MARIA QUETSCHE
156 pages
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MARIA QUETSCHE

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Description

  • exposé - matière potentielle : biographique
MARIA QUETSCHE Jeanne RIBAUCOUR “On se trompe toujours cruellement On commet toujours un crime En condamnant le poète A ne parler qu'à ses murs...” Denys Louis Colaux A Francis A Daniel A Blanche A Françoise 1
  • moment de la mort de père
  • ogive claire de la porte cochère
  • marguerite
  • vieilles filles
  • vieille fille
  • blaise
  • air écœuré
  • tap monocorde
  • colonne d'air de la cage d'escalier
  • lampe d'opaline blanche
  • morte
  • mort
  • morts

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Nombre de lectures 55
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

MARIA QUETSCHE
Jeanne RIBAUCOUR
“On se trompe toujours cruellement
On commet toujours un crime
En condamnant le poète
A ne parler qu’à ses murs...”
Denys Louis Colaux
A Francis
A Daniel
A Blanche
A Françoise
12I
LE VIEUX DU QUATRIEME
1
C’est la fin de l’après-midi et il pleut. Cahin-caha Marguerite rentre chez elle. Elle
avance sur le goudron mouillé en utilisant son parapluie comme canne.
Elle a garé sa voiture à la place habituelle, au pied de la statue d’un poète oublié, un
certain Gustave Barbier. Elle pense à son nouvel appartement, à tous ces paquets mal ficelés
qui attendent. Encore une soirée de travail et tout sera enfin en ordre. Finir de s’installer, fa-
briquer des habitudes, voilà son seul souci.
Qui aime la vie quotidienne ? se demande-t-elle les yeux plissés à cause du crachin.
Qui sinon moi ? Elle est plutôt contente d'elle. Elle s’acharne sur ce thème qui l’élève lui
semble-t-il au-dessus du vulgaire. En effet pour la plupart des gens la vie quotidienne n’est
qu’une morne abstraction. Un tissu grisâtre. Quoi encore ? Une aventure monotone dont nul
n’aurait l’outrecuidance de parler.
Elle s’engage dans sa rue. Aussitôt la vie quotidienne explose, le tissu gris se déchire
en mille morceaux étincelants et bleus. Il y a une ambulance devant la porte de l’immeuble,
deux hommes blancs, un petit attroupement. Le gyrophare clignote comme un fanal de
détresse.
Quelqu’un est mort, peut-être. Marguerite presse le pas, approche en claudiquant.
Tiens ! c’est le vieux du quatrième ! Il est déjà sur la civière et il a l’air de dormir. Son béret a
glissé. On voit des mèches blanches sur l’ivoire de son front.
— Ils sont là tout de suite ! dit quelqu’un d’émerveillé.
Marguerite se penche sur le corps. La parka verdâtre du vieux est boutonnée avec
soin, sa gibecière est posée sur son torse comme une relique. Une couverture brune
emprisonne les jambes.
— Quatre minutes ! constate une autre voix admirative.
Mais Marguerite se désole. Justement elle avait décidé de voisiner un peu avec ce pauvre
homme ! Et voilà qu’on l’embarque sous son nez, les yeux clos, avant qu’ils n’aient fait
connaissance ! Elle se remémore la silhouette trapue, hésitante, entrevue chaque jour dans la
pénombre de l’escalier. Hier encore il était là, sur le seuil... Il se découpait dans l’ogive claire
de la porte cochère comme un instantané en noir et blanc d’une fulgurante beauté. Elle s’était
dépêchée de descendre les dernières marches mais il était parti avant qu’elle puisse le rat-
traper, laissant derrière lui un tel effet de solitude ! Ce sera pour demain, avait-elle pensé, et la
voilà qui soupire et qui se sent soudain glacée jusqu’aux os.
Les gens parlent.
— C’est Vous qui ?...
— Oui, c’est moi, dit le boulanger.
La porte de l’ambulance est rabattue, ensuite c’est le chant bref de la sirène et la longue
voiture blanche démarre dans une gerbe d’eau. Les gens se serrent autour du boulanger. Lui,
tête nue, un imperméable jeté sur le bourgeron de coutil, pérore... Marguerite, comme les
autres, écoute ce récitatif vibrant.
— C’est le moment de sa promenade, vous comprenez... Tous les soirs à la même heure, qu’il
pleuve, qu’il vente, elle sort. Moi, je suis toujours dans la boutique à cause de la fournée du
soir... Alors j’ai toujours un œil sur elle…
Mais de qui parle-t-il donc ?
Ce soir ça n’allait pas fort, le boulanger a vu ça tout de suite. Elle marchait tout de
travers ! Alors il s’est dit comme ça : “Toi, la petite mère, tu lui as fait un peu trop la causette
3au douze degré cinq ! (Clin d'œil). A peine se faisait-il cette innocente réflexion que paf ! Elle
tombe en avant le nez dans le ruisseau !
Marguerite tire le boulanger par la manche.
— Vous voulez dire que c’est une femme ?
— Ouais ! dit le boulanger dont la voix change aussitôt de registre, c’est plus fort que lui, il
rigole. On s’y tromperait, hein ?
— A mon avis elle est morte, décrète quelqu’un qui s’en va ensuite d’un air affairé.
L’effet est contagieux. Ils s'en vont tous. Marguerite reste seule avec le boulanger.
— Elle n’est pas morte ! affirme-t-il avec véhémence. Et puis avec ces trucs qu’ils ont
maintenant ils réaniment n’importe qui. Ils vont la requinquer, j’en suis sûr. C’est une sacrée
biture et puis voilà.
Marguerite hoche la tête, revoit ce dos triste au seuil de la lumière et se retrouve en
train de couper la parole au boulanger. Elle est assistante sociale. Qu’on lui donne le nom de
cette personne et elle fera le nécessaire pour lui venir en aide. Mais le boulanger ne connaît
pas le nom de la vieille. Il lui vend son pain tous les jours, mais pour le reste ! La boîte aux
lettres, peut-être ? Un client lui fait signe et le voilà parti.
Alors Marguerite pénètre dans l’immeuble qui lui parait moins pittoresque tout à coup.
Sa vétusté a quelque chose de sinistre. C’est probablement à cause de la misère moderne des
vieux, ce terrifiant, cet insoluble problème. Mais à cette heure-ci le hall est toujours triste !
décide-t-elle pour ne pas se laisser abattre. L’éclairage, sans doute ! Au bout d’une longue
chaîne rouillée la lanterne de fer forgé dispense une lumière tellement parcimonieuse ! Ce
n’est pas une raison pour m’attendrir sur mes cinquante cinq ans et la suite…
Bon. La boîte aux lettres. Celle-ci ? Celle-ci ?
Une dizaine de petites boîtes disparates sont clouées les unes à côté des autres sur le
lambris. C’est probablement la dernière à gauche. N’a-t-elle pas vu l’homme, un matin,
l’ouvrir de ses doigts tremblants ?
Les pas de Marguerite se répercutent misérablement sur le dallage, leur rythme
irrégulier est amplifié par la colonne d’air de la cage d’escalier.
Maintenant elle met ses lunettes. Déchiffre un nom calligraphié sur un bristol jauni.
Maria Quetsche. Le nom d’une femme.
2
Le surlendemain dans la soirée, après avoir entendu un minuscule coup de sonnette,
Marguerite ouvre la porte de son appartement. Elle voit un garçon de vingt ans planté sur le
palier, un sac de toile bleue pendu à l’épaule.
— Je suis le neveu de madame Quetsche. Vous m’attendiez bien aujourd’hui ? Vraiment,
Marguerite ne l’imaginait pas du tout comme ça. C’est un enfant ! se dit-elle aussitôt, atterrée.
Il ne sera pas capable de se débrouiller. Enfin, il a l’air gentil, bien élevé, c’est déjà ça.
— Entrez, je vous en prie.
Il essuie ses semelles sur le paillasson avec une application touchante, gardant les yeux
modestement baissés. Il ne voit rien. Ni les étagères de pin naturel, ni la lampe d’opaline
blanche, ni les porcelaines de Copenhague. Pour une première visite de l’appartement ce n’est
pas une réussite.
Mais il faut s’occuper sans attendre de Maria Quetsche. Il suit donc Marguerite le long
du petit couloir pour se rendre dans le living, lieu propice aux conversations sérieuses. Bien
entendu il se cogne au passage contre la console (elle entend avec agacement le petit choc
sourd et se promet de déplacer ce meuble dès le lendemain). Elle avance vers l’embrasure
vivement éclairée et dans son dos il y a le poids silencieux d’un regard (la première fois c’est
toujours terrible). La longue robe d’hôtesse qu’elle porte ce soir dissimule assez bien
l’ampleur de ses hanches mais non l’inquiétant mouvement du bassin : chute, ascension,
chute, ascension. Comme d’habitude, Marguerite se surveille. Elle tient le buste très droit.
4Mais ses mains avivées de petits gestes inutiles se déploient comme des oiseaux, elles
semblent occupées à conjurer l’aspect précaire de sa démarche.
Ils arrivent ainsi dans ce qu’il faut considérer comme la plus belle pièce de
l’appartement. Marguerite avance un fauteuil bleu, tapote un coussin.
—Je vous dirai tout ce que je sais, déclare-t-elle avec un élan de bonté. Le jeune garçon
s’assied dans le fauteuil bleu.
— Elle n’a pas souffert. Tout a été très rapide. Hospitalisée à cinq heures environ, à sept
heures tout était fini. Je l’ai vue peu après. Elle était encore dans la chambre...
Le neveu de Maria Quetsche arbore un étrange sourire et Marguerite n’est pas très sûre
qu’il écoute ce qu’elle dit. Ce sourire la déconcerte. Il est posé sur les jeunes lèvres rouges
comme un ensoleillement de commande. Il faut absolument effacer se sourire ! suggère le
subconscient de Marguerite.
Elle pose quelques questions prosaïques. Comment a-t-il pu se rendre libre tout de
suite ? A-t-il encore ses parents ? Etc... Il se racle la gorge. Annonce qu’il est au chômage et

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