Le rien en architecture, l architecture du rien
265 pages
Français

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Le rien en architecture, l'architecture du rien , livre ebook

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Description

Joseph Nasr est architecte et docteur en philosophie. Il enseigne l'architecture au Liban. Sa pensée sur l'abstraction est née de l'extase face au Carré noir de Malevitch. Pour lui, la philosophie et l'architecture sont la clé de l'osmose qui permet d'accorder un sens à l'existence. Il se consacre à la manifestation du Rien, lui attribuant "substantialité" et "phénoménalité". Il se passionne pour les phénomènes de la destruction, de la disparition, de la ruine, de l'anthropophagie de l'architecture et de la ville.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 janvier 2011
Nombre de lectures 392
EAN13 9782336273549
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,1050€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Le rien en architecture, l'architecture du rien

Joseph Nasr
© L’Harmattan, 2010 5-7, rue de l’Ecole-Polytechnique, 75005 Paris
http://www.librairieharmattan.com diffusion.harmattan@wanadoo.fr harmattan1@wanadoo.fr
9782296128378
EAN : 9782296128378
Penser le « Rien », exister le « Rien », le « Rien » est une pensée.
« La seule chose que je sais, c’est que je ne sais rien. »
Socrate
Sommaire
Page de titre Page de Copyright Epigraphe PREFACE INTRODUCTION I. La philosophie du Rien II. Le Rien : la forme de l’immatérialité III. Le Rien en architecture CONCLUSION BIBLIOGRAPHIE
PREFACE
Le rien, le vide, le néant... ne sont pas les tabous de l’architecte mais des catalyseurs de son imaginaire. Les architectes sont soucieux de ces décalages de perception qui les mettent en position d’avoir un regard différent et non de se laisser conduire par la volonté de faire « tabula rasa ». En ce qu’il voit et ce qu’il imagine, le « vide » n’est plus aujourd’hui fondé sur l’hypothèse d’un vide concret, celui qu’on obtient par la « tabula rasa », il devient opérationnel : c’est à partir d’une figuration possible du vide que les potentialités de ce qui est déjà là peuvent se révéler. Persiste cependant une ambiguïté fondamentale dans l’usage philosophique que l’architecte peut faire du vide. Le vide n’est-il qu’une qualité esthétique de la construction architecturale ou se présente-t-il comme un concept intrinsèque à l’imaginaire des architectes, un concept qui crée de la fiction, du possible ?
Le musée des Juifs à Berlin, réalisé par Daniel Libeskind, dans une atmosphère émouvante de silence, offre plusieurs modalités de témoignage à travers les registres visuels d’un récit qui jamais ne pourra se clore. Cette démarche architecturale n’a plus de commune mesure avec la scénographie d’une rétrospective mémorialiste. Le musée offre une terrible impression de vide et curieusement ce vide n’est pas le symbole de l’oubli mais celui du trop-plein des mémoires. Les quelques traces indélébiles de ce qui s’est passé ne sont pas là comme des preuves mais comme des signes vivants qui ne disparaîtront plus. L’architecture du lieu ouvre autant la voie à une anamnèse qu’à une violence du recueillement par la souveraineté de son silence. La muséographie ne permet pas cette distance habituelle qu’offre au regard la présentation solennelle des objets, elle se fait témoignage actif sans avoir le moindre recours aux subtilités des technologies interactives. À de telles fins, le lieu architectural se fait lui-même récit, et condition du récit pour celles ou ceux qui, à leur manière, accomplissent une forme d’anamnèse. Qui entre dans ce musée, entre dans un processus narratif. Le récit n’est plus donné à entendre ou à voir comme peuvent l’être les objets eux-mêmes, il se reprend et se poursuit de sorte que les visiteurs sont mis en situation « d’être témoins de ». Pareil processus narratif n’est pas du tout similaire à celui qui consiste, comme dans un autre musée des Juifs à Washington, à donner un matricule au visiteur pour qu’il vive le simulacre d’une vie dans un camp de la mort. Il y a dans le musée de Libeskind un souci de préserver les échelles de temps qui caractérisent le processus narratif dans la mise en œuvre d’un témoignage. Le visiteur garde pour ainsi dire sa part de fiction et celle-ci demeure aux antipodes d’un moralisme terrorisant qui unit la scénographie du témoignage à la tyrannie de la vérité. Le vide offre une liberté absolue à l’immatérialité de la mémoire.
Lao-Tseu écrit dans le Tao te King : « Ma maison ce n’est pas les murs, ce n’est pas le sol, ce n’est pas le toit, mais c’est le vide entre les éléments parce que c’est là que j’habite. » Le vide permet en quelque sorte l’avènement du corps dans l’espace, ou ce qui rend possible la condition de notre représentation de l’espace. Sans doute est-ce la pensée du vide qui permet d’imaginer ce que peut être le plein de la même façon qu’on s’est habitué à croire que l’être pouvait être pensé à partir du néant. Ce qui permet de faire perdurer l’idée pour le moins traditionnelle depuis Descartes que le vide peut être assimilé à un contenant. Difficile alors de ne pas faire allusion à cette célèbre question populaire : préférez-vous un verre à moitié plein ou à moitié vide ? Ou pour reprendre encore Descartes : « Je suis comme un milieu entre l’être et le néant ». Pour Paul Valéry, l’idée de néant est une feinte de l’esprit. Et pour les architectes ? « Le néant, explique l’architecte coréen Itami Jun, est un point fondamental de la philosophie orientale. Il consiste à faire le vide en soi avant d’accéder à la création. Ce n’est qu’en accédant au néant que l’on parvient à l’être. En ce qui concerne l’architecture, c’est par le truchement des matériaux que je peux accéder à ce néant et ainsi toucher à la beauté du monde. » Ce qui peut paraître surprenant au regard du profane, c’est l’absence d’opposition, au moins d’un point de vue philosophique, entre le vide et la densité dans l’imaginaire des architectes.
Qu’en est-il du rien ? Le rien n’est-il que l’oubli du vide ou son piédestal ? On est sans doute trop habitué à se représenter la dimension symbolique d’une ville par ses monuments, par ses œuvres artistiques, par ses nouvelles constructions architecturales. Le symbolique, en ce sens, tiendrait d’abord à l’effet historique qu’il produit et qu’il soutient dans la durée, de la même manière qu’un citadin crée de lui-même ses propres lieux symboliques dans « sa » ville, à partir de « son » histoire, grâce à cette inscription territoriale de « sa » mémoire. En deçà de cette visualisation obligée des éléments symboliques urbains, il existe, comme tout un chacun l’éprouve au quotidien, un jeu symbolique implicite, plastique, labile dont la visibilité demeure ponctuelle ou absente. Quelqu’un qui marche dans une ville où il habite se constitue des repères qui, le plus souvent, ne sont guère modifiés, mais il crée en même temps des liens symboliques qui outrepassent de tels repères grâce à un jeu constant de projection ou de rétrospection. Malgré l’aspect obsidional de la mémoire, le temps et l’espace bougent simultanément dans un tel jeu, ce qui permet aux « liaisons symboliques » de rester en mouvement, en deçà de leur apparente stabilité.
Si on considère habituellement que les ruines des cités antiques, comme celles de Palmyre en Syrie, expriment toute la magnificence des civilisations disparues, qu’en est-il des ruines du temps présent, de ces ruines que provoquent les guerres et les désastres ? Chaque ville semble rechercher les traces de son antiquité au rythme des excavations qui permettent de les mettre à jour comme si elles naissaient à notre époque, tandis que les bâtiments détruits par des bombardements ou des séismes ne représentent que la désolation de l’humanité face aux caprices de la nature ou aux horreurs des humains. La ruine qui sort de terre est choyée, vénérée parce qu’elle consacre par sa présence une « épaisseur de l’histoire », les ruines actuelles affolent les populations qui n’ont plus de quoi se loger ni survivre. La première sert de symbole éternel, les secondes sont les horribles signes de la déperdition et de l’anéantissement. Pourtant, les cités abandonnées ont vécu le temps de leur destruction tragique, mais ce temps-là est aussi pétrifié que les pierres restantes qui le rappellent au regard contemporain. Alors se pose la question de la mémoire de la destruction, laquelle ne peut trouver pour résolution que l’alternative offerte par l’édification d’un mémorial. Afin que l’oubli ne se réalise pas comme l’unique effet cathartique de la destruction, un repère symbolique vient idéalement cristalliser l’angoisse des mémoires collectives.
Dans la reconstruction du centre de Beyrouth, une sérieuse controverse a été soulevée, en 1992, par les démolitions injustifiées des édifices du centre épargnés par la guerre, ces mêmes édifices ayant été pou

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