Légendes pour les enfants/Texte entier
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Paul BoiteauLégendes pour les enfantsHachette, 1861 (pp. 3-321).NOTICE.Les moines du moyen âge, dans le silence de leurs couvents, ont recueilli la plupart des vieilles légendes et des vieilles chansons qui,avant eux et jusqu’à eux, rappelaient le souvenir des anciens personnages célèbres de cette Gaule franque qui devait devenir laFrance. Ces légendes et ces chansons, altérées par le temps comme une monnaie par l’usage, ne laissaient guère deviner quequelques-uns des traits de ces rois, de ces guerriers, de ces évêques d’autrefois ; mais les moines qui, en ce temps-là, ne savaientpas ce que c’est que la critique, acceptaient cela pour de l’histoire. Ainsi ont été écrites les Grandes chroniques de Saint-Denis ;ainsi ont été composées les Gesta Dagoberti ou les Faits et gestes de Dagobert, qui sont les deux principales sources de laprésente légende.Les moines que Dagobert a protégés et enrichis (ceux de Saint-Denis particulièrement), lui ont gardé quelque reconnaissance. Ils onteu soin de ne pas le traiter plus mal que les chansons ne le traitaient ; ils ont même ajouté quelque chose à ces chansons. Parexemple, les miracles qui ont une couleur religieuse et que nous n’avons pas dû négliger.Nous aurions voulu paraphraser plus largement la chanson populaire ; mais il aurait fallu pour cela sortir tout à fait de l’histoirevraisemblable, et nous ne voulions pas faire ce sacrifice à des couplets qui ne datent pas de plus d’un siècle, et qui, privés de leur air ...

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Extrait

Paul BoiteauLégendes pour les enfantsHachette, 1861 (pp. 3-321).NOTICE.Les moines du moyen âge, dans le silence del eurs couvents, ont recueilli la plupart des vieillesl égendes et des vieilles chansons qui,avant eux et jusqu’à eux, rappelaient le souvenir des anciens personnages célèbres de cette Gaule franque qui devait devenir laFrance. Ces légendes et ces chansons, altérées par le temps comme une monnaie par lusage, ne laissaient guère deviner quequelques-uns des traits de ces rois, de ces guerriers, de ces évêques d’autrefois ; mais les moines qui, en ce temps-là, ne savaientpas ce que cest que la criitque, acceptaient cela pour de lhistoire. Ainsi ont été écrites les Grandes chroniques de Saint-Denis ;ainsi ont été composées lesGesta Dagoberti ou lesFaits et gestes de Dagober,t qui sont les deux principales sources de laprésente légende.Les moines que Dagobert a protégés et enrichis (ceuxde Saint-Denis particulièrement), lui ont gardé quelque reconnaissance. Ils onteu soin de ne pas le traiter plus mal que les chansons ne le traitaient ; ils ont même ajouté quelque chose à ces chansons. Parexemple, les miracles qui ont une couleur religieuse et que nous n’avons pas dû négliger.Nous aurions voulu paraphraser plus largement la chanson populaire ; mais i laurait fallu pour cela sortir tout à fait de lhistoirevraisemblable, et nous ne vouilons pas faire ce sacriifce à des couplets qui ne datent pas de plus dun siècle, et qui, privés del eur air,ne sont pas un chef-d’œuvre d’espièglerie[1]Nous nous en sommes donc tenu, à peu de chose près, au texte des deux ouvrages que nous indiquions tout àl heure. Si nous avonsemprunté un ou deux traits ailleurs, ç’a été pour que le tableau des mœurs du temps, même en une fable historique, eût une couleurplus marquée.Il eût été facile de se laisser entraîner, si on eût voulu, à propos de saint Éloi ou de saint Ouen, à analyser et à fondre en un mêmerécit toutes les historiettes que les écrivains religieux ont de tout temps composées en leur honneu.r Cest par douzaines que secomptent les biographies, latines ou françaises, de ces bienheureux évêques. Nous n’avons pas été séduit par le luxe desmerveilleuses actions qui sy trouvent décrites et nous en avons cru lexposition trop monotone. On remarquera peut-être dans ce récitun épisode ingénieux dont l’idée première ne nous appartient pas et qui a été mis en scène par un maître en l’art de conter(Alexandre Dumas :Impressions de voyage en Suisse) : nous aurions bien voulu lui prendre aussi son style et nous lui offrons ici nosremerciements pour la gracieuse façon qu’il a de permettre auxgens d’entrer dans son pré.Peut-être doutera-t-on de lauthenticité de quelques-uns des événements que nous disons puisés dans des vieilles chroniques ?Nous ne nous opposons pas à ce qu’on en doute, et nous demandons seulement qu’on ait quelque indulgence pour une légende quiest écrite ici pour la première fois.
LE ROI DAGOBERTILa chanson du bon roi Dagobert et du grand saint Éloi.Tout le monde connaît la chanson du bon roi Dagobert et du grand saint Éloi. Cette chanson rappelle le souvenir dun roi qui fut unchasseur sans pareil et d’un grand saint qui a fait quelques actions mémorables ; il n’y a pas en France d’ancien roi et de saint pluspopulaires. Le bon roi Dagobert est l’ami des petits enfants, et le grand saint Éloi voit briller son image sur l’enseigne de tôle de tousles maréchauxferrants des campagnes.Lorsque le cor de chasse, au fond des bois, entonne l’air joyeux de la chanson, l’imagination se met bien vite en train. Tous lescouplets déiflent, lun après lautre, comme une procession de mascarade. On croit voir le bon roi Dagobert et le grand saint Éloi quise promènent familièrement ; on sourit à laspect de la culotte du monarque ; on aperçoit bientôt son be lhabit vert percé au coude,ses bas qui laissent voir les mollets, sa barbe mal faite, sa perruque ébouriffée, son manteau court, son chapeau mis de travers ; onsuit le roi lorsqu’il va chasser « dans la plaine d’Anvers » et qu’un lapin lui fait peur ; lorsqu’il demande un grand sabre de bois à laplace de son grand sabre de fer ; lorsqu’il envoie au lavoir ses chiens galeux, et en bien d’autres circonstances que la chanson auraitpu laisser de côté. Mais ces images singulières ne sont pas tout à fait d’accord avec la vérité. Ce bon roi Dagobert, si étourdi, si peusoigneux de sa personne, mangeur si avide, buveur sii nfaitgable, chasseur si effarouché, guerrier si itmide, si paciifque ami de saintÉloi, si prompt à la riposte enjouée, ce Dagobert-là ne ressemble guère au véritable Dagobert Ie,r fils du cruel Chlother ,II peitt-fils dela cruelle Frédégonde, roi des Franks de Neustrie, dAustrasie, de Bourgogne et dAquitaine.
Si lon en croit la chanson, la France na jamais eu de roi plus débonnaire ; si lon interroge lhistoire, peu de princes ont été plusterribles. Adieu donc, petite chanson mensongère ; va réjouir les échos des forêts ; va faire trembler les peitts oiseaux dans leursnids. Voici l’histoire véridique du roi Dagobert.IIEnfance de Dagobert, fils du roi Chlother et de la reine Berthetrude.
Dagobert, à un an, était un enfant jouflfu, déjà très-vif, très-impatient, qui courait à merveille, sans se soucier des chutes, et quis’occupait beaucoup moins de sa nourrice, de sa mère et de son père que des chiens qu’il rencontrait. Aussitôt qu’il en voyait un, silaid qu’il fût, il le prenait dans ses bras, le couvrait de caresses, et lui parlait un petit langage que le chien comprenait très-bien. Lesgens habitués à itrer de tout des pronostics, jugeaient par la qui laimerait avec passion lexercice de la chasse. Mais i lsufifsait devoirl e bambin trépigne,r remuerl es bras, pousser des cris lorsquon avait le malheur del ui refuser quelque chose quil convoitait, unegrappe de raisin doré ou une galette de blé noir, pour conjecturer que son humeur ne serait pas toujours des plus accommodantes. lIaimait les vêtements éclatants, tels que pouvaient alors les porter les enfants des rois.  lIest inutile de dire que Dagobert avait lalongue chevelure et le grand pied, le pied formidable, le pied monumental des Mé rovingiens. Ce pied était son arme favorite ; et ceuxqui en avaient pu connatîrel a solidité etl a vivacité ne sexposaient plus au mécontentement de lenfant roya.lChlother II, père de Dagobert, avait dabord conifé léducaiton de son ifls à lAustrasien Arnulph qui était le plus sage des hommes ;mais Arnulph, élu évêque de Metz, se reitra bientôt del a cour et alla dans son évêché oùi l vécut dans la pratique de toutes les vertus.LÉgilsel e vénère sous le nom de saint Arnould. Assurément, si Dagobert avait pu suivrej usquau bout les leçons dun tel maître, il neles aurait jamais oubliées ; mais ce fut un très-méchant homme, nommé Sadragésile, qui fut choisi par Chlother pour succéder àArnulph dans les foncitons de gouverneur du jeune prince. On avait réuni autour de Dagobert une dizaine denfants de son âge, lesuns ifls de quelques ofifciers du roi, les autres simples peitts bergers. Toute cette bande vivait en plein air, dans les cours du palais,quelle faisait retenitr de ses cris et de ses jeux bruyants. Dagobert sétait ilé plus particulièrement avec les peitts bergers, qui lerespectaient par crainte de son grand pied, et il les employait à battre leurs camarades lorsque ceux-ci s’avisaient de lui déplaire.En ce temps-là on était beaucoup moins savant qu’aujourd’hui. Les leçons que reçut Dagobert se ré duisirent donc à fort peu dechose ; i lapprit seulement à chanter au lutrin, à ilre ses prières, à écrire un peu et à compter à la romaine ; mais, quoiquil ne fût nidocile ni laborieux, i lse faisait remarquer par une inteillgence vive et claire. Pour ce qui est des exercices du corps, aucun de sesjeunes compagnons navait plus dagiilté et plus de force.  lImontait à cheval dès lâge de quatre ans ; à sept ans, i lchassait seu l; àdix ans, dun coup dépieu il tuait net un sanglier. Son embonpoint précoce ne lempêchait nullement de courir, de sauter les fossés,de monter dans les arbres.Quand il se promenait dans les villages qui entouraient les métairies royales, il s’arrêtait où bon lui semblait et vivait sans façon sousle toit de chaume du paysan ; mais i lne fallait pas que les gens, le voyant si famiiler, soubliassent et lui manquassent de respect. Il sefaisait, dans ce cas, promptej usitce.Un jour qu’il avait tendu un piége à un loup et pris la bête, passa par là un grand vaurien qui, voyant la fosse et entendant le loup,voulut le tuer et lemporter. lI ne savait pas que les trois petits chasseurs qui étaient là étaient Dagobert et deux de ses amis, et,quand il les aurait connus, il ne pensait pas que trois enfants de cet âge pussent l’empêcher d’en faire à sa tête. « Je te défends d’ytoucher, » dit Dagobert dès qu’il vit quelle était son intention. « Tiens ! le beau donneur d’ordres ! » répondit le grand rustre. « Si tu ytouches, tu auras affaire à moi. — Voilà qui m’effraye ! Est-ce que tes camarades n’ont rien, non plus, à me dire ? — Vois ce que tuveuxfaire.»
Le rustre allait tuer le loup ; mais Dagobert, prenant sa peitte hache de chasse qui était cachée dans lherbe, sélança sur lui et luiporta un coup qui le fit tomber. On accourut aux cris, on reconnut Dagobert, et on fut étonné de voir quel homme il avait mis à laraison. C’était l’un des plus redoutés coureurs de bois, un voleur de grands chemins, que l’on cherchait depuis tantôt un an, et unerécompense considérable avait été promise à celui qui parviendrait à se saisir de lui. Dagobert reçut la récompense et futgrandement loué par le roi Chlother.Dautres fois on le voyait couché sur le fumier avecl es poules, prenant dans sa main les peitts poulets, leur donnant du grain, du paintrempé, et, lorsqu’ils piaulaient trop, les plaçant dans sa robe. C’était alors le plus douxet le plus gai des enfants.Cependant Sadragésile ne l’aimait pas : il disait que sa douceur était de la paresse et sa valeur de la férocité.IIICommencement del histoire du grand saint Éloi.Avec le temps, Dagobert grandissait et se fortiifait ; mais laissons-le grandi,r et, sans raconter minutieusement tous les détails de sonadolescence, parlons tout de suite de saint Éloi qui arriva vers cette époque à la cour du roi Chlother II et qui devait jouer un si grandrôle sousl e règne de son ifls.Eilgius (cest le nom enl atin de messire Éloi) était un peitt paysan du Limousin, né à Cadaillac, à ce quon croit, un enfant de la vieilleGaule, plein desprit et en même temps dune fort belle humeur. Sa gentillesse lavait fait prendre en amiité par un orfévre de Limogesquil instruisit dans son méiter etl ui fit faire des progrès si rapides quen peu de temps il neut plus rien àl ui apprendre.Ce qui prouve qu’il y a ressource à tout mal et que tel qui a commencé par être d’un naturel présomptueux s’amende à la fin, c’estlexemple de saint Éloi qui, en sa jeunesse, avait beaucoup dorguei.l Voici à quelle occasion et de quelle éclatante manière i lfutremis dans les voies de la sagesse.Éloi venait de quitter lorfévre son matîre ; mais comme i lnavait pas assez dargent pour ouvrir une bouitque dorfévrerie, enattendant mieux, il se ift maréchal ferrant.Jamais on n’avait vu maréchal qui fût digne de dénouer les cordons de ses souliers.Avec son marteau, sa tenaille et son enclume, il faisait des merveilles incomparables. Les fers qu’il forgeait (et il les forgeait sans leschauffer plus de trois fois) avaient exactement le brillant de largent poli et ils étaient dun dessin plein délégance. Les clous quilpréparait pour clouer ses fers étaient taillés comme des diamants. Un fer à cheva lfabriqué et placé par Éloi était un véritable bijouqu’on admirait dans toute l’étendue des divers royaumes des Francs. L’orgueil le saisit lorsqu’il vit que son nom jouissait d’une sigrande renommée ; il se ift peindre sur sa porte ferrant un cheval et il ift écrire au-dessus de lenseigne : Eloi, maître sur maître,matîre sur tous.On fut bien étonné un beau matin de voir cette enseigne ; peu après on s’en plaignit ; les maréchaux ferrants de toute l’Europemurmurèrent ; enifn le bruit de ces plaintes et de ces murmures monta jusquau ciel. Dieu naime pas les gens qui ne savent pasdominerl eur orguei,l et il se plaît souvent àl es humilier.Un matin, pendant que saint Éloi achevait un fer, le plus élégant et le plus brillant de tous ceux qu’il avait fabriqués, il vit un jeunehomme, vêtu dun costume douvrier, qui se tenait surl e seui lde sa porte etl e regardait travailler. La matinée était belle et fraîche ; lesoleil éclairait de grandes pièces d’avoine devant la maison de saint Éloi ; il y avait encore un peu de rosée dans les touffes d’herbesqui couvraient la chaussée. Tout cela ift que saint Éloi se trouva de bonne humeur et demanda à linconnu dun ton assez aimable cequil voulait de lui. « Je voudrais voir si tu es un maître sans éga,l commel e disent ta renommée et ton enseigne.— A quoi te servira de le savoir ? — A cela que, si je vois que tu es plus habile que moi, je me mettrai à ton école.— Tu es donc bien habile ?— Je le suis assezpour croire qu’on ne peut l’être davantage. — Tu n’as donc jamais vu ce que je fais ?— Je viens ici pour te voir à l’œuvre. Alors cest un déif ?— Sans doute.— Etcombien de fois chaufferas-tu un fer comme celui-ci ? Tu sais que je n’ai besoin que de trois chaudes.— Trois chaudes ! c’est deuxde trop.— Pour le coup, mon ami, je crois que tu es un peu fou.— Eh bien, laisse-moi entrer. »Linconnu prend un morceau de fe,r le met dans la forge, soufflel e feu, tourne et retourne son fer, larrose, le retourne encore, le retire,le porte sur l’enclume. C’est un morceau d’argent irisé de veines bleues, de veines jaunes, de veines roses, doux et souple commeune cire ;i l le prend, et, de la main, du marteau, il le façonne sansl e remettre dans la forge. En un instant le fer à cheval est achevé etcambré, ciselé comme un bracelet.Éloi n’en peut croire ses yeux.« Il y a, dit-i,l quelque sortilége. Non ; mais je suis, comme tul e vois, passé maître dansl e méiter. Mais ce fer ne peut être soilde.— Examine-le. »Éloi prit le fer et l’examina ; il n’yvit aucun défaut.« Allons, dit-i,lj e ny comprends plus rien, mais sais-tu ferrer la bête ? Donne-moi un cheva.l »Éloi appela un charretier du voisinage qui amena son cheval, et le voulut, comme c’est la coutume, placer au travail, c’est-à-dire danslapparei lde bois qui reitent le cheval pendant quonl e ferre.« A quoi bon ? ditl ej eune marécha.l— Comment ! à quoi bon ? mais l’animal ne se laissera pas faire sans cela.Je sais le moyen de le ferrer proprement et promptement. »Éloi, au comble de l’étonnement, ne savait que dire ; son rival s’approcha de la bête, lui prit la jambe gauche de derrière, la coupadun coup de couteau sans quaucune goutte de sang fût versée, mit le pied coupé dans létau, y cloua le fer en une seconde,desserra le pied ferré,l e rapprocha del aj ambe, le recolla dun souflfe, iftl a même opération pourl aj ambe droite, et la fit encore pourles deux jambes de devant. Tout cela en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire.« Tu vois, dit-i len ifnissant, que je men tire bien.— Oui ; mais je connaissais ce moyen-là ; seulement....— Seulement ?— Je préférais la méthode ordinaire. Tu avais tort, » ajouta en riant linconnu. Éloi ne pouvant se résoudre à savouer vaincu, dit à ce singulier marécha lde passage : « Reste avec moi ; je tapprendrai quelquechose tout de même.»L autre consenitt. Éloi, layant installé, lenvoya presque aussitôt dans un village voisin sous prétexte de le charger dun message, etattendit qu’il passât un cheval à ferrer pour faire ce qu’il avait vu faire et soutenir sa renommée.
Cinq minutes après, un cavalier armé de toutespièces s’arrêta devant la boutique et dit à Éloi de ferrer son cheval, qui s’était déferré d’un pied de derrière. Éloi, au comble de lajoie, s’approcha du cheval après avoir affilé son couteau. Le cavalier sourit ; mais Eloi ne s’en aperçut pas ; il prit la jambe déferrée etla coupa. La bête pousse sur-le-champ des hennissements pleins de douleur, le sang coule à lfots, le cavailer semporte. Éloi, bienque surpris, ne voulut pas montrer sa honte. « Attendez, dit-il, cela ne sera pas long, et cestl a méthode la meilleure. »Puis il mitl e pied coupé dans létau, cloua le fer, et voulut recollerl e pied ferré.Le cheval était en fureur ; le sang coulait toujours ; déjà l’on voyait que la pauvre bête allait mourir.« Ah ! sécriait le cavailer en colère, voilà une plaisante enseigne : Eloi, matîre sur matîre, matîre sur tous. Si cest là ta science, ellene vaut pas grand chose et te coûtera cher. »Éloi, désespéré, ne savait à que lsaint se vouer,l orsque son nouveau compagnon revint du village où il lavait envoyé.« Vois, lui dit-il d’un ton triste, vois la besogne que j’ai faite. Je suis puni pour m’être cru aussi habile que toi.  Ce nest rien, réponditl autre ;j e vais réparerl e mal. »En uni nstant,l a jambe coupée fut remise en bon état, et le cheval rétabil. Ce que voyant, Éloi avait pris une échelle et un marteau ; surléchelle il monta jusquà son enseigne ; avec le marteau, il la brisa en mille pièces et dit : « Je ne suis pas maître sur matîre ; je nesuis plus qu’un compagnon. »
Le cavalier était à cheval ; louvrier inconnu, transfiguré soudainement, jeune, beau, brillant, la tête ceinte dune auréole, monta encroupe, et dit à Éloi d’une voix qui répandait des parfums dans les airs et chantait comme la douce musique des orgues : Éloi, tu«tes humilié ; je te pardonne. Dieu seul est le matîre des maîtres. Marche dans les sentiers de lÉvangile ; sois doux et juste ; je net’abandonnerai pas. »Éloi voulut se jeter à genoux. L’ange et saint Georges, qui était le cavalier armé de toutes pièces, avaient déjà disparu.A partir de ce jour, Eloi neut plus dorguei.lIVSuite de lhistoire de saint Éloi.Éloi, devenu orfévre au bout de peu de temps imagina et fabriqua, comme par enchantement,l es plus belles parures. Dieu, quil avaitcorrigé, guidait et faisait réussir ses efforts. En même temps qu’il étonnait tout le monde par son habileté, Éloi consacrait une grandepart de son temps à des œuvres de piété et de charité. Dans tous le pays du Limousin on ne parlait que de ses vertus, de sagénérosité, de sa paitence et aussi de sa douce gaieté qui, plus que toutl e reste, consolait les malheureux.
Un officier du roi Chlother ,II émerveillé de ce qui llui voyait faire, parla de lui et le décida à se rendre dans le nord de la Gaulefranque.  lIavait alors vingt-neuf ou trente ans. Eloi partit et fut présenté au roi, qui lemploya dabord àl a fabricaiton de ses monnaies.Chlother eut un jour envie dun fauteui ldorfévrerie fine ; i lfit appeler Éloi et ift peser devant lui une grande quantité dor à côté duquelon plaça un grand nombre de pierres précieuses. Éloi emporta ces riches matières dans son atelier.Au bout d’un mois il demanda àChlother la permission de lui montrer ce qui lavait fait. « Si vite ! dit le roi ; il paraît que tu ne tes pas fort appliqué à ton ouvrage etque tu as oublié que cest pour moi que tu travaillais. Enfin, voyons cela. » Un fauteuil, dun travai ltrès-ingénieux, est alors dépouilléde son enveloppe ; tout le monde pousse des cris d’admiration ; le roi est ravi. « Seigneur, dit Éloi, ne ferez-vous point peser lefauteui,l aifn de savoir si jai employé toute la maitère ?  Oh ! dit Chlother, je vois bien que tu as une bonne conscience et que tun’as rien gardé pour toi. » Sur un signe d’Eloi, deux ouvriers apportent un second fauteuil aussi beau, si ce n’est plus beau que lepremie.r « Voilà, dit Eloi, ce que votre serviteur a pu faire avec lor et les pierreries qui lui restaient. » Les Francs qui étaient là nenvoulaient pas croire leurs yeux ; le roi lui prit la main en disant : « Mon ami, à partir de ce jour tu logeras avec moi. Fais venir à Rueil[2] tes ouitls et tes serviteurs : jirai de temps en temps mamuser à voir comment tu ty prends pour créer toutes ces merveilles. » Eneffet, à partir de cej our, Éloi futl ami de Chlother II, de sa femme, de son ifls Dagobert et généralement de tout le monde.VComment Dagobert aimait la chasse passionnément.Il nest pas dififcile dimaginer quelle fut la première jeunesse de Dagobert. La vie des grands personnages du sepitème siècle neressemblait pas beaucoup à la nôtre. Ils passaient la moitié de leur journée à la chasse, accompagnés d’une foule de serviteurs quileur faisaient comme une armée, et le reste du temps devant leur table, sur laquelle fumaient à la fois les grands quariters devenaison rôits et les larges vases pleins de cervoise et dhydromel. Dagobert, de très-bonne heure, prit goût à ces longs repas et àces robustes exercices. Il n’était encore qu’un jeune enfant qu’il montait à cheval et suivait son père à la poursuite des daims, desélans, des sangilers et des cerfs qui rempilssaient nos forêts.Avec les années les forces lui vinrent vite et ce fut l’un des plus déterminés chasseurs parmi les Francs. Les plus lointaines retraitesde la grande forêt de Cuisy, quon appelle aujourdhui la forêt de Compiègne, retentissaient du maitn au soir du bruit qui ly faisait enchassant. I lavait un bon chien qui se nommait Souillart comme le chien de saint Hubert. Ce chien-là, Dagobert lestimait grandementparce que cétait lanima là la fois le plus hardi et le plus sage. Si jamaisi  ly eut bête à laquelle il ne manquât que la parole pour quonla pût considérer comme légale de lhomme, ce fut bien ce bon chien-là, qui davance, le matin, indiquait le temps qui lallait faire, etpar des signes non équivoques disait : « I lfera chaud » ou «  lIpleuvra » ou même « i ly aura défaut ». Pour dire « I lfera chaud, » iltirait la langue longue dun demi-pied et regardait Dagobert fixement ; pour dire : « I lpleuvra, » i lse courbait en pilant les jambes etles cachait sous lui ; pour dire : « Il y aura défaut, » c’est-à-dire « les chiens perdront la trace du gibier, » il courait dix ou douze foisautour de la chambre en changeant de direciton à chaque tou.r Cétait un ami précieux, dautant qui lavait une valeur grande et necraignait pas le danger.VIComment Dagobert se vengea de Sadragésile.Sadragésile ne cessait de dire à Chlother que son ifls perdait tout son temps à la chasse et qui lfallait lempêcher de vivre dans lesforêts. Si le gouverneur de Dagobert n’avait eu, en parlant ainsi, que le désir de ramener son élève à l’étude, il ne serait pas tropcoupable ; mais c’était, de tout point, une fort vilaine et fort méchante personne. Il ne manquait pas d’esprit toutefois, et, né dans unrang peu élevé, i lavait su faire vite son chemin. Sadragésile était évêque lorsque le roi lui ift quitter lÉgilse, ainsi que cela sepratiquait quelquefois en ce temps-là, et lui conifa léducation de son ifls en lui recommandant bien de lui enseigner tout ce quilconvient que sache un grand prince. Sadragésile, aifn davoir plus de crédit, sétait fait investir du duché dAquitaine. Cette élévationrapide lui avait tourné la tête, et il nourrissait en soi le désir de renverser du trône le roi son matîre, ou tout au moins, lorsque lheureen serait venue, le jeune prince son élève.
lI cachait bien ses secrètes pensées devant le roi, mais il népargnait pas à Dagobert les marques de sa haine ; il imaginait chaquejour quelque mauvais traitement, sous le prétexte quil fallait humilier sa jeunesse orgueilleuse ; i lle punissait durement dès qui llesurprenait en péché de paresse ou dintempérance. Ce personnage à double face accablaitl e roi Chlother de flatteries conitnuelles :il vantait son courage, sa générosité, même sa rudesse, et il finissait toujours ses compilments par un soupi.r Le roi lui demandaitréguilèrement quelle était la raison pour laquelle il soupirait, et il disait que cétait parce quil ne voyait que trop visiblement linutilitéde ses soins pour lui assurer un digne successeu.r Chlother II aimait assez ce genre de discours et i ldonnait à Sadragésile maintespreuves de son affeciton. Cest ce qui le rendit assez osé pour enfermer Dagobert lorsquil faisait de beaux temps de chasse. Saméchanceté alla même jusquà blesserl e bon chien Souillart pour que Dagobert fût bien malheureux. Celui-ci supportait son mal sansse plaindre haut, parce quel amitié que Chlother avait pourl e duc dAquitaine linitmidait ; maisi  lsentait quil ne pourrait pas toujourscontenir sa colère.Un jour que Chlother était allé au loin à la chasse et que Dagobert était resté au logis avec son gouverneur, Sadragésile, voyant le roiparti, accabla Dagobert des plus sanglants reproches, lappelant méchant garçon et détestable écoiler ; il lui ordonna de saccuser àhaute voixde toutes ses fautes devant quelques domestiques de la maison royale et lui défendit de s’asseoir sur un siége aussi élevéque le sien. Dagobert, à lâge quil avait alors, nétait plus un adolescent ; cétait presque un homme ; i lsentit son sang bouillir dansses veines, il se rappela ce quil avait enduré de mauvais traitements, il ne put cacher enitèrement son émotion. Comme i lne quittaitpas son siége, Sadragésile voulut le prendre par un bras ; Dagobert se lève, prompt comme léclai,r menaçant comme la foudre, et,marchant vers Sadragésile, se jette sur lui. Sadragésile, pâle de surprise et de rage, ift un faux pas et tomba. Commei  létait grand etfort, il se releva, saisit Dagobert et fut sur le point de le renverser.A ce moment, le bon chien Souillart, qui était accouru au bruit de lavoix de son maître, entra dans la salle. Il saute à la gorge du gouverneu.r Dagobert, proiftant de la diversion faite par son chien, seredresse entre les bras de Sadragésile, le maîtrise à son tou,r lui lie les mains derrière le dos, et lui coupe les cheveux et la barbe ;cétaitl a plus grande honte qui llui pût faire en ce temps-là. Puis il ordonne quonl e fouette comme un esclave et se reitre. VIIOù il est question de Chlother II et de son humeur farouche.Chacun était frappé dépouvante en songeant à ce que Chlother allait dire lorsqui lserait de retour. On savait que Sadragésilejouissait de toute sa faveur et on avait tout à redouter de sa colère. Chlother II était en effet un roi sans miséricorde. Cest ici le lieu derappeler deux traits de son histoire. Quelle ne fut pas sa fureur le jour où il apprit que ses ileutenants avaient été battus du côté de laforêt Noire par le farouche Acrol, roi des Boiares ou Bavarois ! Jamais tempête ne se leva plus impétueuse. En un instant les jeuxsont suspendus dansl a métairie royale à Cilchy ;l a corne appelle cavaliers et fantassins ; on part ; sur toute la routel armée remuanteet bruyante voit ses rangs se grossir : bientôt l’ennemi est atteint, il est vaincu. Ivre de joie, Chlother oublie Dieu qui lui a permis devaincre ; il n’a qu’une pensée, il veut que le bruit de sa vengeance retentisse à jamais dans la postérité. On amène devant lui trentemille prisonniers ; il leur annonce quils méritent la mort et quil ne fera grâce quà ceux dentre eux dont la tête ne sélèvera pas au-dessus de son épée.Sur un signe du roi, les prisonniers sont amenés un à un devant l’épée terrible, que maintient à sa droite un des principaux leudes. Lechef de larmée vaincue savancel e premier ; i lest dune taille élevée ; sa belle tête attire les yeux ; son regard plonge ifèrement dansles rangs de ses vainqueurs ; il va, d’un bond rapide, se placer à côté de l’épée qui, haute de cinq pieds six pouces, n’atteint guèreque ses lèvres : il sourit ; un soldat lui tranche la tête et Chlother reste immobile. Un à un, mille prisonniers passent ; trois centsvaincus sont décapités. Quand la nuit vint, dix mille prisonniers avaient été mesurés ; trois mille vaincus, d’une taille élevée, avaientété frappés de la hache.
Un seu,l entre tous, arrivé devant lépée, sagenouilla. Chlother, avec un sourire de mépris, accordal a vie à cet homme sans cœur.Le lendemain, la fête sanglante se prolonge. Dès la première heure du jour, les vingt mille prisonniers qui restaient déiflèrent un à un,le front haut, devant Chlother et devant lépée. Six mille têtes tombèrent, pas un homme ne fut lâche. Voilà quelles étaient, après lavictoire, les réjouissances du ifls de Frédégonde. On sait aussi quelle est la manière dont il punit Brunehauld, reine dAustrasie fille,femme, mère, aïeule de tant de rois, du crime d’avoir été la rivale et l’ennemie de Frédégonde sa mère. Brunehauld fuyait devant sonarmée. On la découvre, on larrête, on lamène devant lui. Ni les soixante-treize ans de cette reine, ni ses cheveux blancs, ni safaiblesse, ni son courage, ni sa gloire nobitennent grâce. Troisj ours durant, placée sur un chameau venu dAsie, on la promène dansson camp au milieu des huées et des outrages. Trois jours eniters la vieille Brunehauld supporte sans murmurer son supplice. Aumaitn du quatrième jour, Chlother fait amener un cheval fougueux : par son ordre on saisit la malheureuse reine dAustrasie ; onl’attache à la queue du cheval par les cheveux, par un bras et par un pied. Puis, d’un coup de fouet, Chlother chasse le cheval dans laplaine. lI part traînant le fardeau qui lirrite, et, dans sa course furieuse, il traverse bientôt les champs ; i lfranchit les buissons quil’arrêtent, il disparaît. C’est ainsi que Brunehauld avait péri. Chlother n’avait cessé de suivre de l’oeil son cadavre ensanglanté quelorsquel e cheva lavait disparu enitèrement. On se rappelait ce tableau terrible, et on tremblait.VIIIL’asile des saints.Chlothe,r étant revenu de la chasse, vit à la porte de sa maison Sadragésile qui, les mains jointes et les yeux mouillés de larmes,demandaitj usitce. Comme on craignait dêtre vicitme de sa mailgnité,l es témoins de son châitment nosèrent le démenitrl orsquil eutraconté, à sa manière, tout ce qui venait de se passe.r Chlother, transporté de fureu,r déclara qui litrerait de son fils une éclatantevengeance, et ordonna à ses gens de le lui amener.Éloi, qui avait assisté à la puniiton de Sadragésile et au retour du roi, sempressa de prévenir Dagobert de ce qui le menaçait, et, lefaisant monter sur-le-champ à cheva,l i lle conjura de se dérober à la colère paternelle. Dagobert, layant remercié, se mit en routeprécipitamment. Cétait à Rueil que tout ce qui vient dêtre raconté avait eu ileu. Où aller ? de quel côté chercher un asile sûr ? Éloi,qui laimait beaucoup, courut derrière lui et lui cria del oinl e nom de saint Denis. Dagobert songe aussitôt au hameau de Cattuilac quinétait quune petite réunion de chaumières. Là se trouvait une humble chapelle que sainte Geneviève avait fait construire pourhonorer le tombeau de saint Denis et de ses compagnons Rustique et Éleuthère, martyrs du temps de lempereur Domiiten. Lachapelette tombait en ruine ; on y entrait comme dans un bois ; les ronces et le lierre couvraient laute.l Dagobert connaissait cettechapelle.En peu de temps i leut franchi la rivière à Chatou et, par Argenteui,l tout le long de la Seine, il arriva à Cattuilac. Ceux qui lepoursuivaient étaient surl e point de latteindrel orsquil arrêta son cheval au bas del escailer ruiné qui conduisait à la vieille chapelle.Dagobert neut pas plutôt mis le pied sur le sol sacré, quil sentit une sérénité déilcieuse qui se répandait dans toute sa personne. Jene sais quel instinct le poussait vers les tombes couvertes deil erre etl ui donnait le consei lde se coucher sur ces tombes comme sur
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