Écrire la faim
224 pages
Français

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Écrire la faim , livre ebook

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Description

Qu'est-ce qu'écrire la faim ? Comment la littérature peut-elle répondre à une situation aussi extrême que celle d'un homme qui meurt de faim ? Franz Kafka, atteint par une tuberculose, s'est condamné à changer sa souffrance physique et personnelle en texte. Primo Levi, lui, tâche de reconstruire les voix englouties dans les camps et d'en répercuter un son à travers son témoignage. Paul Auster, enfin, acclame le pouvoir d'une littérature qui laisse parler les ventres creux et les êtres abandonnés.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 janvier 2015
Nombre de lectures 50
EAN13 9782336366746
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0900€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Couverture
4e de couverture
Titre






É CRIRE LA FAIM :
F RANZ K AFKA , P RIMO L EVI , P AUL A USTER
Copyright














© L’Harmattan, 2014
5-7, rue de l’Ecole-Polytechnique, 75005 Paris
http://www.harmattan.fr
diffusion.harmattan@wanadoo.fr
harmattan1@wanadoo.fr
EAN Epub : 978-2-336-71685-5
REMERCIEMENTS
M. Jean-Yves Masson, sans qui ce livre n’aurait pu voir le jour. Ses conseils, son regard et ses relectures attentives tout comme son souci du lecteur ont été mes guides.
M. Frank Svensen, pour nos précieux échanges autour de la philosophie de l’argent. Et le temps accordé.
PREFACE
Qu’entre la littérature et la faim existent de profonds rapports, c’est là une intuition qui pourrait nous venir à la lecture de bien des classiques, à commencer par Rabelais. Mais la faim et la soif sont chez celui-ci avant tout objets de célébration, puisque l’abstinence sous toutes ses formes, on le sait, est condamnée sans ambiguïté : « De la panse vient la danse », s’écrie Toucquedillon au premier livre de Gargantua (chap. 32), citant un proverbe que Rabelais a sans nul doute trouvé dans le Testament de Villon, « et où faim règne, force exule » (c’est-à-dire s’exile, décroît d’elle-même). Pourtant, le refus de la nourriture qui caractérise certains mystiques, et qui correspond à la négation du corps, ou du moins à un désir d’effacement de celui-ci, n’est pas une tradition moins bien ancrée dans notre héritage culturel. Mais cette tradition ascétique ne mortifie le corps, en principe, que pour l’empêcher de faire entrave à l’essor spirituel, et non pas pour l’anéantir, même si l’on peut parfois être troublé par le caractère excessif de certains jeûnes exaltés. On a connu des saints (des saintes surtout, semble-t-il) qui ne se nourrissaient que d’une hostie par jour : mais c’était là pour eux (ou pour elles) une manière de manifester que la communion avec la divinité suffisait à les nourrir. Leur dégoût des nourritures terrestres n’avait de sens que par amour de nourritures plus élevées.
Quand apparaissent à l’époque moderne ceux que Claude Vigée a nommés, dans un essai publié pour la première fois en 1960, « les artistes de la faim » 1 , il est bien évident que ce qui se joue chez eux est d’une tout autre nature, et que si mysticisme il y a, c’est d’une mystique de l’écriture qu’il est question pour eux, nullement tournée vers les formes connues de la religiosité. Dans son essai, Claude Vigée reprenait, en jouant sur sa traduction littérale, le titre de la célèbre nouvelle de Kafka « Ein Hungerkünstler » qu’Alexandre Vialatte avait fait connaître en français sous le titre « Un champion de jeûne » ; remontant à Mallarmé, plus qu’à Rimbaud chez qui la tentation de l’ascèse lui semblait surmontée par la vocation magique de la poésie, et voyant dans la nouvelle de Kafka et plus généralement dans son œuvre une clé de la condition de l’homme moderne, Vigée proposait de voir dans le choix d’une ascèse radicale, dans le refus de toute nourriture, la caractéristique majeure de la poésie moderne hantée par la culpabilité et l’obsession du péché, et pour cela même condamnant sans rémission possible le monde réel : une poésie dont l’œuvre de T. S. Eliot lui semblait la plus parfaite expression. Ce n’est plus seulement d’une « grève de la faim », donc d’un effort volontaire, qu’il est question dans des œuvres de cette hauteur (bien que celle-ci soit devenue au XX e siècle, et singulièrement en Irlande où la Grande Famine du milieu du XIX e siècle a laissé des traces indélébiles, un puissant moyen de protestation politique). En devenant source de l’écriture, le refus de la nourriture – alors même que la tradition occidentale aime à souligner qu’on « dévore » les livres et qu’on « nourrit » son esprit par la fréquentation des œuvres – devient le signe de la remise en cause de l’héritage, devient négation du lien familial, refus de la filiation, qui s’impose au sujet écrivant au moins autant qu’il en fait le choix : protestation, sans doute, mais aussi expérience fondamentale, quête d’une limite, mise à l’épreuve de soi par cette écriture du « désœuvrement » qui a aimanté la réflexion de Maurice Blanchot.
L’essai que publie aujourd’hui Séverine Danflous s’inscrit dans la continuité de telles réflexions mais leur apporte aussi de notables inflexions. Plus d’un demi-siècle après l’essai de Claude Vigée, la littérature a poursuivi son chemin, et elle a témoigné de sa capacité de résistance par et dans l’expression du négatif. Claude Vigée, en poète qu’il est, avait d’abord en vue dans ses analyses de la faim une réflexion sur les destinées de la poésie moderne telle que Baudelaire, Mallarmé, Lautréamont et Rimbaud en ont fixé les traits. Séverine Danflous, en choisissant pour objets de son étude des récits, romans et nouvelles, nous invite à repartir de Kafka et, avec les moyens de la littérature comparée, à réfléchir conjointement sur ce dernier et sur deux grands écrivains modernes chez qui l’expérience de la faim occupe une place centrale, et qui n’avaient encore jamais fait l’objet d’un rapprochement aussi minutieux : Primo Levi et Paul Auster (dont le recueil d’essais intitulé L’Art de la Faim , s’il se réfère à Knut Hamsun et à Kafka, éveille inévitablement des échos chez le lecteur de Vigée que je suis).
J’ai été très heureux de pouvoir suivre, et, dans la mesure de mes moyens, de guider la réflexion qui a abouti au présent livre, issu d’un master soutenu à la Sorbonne. L’essai rigoureux et passionné de Séverine Danflous, d’une constante qualité d’écriture, est animé d’un amour profond de la chose littéraire, et témoigne d’une conscience juste de l’exigence vitale dont celle-ci procède : en effet, l’enjeu de l’écriture, pour des écrivains comme Kafka, Auster ou Levi, n’est pas d’abord d’ordre esthétique, ou plutôt engage une esthétique qui exclut tout esthétisme. Il y va dans leurs récits d’un rapport entre le corps et l’écriture qui touche aux racines les plus profondes de la vocation littéraire comme sursaut vital, processus de survie jamais définitivement acquise. La faim est vue ici comme une épreuve, un passage à la limite, de sorte qu’elle manifeste l’essence même de la littérature. Aux limites extrêmes de la souffrance, dans ce passage par le négatif qui expose au risque de l’anéantissement, on s’aventure inévitablement aux confins du dicible : l’écriture devient alors une lutte dont l’enjeu central est le rapport au langage, quand il s’agit d’en sauver la possibilité même. Nous faire mieux comprendre que, dans quelques épreuves cruciales comme celle-ci, s’est joué – et se joue encore, au plus haut de son exigence – le destin de la littérature moderne, c’est le mérite de cet essai dense et d’une belle tenue que je suis heureux de voir paraître aujourd’hui.
J EAN -Y VES M ASSON
1 Claude Vigée : Les Artistes de la faim, Paris, Calmann-Lévy, 1960. Rappelons qu’à cette date, Claude Vigée n’aurait guère pu analyser, par exemple, les œuvres de Primo Levi qui sont étudiées dans le présent ouvrage : la première édition de Si c’est un homme en 1947 passa presque inaperçue en Italie et il fallut attendre 1958 pour que ce livre commence à trouver ses lecteurs.
« De tous les codes que l’homme utilise pour énoncer ses messages, le code alimentaire est certainement le plus fondamental… Nous commençons à comprendre la place vraiment essentielle qui revient à la cuisine dans la philosophie indigène : elle ne marque pas seulement le passage de la nature à la culture ; par elle et à travers elle, la condition humaine se définit avec tous ses attributs, même ceux qui comme la mortalité pourraient paraître le plus indiscutablement naturels. » Claude LEVI-STRAUSS, Le Cru et le cuit , 1964



« Le plus urgent ne me paraît pas tant de défendre une culture dont l’existence n’a jamais sauvé un homme du souci de mieux vivre et d’avoir faim, que d’extraire de ce qu’on appelle la culture, les idées dont la force vivante est identique à celle de la faim. » Antonin ARTAUD, Le Théâtre et son double , 1938
INTRODUCTION
Qu’est-ce qu’écrire la faim ? Quels sont les liens intrinsèques entre la nourriture, ou plus exactement son absence, et la littérature ? A priori, la littérature n’est pas du même ordre que la nourriture. Si ce n’est qu’elles répondent toutes deux à un besoin fondamental de l’homme, l’une à un besoin physiologique et l’autre à un besoin spirituel. La métaphore culinaire est éculée pour parler d

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