand Roger amène la police à la maison de Townsend, dans la scène aux "Nations Unies" et au "Bureau d'information", quand Roger va aux Nations Unies pour trouver Townsend, dans la scène de "La Cafétéria", quand Roger a arrangé sa rencontre avec Van Damm au Mont Rushmore, dans la scène de "La maison de Van Damm", quand Roger escalade la maison et dans la scène de "L'avion", quand Eve quitte Van Damm. 31Brown, p. 40. 32Il est utilisé non seulement dans la scène de "La cabine téléphonique" et de "La question", mais aussi dans "Fuite" (quand Eve part en courant dans la forêt après que Roger ait appris qu'elle projetait de partir avec Van Damm), ainsi que dans les scènes du "Balcon", de "La boîte d'allumettes", du "Message" et de "La télévision", qui sont des scènes d'une extrême tension. 33Brown, p. 14.
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