Théâtre dans le théâtre : signe des temps? - article ; n°1 ; vol.46, pg 155-168

M. Tadeuszkowzan

Description

Cahiers de l'Association internationale des études francaises - Année 1994 - Volume 46 - Numéro 1 - Pages 155-168
14 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

• Publié par: CAHIERS_DE_L-ASSOCIATION_INTERNATIONALE_DES_ETUDES_FRANCAISES
• Publié le: 01 janvier 1994
• Nombre de lectures: 32
• Langue: Français

Extrait

Tadeusz Kowzan
Théâtre dans le théâtre : signe des temps?
In: Cahiers de l'Association internationale des études francaises, 1994, N°46. pp. 155-168.
Citer ce document / Cite this document :
Kowzan Tadeusz. Théâtre dans le théâtre : signe des temps?. In: Cahiers de l'Association internationale des études francaises,
1994, N°46. pp. 155-168.
doi : 10.3406/caief.1994.1839
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/caief_0571-5865_1994_num_46_1_1839THÉÂTRE DANS LE THÉÂTRE:
SIGNE DES TEMPS?
Communication de M. Tadeusz KOWZAN
(Université de Caen)
au XLVe Congrès de l'Association, le 21 juillet 1993
Depuis les années soixante, il n'y a pas une soirée où
vous ne puissiez voir, dans les théâtres parisiens, quatre,
cinq ou même six spectacles avec une pièce dans la
pièce, spectacles ayant pour personnages un auteur dra
matique, un comédien ou une comédienne, pièces dont
l'action se passe dans un théâtre, ouvrages dramatiques
qui nous parlent directement de l'art théâtral — bref,
une des nombreuses variantes de ce qu'on appelle cou
ramment théâtre dans le théâtre et qui comprend aussi
le vaste domaine métathéâtral, celui des pièces sur le
théâtre. Ce phénomène s'intensifie au cours des années
soixante-dix et quatre-vingt.
Prenons, à titre d'exemple, la saison 1985-86. Le ré
pertoire du Théâtre de l'Europe, installé à l'Odéon, pré
sentait six pièces dont quatre relevaient du théâtre dans
le théâtre: L'Illusion de Corneille, Six Personnages en
quête d'auteur de Pirandello, Qui est le véritable ins
pecteur Hound? de Tom Stoppard et Le Critique de
Sheridan. D'un autre côté, un théâtre de la banlieue
parisienne, celui d'Aubervilliers, a donné, durant la
même saison, trois pièces dont chacune exploitait tel 156 TADEUSZ KOWZAN
ou tel aspect du théâtre dans ou sur le théâtre : Boule
vard du mélodrame de Juan Pineiro (Frédéric Lemaître
comme Robert Macaire), La Vie de Clara Gazul (ins
pirée de Mérimée), ainsi que La Nuit de Madame Lu
cienne de Copi.
Le phénomène en question marque incontestablement
la seconde moitié de notre siècle, en France comme
ailleurs. Il se manifeste dans la création dramatique,
dans le répertoire des théâtres ainsi que dans la mise en
scène et la scénographie. Regardons de plus près ces
trois volets (1).
* *
Les auteurs dramatiques français les plus marquants
de cette période n'échappent pas à la tentation de re
courir à ce procédé. Jean Cocteau qui, dès 1940, nous
introduisait dans un milieu théâtral avec Les Monstres
sacrés, n'a-t-il pas donné, peu de temps avant sa mort,
L'Impromptu du Palais- Royal (1962), «divertissement»
mettant en scène Molière et Louis XIV? Et Jean
Anouilh, dont la production dramatique fut jalonnée
de pièces métathéâtrales, depuis Eurydice (1941), La
Répétition ou L'Amour puni (1950) et Colombe (1951),
en a donné plusieurs, dans les années soixante et
soixante-dix, en atteignant le sommet de la théâtralisa
tion dans Ne réveillez pas Madame (1970) avec les ré
pétitions ďHamlet, les pastiches de Tchékhov et d'Ibsen,
la vie de toute une famille entièrement vouée au théâtre.
(1) Cette journée étant consacrée au «Théâtre en France depuis 1960», je
me limiterai aux pièces créées et aux spectacles donnés après cette date, sauf
quelques exceptions. THÉÂTRE DANS LE THÉÂTRE 157
Eugène Ionesco, déjà auteur de L'Impromptu de
l'Aima (1956), règlement de comptes avec les brechtiens,
et de quelques autres pièces comportant des éléments
métathéâtraux, est entré à la Comédie-Française, en
1966, avec La Soif et la faim dont le protagoniste assiste
à un spectacle insolite dans «une sorte de monastère-
caserne-prison». Off limits d'Arthur Adamov (1969)
contient toute une suite de happenings, notamment dans
le salon du directeur d'une chaîne de télévision améric
aine. Le Sang, fête théâtrale de Jean Vauthier (1970)
présente, dans un jeu de miroirs à l'infini, un metteur
en scène aux prises avec La Tragédie du vengeur de
Cyril Tourneur. Quant à Samuel Beckett, l'un de ses
derniers textes théâtraux fut le « dramaticule » Catas
trophe (1982), avec le Metteur en scène, son Assistante
et le Protagoniste, métaphore dédiée à Vaclav Havel, à
l'époque emprisonné (2). Évoquons un autre auteur dra
matique, ayant un fort penchant pour toutes sortes de
procédés métathéâtraux, Fernando Arrabal, et notam
ment ses pièces des années soixante : Cérémonie pour
un Noir assassiné (1966), L'Architecte et l'empereur
d'Assyrie (1967), Le Jardin des délices (1969).
Après les auteurs dits d'avant-garde, ceux des pièces
dites « à succès » ou « de divertissement ». André Roussin
nous a donné, dès les années quarante et cinquante,
des pièces sur le théâtre ( Une Grande Fille toute simple,
Jean-Baptiste le Mal-aimé, Bobosse, La Main de César).
Et parmi ses Treize comédies en un acte publiées en
volume en 1987, six ont un caractère métathéâtral, no
tamment sa dernière pièce, créée un mois à peine avant
son décès, La petite chatte est morte (1987), adorable
(2) On trouvera une analyse de Catastrophe dans mon article «Mise en
abyme et théâtralisation dans Impromptu d'Ohio et Catastrophe de Samuel
Beckett», in Phénoménologie et littérature- l'origine de l'œuvre d'art (éd.
M.E. Kronegger), Sherbrooke, Naaman, 1987, pp. 127-143. TADEUSZ KOWZAN 158
fantaisie sur le procès imaginaire d'Arnolphe qui, contra
irement au dénouement heureux de L'École des femmes,
aurait, fou de jalousie, tué Agnès. André Roussin y
transforme la comédie de Molière en une tragédie.
Françoise Dorin, elle aussi, adore présenter dans ses
pièces les milieux et les procédés théâtraux, pour ne
citer que Comme au théâtre (1967), Le Tube (1974) ou
L'Étiquette (1983). Signalons Jean Poiret, auteur de La
Cage aux folles (1973) et de Féfé de Broadway (1977),
ses grands succès commerciaux, mais aussi d'un spirituel
Impromptu de Marigny (1974), revue satirique com
mandée par la Comédie-Française. Le théâtre dans le
théâtre pénètre également dans les pièces policières,
comme Les Loges du crime de Jean Chapot (1978), Le
Troisième Témoin de Dominique Nohain (1979) ou Co
médie pour un meurtre de Jean-Jacques Bricaire et Maur
ice Lasaygues (1979).
Les procédés du théâtre dans et sur le théâtre sont
pratiqués, nous l'avons vu, aussi bien par des auteurs
de boulevard que par ceux d'avant-garde, par les dra
maturges les plus célèbres comme par des auteurs obs
curs ou méconnus. Quant aux techniques utilisées, elles
sont d'une grande diversité: on trouve, dans la product
ion dramatique contemporaine, toutes les variantes pos
sibles du théâtre dans le théâtre et du métathéâtre.
Commençons par la pièce dans la pièce, procédé le
plus typique du phénomène en question, son élément
distinctif le plus évident. Les occurrences en sont trop
nombreuses pour qu'il soit utile d'en donner un échant
illonnage. Je me bornerai à un seul exemple, peu banal
et peu connu: L'habit fait le prince de Georges Schéhadé
(1973), une pantomine dont le seul épisode dialogué,
pièce intérieure, est une «tragédie classique» en deux
actes. La technique de la pièce dans la pièce peut impli
quer une pièce tout entière plus ou moins longue, le
fragment d'une pièce ou simplement des citations dra- THÉÂTRE DANS LE THÉÂTRE 159
matiques. Mais il y a des cas où plus d'une pièce se
trouve inséré dans un ouvrage dramatique : Fracasse de
Serge Ganzl (1972) contient trois pièces intérieures, Un
Balcon sur les Andes d'Eduardo Manet (1979) en comp
orte