Lettre no 2
3 pages
Français

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus
3 pages
Français
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus

Description

Lettre no 2

Sujets

Informations

Publié par
Nombre de lectures 64
Langue Français

Extrait

Marie de Rabutin-Chantal, marquise de Sévigné Lettres de Madame de Sévigné, de sa famille et de ses amis Hachette, 1862(pp. 1-6).
422. ―― DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN.
e À Paris, vendredi 2août.
Je pense toujours, ma fille, à l’étonnement et à la douleur que vous aurez de la mort de M. de Turenne. Le cardinal de Bouillon est inconsolable : il apprit cette nouvelle par un gentilhomme de M. de Louvigny, qui voulut être le premier à lui faire son [1] compliment ; il arrêta son carrosse, comme il revenoit de Pontoiseà Versailles le Cardinal ne comprit rien à ce discours. Comme le gentilhomme s’aperçut de son ignorance, il s’enfuit ; le Cardinal fit courre après, et sut cette terrible mort ; il s’évanouit ; on le ramena à Pontoise, où il a été deux jours sans manger, dans des [2] pleurs et dans des cris continuels. Mme de Guénégaud et Cavoiel’ont été voir, qui ne sont pas moins affligés que lui. Je viens de lui écrire un billet qui m’a paru bon : je lui dis par avance votre affliction, et par son intérêt, et par l’admiration que vous aviez pour le héros. N’oubliez pas de lui écrire : il me paroît que vous écrivez très-bien sur toutes sortes de sujets : pour celui-ci, il n’y a qu’à laisser aller sa plume. On paroît fort touché dans Paris, et dans plusieurs maisons, de cette grande mort. Nous attendons avec transissement le courrier d’Allemagne. Montecuculi, qui s’en alloit, sera bien revenu sur ses pas, et prétendra bien profiter de cette conjoncture. On dit que les soldats faisoient des cris qui s’entendoient de deux lieues ; nulle considération ne les pouvoit retenir : ils crioient qu’on les menât au combat ; qu’ils vouloient venger la mort de leur père, de leur général, de leur protecteur, de leur défenseur ; qu’avec lui ils ne craignoient rien, mais qu’ils vengeroient bien sa mort ; qu’on les laissât faire, qu’ils étoient furieux, et qu’on les menât au combat. Ceci est d’un gentilhomme qui étoit à M. de Turenne, et qui est venu parler au Roi ; il a toujours été baigné de larmes en racontant ce que je vous [3] dis, et la mort de son maître, à tous ses amis. M. de Turenne reçut le coup au [4] travers du corps : vous pouvez penser s’il tombaet s’il mourut. Cependant le reste des esprits fit qu’il se traîna la longueur d’un pas, et que même il serra la main par convulsion ; et puis on jeta un manteau sur son corps. Le Bois-Guyot (c’est ce gentilhomme) ne le quitta point qu’on ne l’eût porté sans bruit dans la plus proche [5] maison. M. de Lorges étoit à une demi-lieuede là ; jugez de son désespoir. C’est lui qui perd tout, et qui demeure chargé de l’armée et de tous les événements jusqu’à l’arrivée de Monsieur le Prince, qui a vingt-deux jours de marche. Pour moi, je pense mille fois le jour au chevalier de Grignan, et ne puis pas m’imaginer qu’il puisse soutenir cette perte sans perdre la raison. Tous ceux que M. de Turenne aimoit sont fort à plaindre.
Le Roi disoit hier en parlant des huit nouveaux maréchaux de France : « Si [6] Gadagne avoiteu patience, il seroit du nombre ; mais il s’est retiré, il s’est [7] impatienté : c’est bien fait. » On dit que le comte d’Estréescherche à vendre sa charge ; il est du nombre des désespérés de n’avoir point le bâton. Devinez ce que fait Coulanges : sans s’incommoder, il copie mot à mot toutes les nouvelles que je [8] vous écris. Je vous ai mandé comme le grand maîtreest duc : il n’ose se plaindre ; il sera maréchal de France à la première voiture ; et la manière dont le Roi lui a parlé passe de bien loin l’honneur qu’il a reçu. Sa Majesté lui dit de dire à [9] Pompone sonnom et ses qualités ; il lui répondit : « Sire, je lui donnerai le brevet [10] de mon grand-père; il n’aura qu’à le faire copier. » Il faut lui faire un compliment ; [11] M. de Grignan en a beaucoup à faire, et peut-être des ennemis; car ils prétendent dumonseigneur, et c’est une injustice qu’on ne peut leur faire comprendre.
[12] M. de Turenne avoit dit à M. le cardinal de Retz en lui disant adieu(et d’Hacqueville ne l’a dit que depuis deux jours) « Monsieur, je ne suis point un diseur ; mais je vous prie de croire sérieusement que sans ces affaires-ci, où peut-être on a besoin de moi, je me retirerois comme vous ; et je vous donne ma parole [13] que, si j’en reviens, je ne mourrai pas sur le coffre, et je mettrai, à votre exemple, quelque temps entre la vie et la mort. » Notre cardinal sera sensiblement touché de cette perte. Il me semble, ma fille, que vous ne vous lassez point d’en entendre parler : nous sommes convenus qu’il y a des choses dont on ne peut trop savoir de
  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents