Musique urbaine au Katanga
189 pages
Français

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Musique urbaine au Katanga , livre ebook

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189 pages
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Description

Des chercheurs travaillant à Lubumbashi tentent de présenter l'évolution de la musique urbaine au Katanga à partir des années 1940. Les contributions retracent la naissance de la musique moderne de danse et analysent son évolution. L'un des pionniers des musiciens katangais, Edouard Masengo, qui vient de décéder, y raconte sa longue carrière. Plusieurs chansons, surtout de la période initiale, sont transcrites et traduites en français. L'émergence récente de la musique autodidacte de jeunes citadins marginalisés est présentée en fin de volume.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 octobre 2003
Nombre de lectures 794
EAN13 9782296788237
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0600€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Introduction

DE LA MUSIQUE KATANGAISE
AUX MUSIQUES AU KATANGA

À la mémoire d’ÉdouardMasengo Katiti


Nous n’avons pas pour ambition de présenter l’histoire de la musique katangaise « moderne » {1} . Les auteurs de cet ouvrage se limitent à en explorer certains aspects, tant du côté de la relation entre les musiciens et leur public que du côté des conditions, surtout régionales et nationales, qui, dans les années 1950 à 1970, ont influencé la naissance de la musique katangaise, puis son recul – avant son retour dans les années 1990. Il n’y a aucun doute que cet art, qui est aussi un discours sur l’individu et sur la société, et influencé par la spécificité de la société urbaine du Katanga, une société ouvrière centrée sur le travail salarié – le kazi. La structure de pouvoir social y est marquée par le contrat de travail salarié industriel. La conception de la modernité d’origine coloniale, les moyens de sa capture, puis de sa domestication alternative locale, sont les fondements de l’originalité de cette musique. C’est surtout en cela qu’il faut chercher ce qui rend la musique katangaise différente de la musique de Kinshasa/Brazzaville {2} et, à partir de la fin des années 1960, y voir les raisons de son recul, frôlant même son oubli. Cependant, l’oubli n’est pas l’effacement. Dans les nouvelles conditions des années 1990, la mémoire sociale a rendu présents et actuels le passé et sa musique. Un miracle de souvenir a fait surgir ce qui ne semblait plus avoir de droit de cité, mais ce souvenir était encore trop emprunt de nostalgie pour qu’en surgisse du neuf. Les anciens disques grinçant et titubant ont permis aux vieux de faire entendre aux jeunes ce qui n’était que légende d’une musique que le pouvoir de Mobutu a toujours suspecté de nourrir un rêve sécessionniste. Rêve ou cauchemar, la mémoire de la sécession katangaise n’a jamais quitté le paysage politique congolais.
Un bref retour sur la scène locale du dernier des grands musiciens katangais, qu’on prenait généralement pour décédé, Edouard Masengo, s’est fait sous le signe de la nostalgie. Il n’est pas sans importance que cette « découverte » de Masengo, soit intervenue vingt ans après son retour à Lubumbashi, dans le cadre des manifestations publiques du projet « Mémoires de Lubumbashi » {3} , ni que nous la devions à Claude Mwilambwe, l’exemple d’intermédiaire culturel de cette époque difficile : universitaire, personnalité du monde associatif religieux et communautaire, un Katangais d’origine ouvert à tous.
La dernière phase, longue d’à peine trois ans, de la carrière d’Edouard Masengo est emblématique de la renaissance nostalgique de la musique katangaise « professionnelle » des années 1950 et 1960. Mis à part quelques « vieux », le musicien n’arrivait pas vraiment à renouer avec le public de bar qui a substantiellement changé. On ne l’invitait plus, c’est lui qui s’invitait venant chanter quelques chansons avant de tendre son chapeau où peu de billets atterrissaient. Il faut évidemment noter que le lieu même a changé : le cabaret a été remplacé par sa version informelle, le nganda , dont la configuration (des paillotes assez éloignées l’une de l’autre) empêche que l’on chante pour tous en même temps, alors que le bar doté d’une piste de danse avait besoin d’un orchestre ou d’un système de son. En 2000, Masengo n’écrit plus de textes, ne compose plus de musique. Il est l’incarnation du miracle de souvenir, du flash nostalgique du temps qui ne reviendra plus comme ne reviendra non plus le kazi , ce parapluie de la relation paternaliste entre la grande entreprise industrielle et ses travailleurs que l’hommeouvrier étendait audes sus de sa famille {4} . Un nouveau type d’entrepreneur, même s’il est enraciné dans le terreau colonial local, compose avec le pouvoir et avec la maind’œuvre sur une nouvelle base – opportuniste et purement d’affaires. Alors que l’entreprise Forest achève l’effacement du patrimoine minier constitué au temps colonial de l’ancienne UMHK, la ville ne se souvient de la musique des années 1950 que pour mieux inscrire le passé du côté de pertes. Au moment où le terril de l’usine thermique, qui en 1911 a fait couler les premiers kilogrammes de cuivre, s’effaçait du paysage urbain (dont, avec la cheminée de l’usine, il était le symbole {5} ), la culture urbaine – plutôt petite bourgeoise qu’ouvrière – faisait entendre par la bouche de Masengo son chant du cygne. Ni lui ni la troupe théâtrale Mufwankolo {6} ne trouvaient plus de place à la radio et à la télévision locales dominées par la musique religieuse. Il serait simpliste de dire que c’est une affaire d’argent. Les médias, jadis publics, pour le meilleur de la diffusion culturelle et pour le pire de la propagande politique, sont devenues informelles et de fait privatisées. Pour s’y produire, il faut payer, l’univers de propagande de la Seconde République a été saisi par l’informel. La culture religieuse trouve une audience, entre autres parce qu’en vertu du principe libéral, les groupes religieux ont le moyen de produire leur propre audience. Contrairement à de nombreuses vedettes de la musique kinoise, Masengo n’a même pas envisagé la conversion à la musique religieuse, la troupe Mufwankolo y résiste aussi, mais la culture profane locale n’est que souvenir.
C’est de l’extérieur de la dynamique sociale, que les universitaires, ayant auparavant redécouvert Masengo, l’ont aidé à resurgir en miracle de souvenir. Trop âgé pour une nouvelle carrière, il n’a pas voulu non plus encourager son jeune fils à sortir de la reproduction de danseur de JECOKE, incarnation du père, de cinquante ans plus jeune. Comme le veut le récit moderne de la mort d’artiste, c’est à son enterrement que Masengo a été reconnu par le pouvoir politique congolais, alors que lors du deuil ses proches se souvenaient d’un être égoïste ayant failli aux devoirs de solidarité. Un « monument » sous forme de CD est érigé par les soins des étrangers, il sera surtout diffusé en dehors de Lubumbashi, du Katanga, du Congo {7} . N’est-ce pas le cliché « bourgeois » de la vie et de la mort de l’artiste « moderne » alors que toute probabilité de volonté explicite d’imitation est à exclure ? Au Katanga comme ailleurs, la localisation sur le continent africain ne teint pas nécessairement tout ce qui s’y passe de négritude : on partage avec le reste du monde plus que les tenants de la spécificité africaine le souhaiteraient.
Revenons à la musique urbaine katangaise. Comme le montrent les contributions rassemblées ici, cette musique est un commentaire local et original sur le triple défi de l’industrialisation et de la prolétarisation : a) prendre le contrôle (donner sens) culturel de l’univers imposé par le travail industriel, b) mettre en scène, et accompagner, l’individu dont le pouvoir social vient de la relation salariale avec une grande entreprise, c) organiser des loisirs socialement signifiants.
Dans un bar, les hommes confrontent entre eux leur capacité de dépenser de l’argent et de séduire une femme à titre individuel. La musique les fait danser, sans elle ce ne serait qu’un vulgaire marché. Ils boivent, dansent et exhibent leur apparence non pas en pères de famille et époux – rôle social qui renvoie à l’univers villageois dit traditionnel – mais en tant qu’individus autonomes mettant en scène leur nouvelle subjectivité {8} . C’est donc la capacité personnelle de dépenser, la beauté et l’habileté de danseur qui y font gagner le respect et affirment la nouvelle dignité. La musique des années 1950 les accompagne dans la construction d’une nouvelle culture, elle en fait partie ouvrant un espace discursif pour réfléchir sur ce qu’ils font et comment ils font dans l’univers urbain fracturé en deux zones. Dans l’une, en vertu d’une relation contractuelle, l’individu joue (performe) sa subjectivité en interaction avec ses semblables, dans l’autre, les rôles sociaux collectivement définis l’emportent. Les mêmes hommes agissent dans les deux zones presque simultanément alors les femmes se trouvent assignées à l’un ou à l’autre espace selon qu’elles soient épousesmères ou femmes libres. {9}
Nulle part dans la société urbaine mieux que dans la musique (qu’il s’agisse des paroles, des références sonores ou encore de la danse), cette question difficile n’a été traitée, même si la peinture a produit et diffusé l’image de la mami wata/ mamba muntu , {10} l’icône de cette tension entre la liberté individuelle socialement « stérile » et l’obligation communautaire « fertile ». L’éducation « classique » de l’intellectuel congolais (abreuvé par le système scolaire de références à la culture grécolatine et de vision ethnographique de la culture précoloniale), a rendu aveugle à cette tragédie grecque, au plein sens

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