The Project Gutenberg EBook of Les grands orateurs de la Revolution by Francois-Alphonse Aulard
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Title: Les grands orateurs de la Revolution Mirabeau—Vergniaud—Danton—Robespierre
Author: Francois-Alphonse Aulard
Release Date: September, 2005 [EBook #8822] [Yes, we are more than one year ahead of schedule] [This file was first
posted on August 13, 2003]
Edition: 10
Language: French
Character set encoding: ISO Latin-1
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LES GRANDS ORATEURS DE LA REVOLUTION
MIRABEAU—VERGNIAUD—DANTON—ROBESPIERRE
par
FRANCOIS-ALPHONSE AULARD
[Illustration]
MIRABEAUI.—L'EDUCATION ORATOIRE DE MIRABEAU
Nul homme ne fut peut-etre mieux prepare que Mirabeau a la carriere oratoire. Ces conditions de savoir universel
reclamees par les anciens, il les remplissait mieux que personne en 1789. Sa lecture etait prodigieuse, grace aux
longues annees qu'il avait passees en prison. Ni au chateau d'If, ni au fort de Joux, ni au donjon de Vincennes, les livres
ne lui furent interdits. Il en demande et en obtient de toutes sortes: romans, histoire, journaux, pamphlets, traites de
geometrie, de physique, de mathematiques affluent dans sa cellule, et, si on tente de les lui refuser, son eloquence
irresistible seduit et conquiert geoliers et gardiens. Loin d'etre isole, par sa captivite, du mouvement des idees, il reste
en contact quotidien avec le developpement intellectuel de son epoque. C'est peu de lire: il prend des notes, fait des
extraits, envoie chaque jour a Sophie un journal ou ses impressions de lecteur tiennent autant de place que ses effusions
d'amoureux, commente et traduit Tacite, compose son Essai sur les lettres de cachet et sur les prisons d'Etat, un essai
sur la Tolerance, et, pour l'education de l'enfant que va lui donner sa maitresse, une mythologie, une grammaire
francaise, un cours de litterature ancienne et moderne; enfin, pour decider Sophie a vacciner cet enfant, un traite de
l'inoculation. Ce ne sont la que ses griffonnages de prisonnier. Les livres qu'il publie attestent une diversite d'etudes plus
grande encore: le commerce, la finance, les eaux de Paris, le magnetisme, l'agiotage, Bicetre, l'economie politique, la
statistique, il n'est aucun sujet a la mode a la fin du XVIIIe siecle, meme la litterature obscene, qu'il n'ait aborde et qu'il
n'ait traite avec eclat, scandale, succes. Il n'ignorait rien de ce qui interessait ses contemporains et ce qu'il avait appris,
il se l'assimilait assez vite pour paraitre l'avoir su de naissance. Oui, comme l'orateur antique, il pouvait discourir
heureusement sur n'importe quel sujet et etonner l'Assemblee constituante de la variete de ses connaissances: qu'il
s'agisse de politique generale, de finances, de mines ou de testaments, il parait tour a tour specialiste dans chacune de
ces questions. Que dis-je specialiste? Ceux-la meme auxquels il doit sa science recente s'instruisent a l'entendre, et
c'est ainsi que les rheteurs d'Athenes et de Rome se representaient l'orateur digne de ce nom: "Que Sulpicius, dit
Ciceron, ait a parler sur l'art militaire, il aura recours aux lumieres de Marius; mais ensuite, en l'entendant parler, Marius
sera tente de croire que Sulpicius sait mieux la guerre que lui."
Mais si Mirabeau avait appris un peu de tout, ce n'etait pas seulement pour devenir "un honnete homme" a la mode du
XVIIIe siecle, ou, comme nous disons aujourd'hui, par curiosite de dilettante: le but de ces etudes ne cessa d'etre, a son
insu peut-etre, l'art de la parole. Directement ou indirectement, tout ce qu'il lit, tout ce qu'il ecrit ne va servir qu'a
perfectionner en lui ce don de l'eloquence qui lui etait naturel. Tous ses livres sont des discours, et il n'ecrit pas une
phrase qui ne soit faite pour etre lue a haute voix, declamee. Meme dans ses lettres d'amour, meme dans ses
confidences a Sophie, il est orateur, il s'adresse a un public que son imagination lui cree, et, apres avoir tutoye
tendrement son amie, il s'ecrie: "Voyez la Hollande, cette ecole et ce theatre de tolerance….". Disculpant sa maitresse,
il introduit par la pensee tout un auditoire dans sa cellule de Vincennes: "Voulez-vous, dit-il dans une lettre a Sophie,
qu'elle ait fait une imprudence? elle seule l'a expiee. Personne au monde, qu'elle et son amant, n'a ete puni de leur
erreur, si vous appelez ainsi leur demarche. Mais comment nommerez-vous le courage avec lequel elle a soutenu le plus
affreux des voeux? la perseverance dans ses opinions et ses sentiments? la hauteur de ses demarches au milieu de la
plus cruelle detresse? la decence de sa conduite dans des circonstances si critiques?… Si ce ne sont pas la des vertus,
je ne sais ce que vous appellerez ainsi."
Il s'exerca plus directement a l'eloquence, du fond meme de son cachot de Vincennes, dans les suppliques qu'il adressa
aux ministres. N'est-ce pas une veritable peroraison que la fin de cette lettre a M. de Maurepas pour lui demander a
prendre du service en Amerique ou aux Indes? "Ici, dit-il, j'ai cesse de vivre et je ne jouis pas du repos que donne la
mort. J'y vegete inutilement pour la nature entiere. Laissez-moi mettre les mers entre mon pere et moi. Je vous promets,
Monsieur le comte, ah! oui, je vous jure qu'on ne rapportera de moi que mon extrait mortuaire, ou des actions qui
dementiront bien haut mes laches, mes perfides calomniateurs, et feront peut-etre regretter les annees qu'on m'a otees.
Relegue au bout du monde, je ne serai pas moins prisonnier relativement a la France que je ne le suis ici; et le roi aura
un sujet de plus qui lui devouera sa vie."
Le memoire a son pere, ecrit de Vincennes, est un long plaidoyer qui marque un grand progres dans l'eloquence de
Mirabeau. C'est a la posterite qu'il s'adresse, c'est nous qui lui servons d'auditoire, et il nous charme et nous ravit, sans
que jamais l'interet languisse. Tout est calcule avec un art surprenant pour rendre l'Ami des hommes odieux et son fils
sympathique, et aucun effet ne manque, aucun trait ne tombe ou ne devie. Son pere l'avait exile a Maurique, a cause des
dettes qu'il avait contractees aussitot apres son mariage:
"Entiere resignation de ma part, dit-il, profonde tranquillite, rigoureuse economie. Et ne croyez pas, s'il vous plait, mon
pere, que ce fut impossible de trouver de l'argent. Non, je vous jure;