Pascal Quignard et la mécanique du retour
249 pages
Français

Pascal Quignard et la mécanique du retour , livre ebook

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249 pages
Français

Description

Mickaël Dupuis raconte dans cet ouvrage comment sa pratique de la lecture a été renouvelée au contact des oeuvres de Pascal Quignard. Il met en lumière les propriétés systémiques de l'écriture quignériste, mécanique définie comme dynamique et non statique. P. Quignard met en place une écriture du retour. Révélateur d'un nouveau pacte de lecture, cet essai fixe les éclats d'une écriture fragmentée sur quelques pages, parfois poétiques et toujours didactiques, afin d'apporter au lecteur une image panoramique de cette oeuvre.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 juillet 2010
Nombre de lectures 105
EAN13 9782296260832
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,1000€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Introduction

Je vais vous raconter comment ma pratique de la lecture a été renouvelée
au contact des œuvres de P. Quignard. Pour cela, il me faut vous parler avant
toute autre chose de mes premières expériencesde lecture qui m’apparaissent
importantespour comprendre letravail de P. Quignard. Quand j’ai commencé
à lire de la littérature, j’ai eurapidementlesentiment, contrairementà
d’autreslecturesplusformelles, que quelque chose cherchaitàsesoustraire
à mon regard. J’avaisdespressentiments, desimpressionsflousque je ne
parvenaispasàsaisir,toutcelasansréellementde contrôle etavec lasensation
étrange d’yêtre étranger. Quandsubitement, comme par magie,tout s’éclairait,
tout se mettaiten mouvement. Lesmots, lesphrases, leschapitres se
connectaientetrévélaientleursecretàtraversleursrésonances. Qu’unsens
sesubstitue derrière lesmots, dans unvide apparentm’apparaissaitalors
surnaturel. À l’époque, chaque œuvre étaitpour moiune confrontation à
cevide, avec l’interrogation particulière desavoir à chaque fois si j’allais
pouvoir le remplir,si masensibilité allaitpouvoir opérersur cesnouvelles
pages,si la magie allaitencore agir,si des secretsallaientà nouveau se
dessinersur cevide. Cette opération relevaitpour moi quasimentde la
divination ouducharme. Pourtant, aufil du temps, le charme disparut, le
contrôle etla raison prirentle pas sur la magie. J’avaisapprisà maîtriser
meslectures, l’enchantementcédaitla place à la réflexion pragmatique.
Jusqu’aujour oùje rencontrai, aucroisementd’un rayonnage,une des
œuvresde P. Quignard au titre noble eténigmatique :Les Tablettesde buis
d’Apronenia Avitia.Je cédai à ma curiosité etentrepris sa lecture. C’estau
terme de plusieursminutesde lecture, puisde plusieursrelectures, que je
reconnusalorslesimpressionsque j’avaispuressentir lorsde mespremières
expériencesde lecteur. Pour la première foisdepuislongtemps, je pressentais
que quelque choses’ydissimulait sans toutefoisparvenir à le retrouver.
Cette œuvre me résistaitplusqu’à l’habitude, j’en perdaisle contrôle etje

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Introduction

me demandais comme, jadis, si la magie ne m’avait pas quitté. Cette œuvre
n’était pas comparable auxautresetje pressentaisqu’unsystème m’échappait
etqu’onse devaitde l’aborder différemment, qu’une nouvelle lecture était
nécessaire. L’effetrégressif recherché par P. Quignardvenaitd’agirune
première fois sur moi. En effet, cette œuvre m’avaitpermisde retrouver mes
toutespremières sensationsde lecture. J’avaisde nouveauperçucevidesans
motsquis’empare de celui qui cherche etqui est sur le pointdetrouver.
Preuve,s’il en est, que P. Quignard avaitréussi à me rapprocher déjà quelque
peude ma « cinquièmesaison*». En effet, l’écriture quignériste bouleverse
la lecturetraditionnelle. Ils’agitpour le lecteur de faire l’apprentissage d’une
nouvelle façon de lire. En court-circuitantle pacte de lecture habituel,
P. Quignard court-circuite letempsetnousplonge dansnospremières
expériencesde lecture faitesdetribulationsetd’égarements. Nousretrouvons
ce regard emprunté etencoresi peuaiguisé despremiers temps. Parce que
moulée aumouvementde notre pensée, l’écriture quignéristese faitquasi
transparente, ce qui la rend particulièrementdifficile à observer età cerner.
Cette écriture, qui peutnousapparaître parfoiskabbalistique, est
toujourspoétique. Cespagesarticulent une musique quitransforme la
lecture en notesde chevet, envœudesilence, offrant un retour àtousces
matinsdumonde pour lesquelsil n’existe pasencore de motspour les
décrire. En fait, P. Quignard écriten lecteur. Chaque mot, chaque fragment,
chaque œuvresontpenséspour leur lecture. Nous verronscombien cette
dernière occupeune place importante danslesystème quignériste, comment
iltransformeson écriture pour entransformer la lecture. En fait, P. Quignard
meten place desrésonancesqui « raisonnent» àsa place, « ensilence »si
l’on peutdire. C’estle mouvementde la pensée dulecteur qui crée les
attaches, produitcespensées silencieuses. Ce nesontpasdesmotsqui
viennent spontanémentà l’espritde ce dernier lorsde cesrencontres
fragmentairesmaisdesimpressions, des sensations, desessencesduréel.
Le langages’entrouve alorscourt-circuité. L’écriture quignériste est une
écriture «télépathique » danslaquelle auteur etlecteurse rencontrentpour
mettre en mouvement une mécaniquesilencieuse. En fait, elle agitcomme
un pont,une passerelle,un médiateur pour communier avec l’autre. C’est
une communication au-delà dulangage, c’est unetentative detélépathie.

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DansVie secrète, P. Quignard écrit:

Introduction

Queveutdiretélépathique. Souffrir à distance […] La lecture deslivresfonde
en raison l’expérience de latélépathie—etqu’on prétend infondable—etqui
pourtantgère lesconsciencesdetousleshommesaupointd’être à lasource de
l’acquisition dulangage. (VS,252)

Reproduction mimétique dufonctionnementde la pensée humaine,
comme nousle montrerons, l’écriture quignériste requiertl’énergie d’une
lecture participante etactive pourse mettre en mouvement. Sa poétique
fragmentaire provoque la rencontre avec le lecteur, elle l’attire danscevide
qui devientle lieudanslequel lecteur etauteurs’échangentà l’abîme. Cet
échange, cette communicationse fait sansmots. Toute la poétique quignériste
se retrouve danscesilence, danscette espace, dansce blanc entre lesfragments
qui offre aulecteurun lieud’expression. Ce dernier a une place dans le
livre, un abîme dans lequel plonger et se perdre. En acceptantdes’abîmer
dansla formestructurellementabyssale de l’écriture quignériste, le lecteur
plonge danslevide, accédantaux essences du réel. L’abîme se faitalors
miroir, échosensible desrécitsquignéristes, desesconceptsouencore de
sesréflexions. Le choc de la fragmentation provoquésur le lecteur par la
ruine dudiscours, ainsi quesonvertige engendré par le bouleversementde
la linéaritétextuellese retrouventalorsen harmonie avec les thèmesoules
réflexions traitéspar P. Quignard. C’est une expérience régressive, c’est un
parfum de « cinquièmesaison ». P. Quignardtente d’infléchir notre perception,
de la dépoussiérer dulangage qui l’a progressivementpolluée. En offrant
aulecteur la possibilité de revenir de manièresensiblesur leseffetsdu
langage, il lève levoile etoffreun regardsur la distance qui nous sépare de
notre « cinquièmesaison ». Il révèle lesétapesqui conditionnentl’effacement
progressif de cette période oùl’on étaiten contactdirectavec le réel. Il
réduitlesintervallesdetempsqui ne permettaientpasla comparaison et
qui rendaientimperceptible le changement. En réduisantcesintervallesau
tempsd’une lecture, il permetaulecteur de juxtaposer le jadisauprésent,
la période de non langage aulangage de l’adulte. Cesdeuxfragmentsde
vie,séparésparun espace detempsréduit, augmententlasensibilité etla
réceptivité dulecteur face à cesdeuxréalités. C’est un peucomme passer

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Introduction

de l’hiver à l’étésansprintemps, le coup de chaleur estassuré. P. Quignard
s’amuse avec lesespaces, lesintervalles, lesblancsoules silencesdans son
écriture. Il lesréduitoulesaugmente, jouesur les variationsdetempset
d’espace afin de réveiller les sensdulecteur, destimulersasensibilité etde
raviver, ce que j’ai appelé, la « quinte-essencesaisonnière*».
En fait, la lecture de l’œuvre quignériste me rappelleune anecdote
qu’il avaitrévéléeun jour àune journaliste lorsd’un desesentretiens. Il
racontaitcommentl’été ilse rendaitàsa maison de campagne pours’y
enfermer, accompagné d’un énormesac entoile chargé d’ouvragesdetoutes
sortes. L’Œuvre de P. Quignard est un de cesénormes sacsdetoile quitisse
etréunit une multitude d’œuvreslittéraires. Audépart, c’estlourd, pesant
etça courbe le dos, à la fin leslivresdigéréspar latoilescripturalese font
pl

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