Waterloo ou la pluralité des interprétations Philippe Mongin ...
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Description

  • leçon - matière potentielle : géniale dans le passage
  • mémoire - matière potentielle : outre - tombe
  • mémoire
  • mémoire - matière potentielle : collective
  • redaction - matière : littérature
  • cours - matière potentielle : des choses
Waterloo ou la pluralité des interprétations Philippe Mongin* Résumé. Les interprétations de Waterloo appartiennent à l'histoire non moins que cet événement lui-même. L'article étudie en détail celles de Clausewitz et Stendhal, avant de proposer une ébauche philosophique sur les concepts d'interprétation et de pluralité interprétative. Il découvre en Clausewitz l'un des premiers théoriciens du choix rationnel, et en Stendhal, qui s'exprime à travers son personnage Fabrice, un théoricien de la sémantique avant l'heure.
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Langue Français

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Waterloo ou la pluralité des interprétations

*Philippe Mongin

Résumé. Les interprétations de Waterloo appartiennent à l'histoire non moins que cet
événement lui-même. L'article étudie en détail celles de Clausewitz et Stendhal, avant de
proposer une ébauche philosophique sur les concepts d'interprétation et de pluralité
interprétative. Il découvre en Clausewitz l'un des premiers théoriciens du choix rationnel, et
en Stendhal, qui s'exprime à travers son personnage Fabrice, un théoricien de la sémantique
avant l'heure. Choisis pour leurs tendances opposées, respectivement unificatrice et
dissolvante, ces deux exemples aideront à établir finalement que la pluralité des
interprétations n'est pas dénuée de règles.

Mots-clefs: Waterloo, Napoléon, Clausewitz, Stendhal, La chartreuse de Parme,
interprétation, pluralité interprétative, récit, théories du choix rationnel

Abstract. The interpretations of Waterloo are part of history no less than the event itself. This
article investigates those of Clausewitz and Stendhal in detail before offering a philosophical
sketch on the concepts of interpretation and interpretive plurality. It likens Clausewitz to a
rational choice theorist, and Stendhal, who expresses himself through his character Fabrice, to
a theorist of semantics before the time. Having been selected because of their opposing trends
towards unification and dissolution, the two examples will help bring the conclusion that the
plurality of interpretations is to some extent orderly.

Keywords: Waterloo, Napoleon, Clausewitz, Stendhal, The Charterhouse of Parma,
interpretation, interpretative plurality, narrative, rational choice theories



1. L'événement historique face aux interprétations, une pluralité sans règle?

Le 18 juin 1815, dans un repli de la plaine brabançonne, une bataille de quelques heures
déclenchait des conséquences incalculables qui ne sont pas toutes d'ordre politique et
militaire. Elle provoquait la seconde chute de l'Empire et la réinstallation durable de la
monarchie, elle confirmait le système diplomatique de Vienne et la mise en sujétion de la
France par les autres puissances. Mais Waterloo eut aussi des effets plus inattendus, qui nous
occuperont particulièrement ici. Défaite outrageuse pour les uns et victoire sans gloire pour
les autres, Waterloo est un triomphe du génie interprétatif des peuples européens. Depuis
presque deux siècles que l'événement perdure dans leur mémoire et leur imagination, il aura
sollicité de multiples façons l'activisme des historiens, des militaires, des littérateurs, des
artistes. Modeste fantassin de cette armée de l'ombre, nous tenterons de faire progresser non
pas l'interprétation de l'événement lui-même – ce but a motivé un travail antérieur, d'un genre
1historique particulier – mais, réflexivement, celle des interprétations qu'il a suscitées. Pour ne
pas entraîner le lecteur dans une cavalcade à travers deux siècles d'histoire et de littérature,
sans parler d'une iconographie populaire et artistique elle aussi foisonnante, nous limiterons

* CNRS et Groupe HEC. Courriel: mongin@hec.fr L'auteur remercie de leurs commentaires la rédaction de
Littérature et ses auditeurs au Colloque de la Société de Philosophie Analytique à Genève en 2009.
1 Mongin (2008) reconstruit la stratégie de campagne de Napoléon en s'aidant du modèle des jeux à somme nulle
introduit par von Neumann et Morgenstern. 2d'autorité l'examen. Il ne portera que sur deux auteurs, Clausewitz et Stendhal, sélectionnés à
la fois pour l'excellence – que nous démontrerons - de leurs commentaires et parce que le
principe de l'un s'oppose immédiatement à celui de l'autre. Nos deux exemples, l'historique et
le romanesque, se trouvent en effet aux extrémités polaires du spectre interprétatif, ce qui
nous excusera peut-être de ne pas en étudier d'autres.

Clausewitz illustrera le mode analytique d'appréhension de Waterloo. Le stratège prussien est
e eun des maîtres du genre du récit de campagne, tel qu'il se développe aux XIX et XX siècles
chez les écrivains militaires, et c'est un apport que des admirateurs trop exclusifs du traité De
3la guerre n'ont pas su reconnaître comme il convenait. En l'occurrence, La campagne de
France de juin 1815 nous semble toujours, malgré certaines lacunes, le récit militaire le plus
brillant qu'ait produit l'énorme littérature spécialisée. Clausewitz soumet ses interprétations à
une hypothèse de travail exclusive: les hommes poursuivent instrumentalement leurs fins.
Nous montrerons à propos de Napoléon et de ses maréchaux comment il l'ajuste aux données
de l'histoire qu'en sens inverse, elle l'aide à sélectionner, sérier, agencer. La circularité
productive de ce mouvement est une généralité de l'interprétation qui s'applique au-delà de
l'hypothèse particulière, dite aujourd'hui de rationalité individuelle.

Stendhal illustrera, par une sorte d'opposé, la fragmentation volontaire de l'événement
Waterloo, ramené aux significations et aux sensations de ses acteurs subalternes, perdant à la
longue sa nature d'objet reconnaissable et de problème lancé à l'interprétation. Ignoré ou mal
décrit par la critique, le paradoxe de La chartreuse est qu'elle offre une interprétation parmi
d'autres de la bataille tout en contestant qu'aucune soit possible. Nous tenterons d'offrir une
solution démarquée de la théorie sémantique. La force de l'exemple, ici encore, peut
s'apprécier comparativement, car Stendhal a fondé un genre nouveau, le récit littéraire de
bataille au point de vue du témoin subjugué, genre évidemment plus occasionnel et fragile
que son répondant clausewitzien, mais à sa manière limitée, reproductible comme tel. Le
fonctionnement complice de ce genre, chez Tolstoï et d'autres continuateurs moindres, traduit
une autre généralité de l'interprétation, qui est sa capacité de reproduction auto-référentielle.

Une fois campés nos deux auteurs, nous nous déporterons vers une ébauche philosophique sur
l'interprétation et la pluralité interprétative qui fait le but dernier de l'article. Car Waterloo, qui
ne sera plus à ce point qu'un exemple motivant, soulève la question générale et conceptuelle
de réconcilier la liberté des interprètes, qu'on dirait sans règle ni principe unificateur, avec
l'admission qu'ils font tacitement de traiter du même événement historique supposé connu. Si
Stendhal et Clausewitz avaient pu se lire, ce que la chronologie autorisait (La chartreuse date
de 1835 et La campagne de 1839), ils se seraient peut-être amusés de la dissimilitude presque
extravagantes de leurs récits, alors que, déjà, les journées de juin 1815 avaient conquis leur
place dans la mémoire collective. Nous analyserons le problème et proposerons d'y répondre à
partir de l'idée simple que l'interprète dévoile des significations et non pas des vérités.
L'étonnement initial que suscite la pluralité interprétative s'expliquerait par une conception
trop large de la nature sémantique propre à son activité. Une fois qu'on la ramène à ce qu'elle
est, on lui découvre des règles implicites, d'ordre conceptuel et stylistique, qui en limitent la
diversité première. Bien plus, elle s'avère propice non seulement à la liberté, mais aux
hiérarchies: certaines interprétations l'emportent sur d'autres, même si toutes ne sont pas
commensurables, ce que le rapprochement de Stendhal et Clausewitz avec leurs successeurs
faisait déjà sentir à l'intuition. Notre ébauche a pour objet l'événement historique et la

2 L'ouvrage de Largeaud (2006) couvre la documentation de langue française, mais il manque des recensions
comparables pour les autres langues.
3 Ainsi, regrettablement, Earl Meade (1943), Aron (1976, 1987), Paret (1992).
2 diversité de ses restitutions, mais elle pourrait se développer plus généralement: elle reflète
une option rationaliste sur la pluralité interprétative qui tranche avec cell

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