La série de réformes à laquelle Matteo Renzi soumet l’Italie ébranle habitudes et certitudes. Dans le même temps, elle remet en cause le fonctionnement de l’État italien et interroge son autorité, sa capacité à affirmer le pouvoir du peuple sur les puissants. Plus que jamais (comme on l’a vu à la suite des incidents qui ont troublé la finale de la Coupe d’Italie) la nécessité d’un État efficace, et donc d’une démocratie vigoureuse, se fait sentir. L’aspiration universelle à une métamorphose de l’Italie est sans doute plus forte encore que la capacité de réformes de Matteo Renzi. En effet, si la clarté et l’unité de sa vision n’apparaissent pas toujours clairement, et s’il donne l’impression de courir sans cesse, c’est aussi parce qu’il sait que les attentes sont immenses et difficilement traduisibles en un programme politique. Le Président du Conseil utilise lui-même le mot de « révolution ». Car c’est bien par le paradigme révolutionnaire, récurrent en Italie depuis le début des années 1990, que l’on peut le mieux comprendre les enjeux actuels. Comment Matteo Renzi conçoit-il sa révolution de la démocratie italienne ?
TADDEOSCOPE ITALIE #7En direct de la presse italienne, saisir les enjeux de la mutation politique en cours. 9 mai 2014 : Une démocratie impuissante La série de réformes à laquelle Matteo Renzi soumet lItalie ébranle habitudes et certitudes. Dans le même temps, elle remet en cause le fonctionnement de lÉtat italien et interroge son autorité, sa capacité à affirmer le pouvoir du peuple sur les puissants. Plus que jamais (comme on la vu à la suite des incidents qui ont troublé la finale de la Coupe dItalie) la nécessité dun État efficace, et donc dune démocratie vigoureuse, se fait sentir. Laspiration universelle à une métamorphose de lItalie est sans doute plus forte encore que la capacité de réformes de Matteo Renzi. En effet, si la clarté et lunité de sa vision napparaissent pas toujours clairement, et sil donne limpression de courir sans cesse, cest aussi parce quil sait que les attentes sont immenses et difficilement traduisibles en un programme politique. Le Président du Conseil utilise lui-même le mot de révolution ». Car cest bien par le paradigme révolutionnaire, récurrent en Italie depuis le début des années 1990, que lon peut le mieux comprendre les enjeux actuels. Comment Matteo Renzi conçoit-il sa révolution de la démocratie italienne ?
LES CORPS INTERMEDIAIRES» COURT-CIRCUITES
Pour Matteo Renzi, rénover la démocratie signifie vider les corps intermédiaires» de leur pouvoir. Bien que lexpression corps intermédiaires » ne fasse pas partie du lexique renzien, les observateurs notent quasi unanimement la désinvolture, le mépris, voire lantagonisme affiché à légard des syndicats des travailleurs et de la Confindustria. Selon Roberto Mania (La Repubblica, 4 mai), cest là que se trouverait la véritable rottamazione», mise à la 1 casse. Le refus du Président du Conseil de se rendre au congrès de la CGILa été largement commenté, et a donné loccasion à Susanna Camusso, sa secrétaire générale, dattaquer
1 Confédération générale italienne du travail (Confederazione Generale Italiana del Lavoro)
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directement le chef du Gouvernement en défendant les idéaux de la gauche contre lexercice autoritaire du pouvoir, mais aussi en présentant un véritable projet politique alternatif (Dario Di Vico,Corriere della Sera, 7 mai). Le fait dignorer et de court-circuiter les syndicats est perçu comme un véritable déni de démocratie. Quelques jours auparavant en effet, le Président du Conseil avait annoncé que la réforme de ladministration se ferait sans concertation, mais que les travailleurs pourraient envoyer directement leurs propositions au Gouvernement, et que les syndicats, sils le souhaitaient, pourraient également les faire connaître avant le 13 juin, sans préséance particulière. La volonté de sadresser directement aux citoyens, et de susciter leur participation directe est lun des piliers de la communication cross-médiatique de Matteo Renzi, qui vise à prouver au peuple que le Gouvernement est décidé à sen prendre à tous les pouvoirs qui sopposent au changement. Ainsi, le plan de réforme de ladministration publique, objet de lannonce la plus récente, combine rajeunissement du personnel (par une politique dembauche et de départs à la retraite), mobilité obligatoire (avancement déterminé par des missions plutôt que par lancienneté), possibilité de licencier les dirigeants publics, limitation du nombre des préfectures (Alberto dArgenio parle dune révolution antibureaucratique »,La Repubblica, er 1 mai).Des mesures qui visent à contenter lélectorat tenté par le populisme, mais qui entendent aussi replacer le citoyen au cœur de la mission de lÉtat. Une nouvelle conception de la démocratie est en jeu, non plus fondée sur des mécanismes de représentativité et de décision permettant lexpression de la volonté du peuple, mais sur leffectivité, limpartialité et la rapidité du service public offert au citoyen-contribuable. Renzi conçoit cette qualité comme le gage dun pacte social renouvelé et durable, quitte à donner une vision quelque peu consumériste du service public. Lenjeu, en campagne électorale, est de siphonner »lélectorat de Beppe Grillo, ce qui, pour le moment, semble bénéficier à Matteo Renzi (cf. Claudio Cerasa,Il Foglio, 7 mai).
VERS UN REGIME PRESIDENTIEL ?
Comme nous lavons déjà souligné, Matteo Renzi parie sur le soutien de lopinion. Or sa capacité à réellement transformer la démocratie italienne dépend de deux facteurs, lun politique, lautre lié à sa méthode de gouvernement. Dun point de vue politique en effet, la campagne pour les élections européennes bat son plein. Matteo Renzi cherche à corriger limage dun PD (Parti Démocrate) dominé par sa personne (Francesco Bei,La Repubblica, 4 mai). Daprès les sondages, le PD disposerait dune avance confortable et atteindrait les 33%, loin devant FI (Forza Italia) qui obtiendrait 19-20%. Daprès Matteo Renzi, cette proportion est idéale, FI se trouvant contrainte de maintenir lalliance conclue avec le PD pour les réformes. Néanmoins, Silvio Berlusconi a su récemment montrer à Matteo Renzi quil restait incontournable (lexcavaliereest affaibli mais encore indispensable », selon les termes de Roberto dAlimonte,Il Sole 24 ore, 8 mai 2014), dautant plus quil existe un risque non négligeable que laile anti-Renzi au sein de FI prenne le pas sur les partisans de lalliance (Ugo Magri,La Stampa, 4 mai). Dernière manœuvre : en guise de contrepartie à la réforme du Sénat, FI exige la mise en place dun régime présidentiel, ce à quoi Matteo Renzi se serait dailleurs montré favorable (Corriere della sera, 5 mai). Cette revendication du présidentialisme »,vieux cheval de bataille de lexcavaliere, souligne en réalité un véritable point faible de la méthode Renzi». Finement analysée par Enrico Marro dans leCorriere della Sera (5mai), cette méthode est essentiellement
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composée dexpédients visant à accélérer la machine incroyablement complexe du parlementarisme italien : annonce des réformes quelques semaines avant leur adoption par le Conseil des ministres, savant dosage de décrets (majoritaires) et de projets de loi, usage important du vote de confiance. Or dans lemare magnumdes réformes, seul le bonus de 80 euros mensuels pour les bas salaires a été définitivement adopté. La réforme de ladministration, la réforme constitutionnelle, la réforme de la loi électorale, le remboursement de la dette aux entreprises, sont encore dans les rouages du Parlement. Silvio Berlusconi a donc beau jeu daffirmer que les réformes risquent dêtre un château de cartes ». Par conséquent, plus FI retardera ladoption de certains textes (comme la réforme du Sénat), plus les lenteurs du système parlementaire seront apparentes, et plus la question du présidentialisme sera pertinente.
UN SYMBOLE DESASTREUX
Les soubresauts qui traversent lItalie sont-ils lindice dune mue salvatrice? En début de semaine, les images dramatiques de la finale de la Coupe dItalie occupaient encore les unes des quotidiens. La fusillade à lextérieur du stade et ses conséquences à lintérieur. Lorsque les deux clubs se sont mis daccord pour tenir »leurs troupes, M. Hamsik, joueur du SSC Naples,entouré de policiers et de dirigeants, est venu en avertir les supporteurs napolitains. Limage du fort peu recommandable chef desazzurri, assis sur sa barrière, indiquant dun pouce levé quil acceptait la décision, est devenue dans les journaux le symbole dun État soumis au bon vouloir des hooligans. Les commentateurs exprimaient un pessimisme empreint de colère et dénonçaient le retard de lItalie en termes de lutte contre la violence dans les stades, mais également le lien entre clubs de supporteurs et mafia. Une honte à effacer» titrait leCorriere della Sera du5 mai; Roberto Saviano, auteur de Gomorra, véritable icône antimafia de lItalie contemporaine, dénonçait dans un éditorial enflammé lo stato nel pallone », cest-à-dire lÉtat dans les cannes », en italien dans le ballon » (La Repubblica, 5 mai).FI et Grillo ont de leur côté dénoncé la passivité de Matteo Renzi présent au stade. Même si certains analystes soulignent linstrumentalisation électoraliste de cet épisode dramatique (Maria Teresa Meli,Corriere della Sera, 5 mai),laffaire conduit inévitablement à porter un regard désabusé sur les réformes, désespérément insuffisantes.
A SUIVRE −La mise en place de réformes rapides et radicales semble le seul capital politique viable aujourdhui en Italie. −Droite et gauche sont liées par cette forme de nécessité politique qui simpose à tous, de plus en plus. −Il existe néanmoins une guerre dusure, chacun des acteurs essayant de tirer les réformes à son avantage. −Sil y a un vainqueur dans cette guerre dusure, ce sera celui qui maintiendra le plus longtemps possible limpression (ou lillusion) quil estle véritable moteur des réformes et quil est prêt à aller plus loin que les autres.