La petite fille du grazmach a disparu
226 pages
Français
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Description

Au nord de l'Ethiopie, dans les confins de l'Erythrée, une petite fille souffre des persécutions de son père, dignitaire et notable du Tigray. A sept ans, devant l'indifférence de ses proches, elle décide de partir. Durant son épopée, elle subit les pires affronts: vendue, violée, excisée, emprisonnée, elle ne survit que grâce à son fort tempérament. Témoignage poignant de la survie des petites éthiopiennes, ce récit est aussi l'occasion d'évoquer des faits historiques de 1896 à 2009 et de rendre compte d'une saga familiale où apparaît entre autres personnages, celui du grazmach, sorte de gouverneur local.

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Date de parution 01 mai 2012
Nombre de lectures 8
EAN13 9782296490727
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

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Extrait

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Graveurs de mémoire Gérard CHABENAT,Marhaba. Parages intranquilles, 2012. Alouisa PIERRON,Une vie de traverse. Souvenirs truculents d’une Gitane rebelle, 2012. Maurice STROUN,"Mon cher collègue, je ne serai pas recteur". Une aventure dans le monde de l’Université et de la recherche scientifique, 2012. Nadine BERKOWITZ,Les tribulations d’une Parisienne, 2012. René NAVARRE, François-Marie PONS,Fantômas c’était moi,2012. e Gilbert CARRÈRE,Mémoires d’un préfet. À la traverse duXXsiècle, 2012. François DELPEUCH,Chronique édilique, 2012. Jean Michel CANTACUZENE,Une vie en Roumanie. De la Belle Epoque à la République populaire. 1899-1960, 2011. Claude DIAZ,Demain tu pars en France. Du ravin béni-safien au gros caillou lyonnais, 2011. Jacques QUEYREL,Un receveur des Postes durant les trente glorieuses,2011. Benoît GRISON,Montagnes… ma passion, Lettres et témoignages rassemblés par son père, 2011. Henri Louis ORAIN, Avec Christiane, 68 ans de bonheur, 2011. Pascale TOURÉ-LEROUX,Drôle de jeunesse, 2011.Emile HERLIC, «Vent printanier », nom de code pour la rafle du Vél’ d’hiv’. Récit, 2011. Dominique POULACHON,René, maquisard. Sur les sentiers de la Résistance en Saône-et-Loire, 2011. Shanda TONME,Les chemins de l’immigration : la France ou rien ! (vol. 3 d’une autobiographie en 6 volumes), 2011. Claude-Alain CHRISTOPHE,Jazz à Limoges, 2011. Claude MILON,Pierre Deloger (1890-1985). De la boulange à l’opéra, 2011. Jean-Philippe GOUDET,Les sentes de l’espoir. Une famille auvergnate durant la Seconde Guerre mondiale, 2011. Armand BENACERRAF,Trois passeports pour un seul homme, Itinéraire d’un cardiologue, 2011. Vincent JEANTET,Je suis mort un mardi, 2011.
Moulou Menguiste ab Worke Catherine Leenhardt La petite-fille du grazmach a disparu Saga d’une famille éthiopienne vue par un de ses membres, une fillette de sept ans qui fuit les violences familiales L’Harmattan
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I. SEPT ANS, À ADWA On peut être perdu parce qu’on a oublié le chemin.On peut être perdu parce qu’on n’a pas de réponse dans 1 sa tête .Mai 1948. Un vent sec et chaud monte de la vallée. Frissonnent les toiles. Bruisse l’arbre. Fuient les oiseaux. Le vent - toujours - enjambe la cour dans un grand murmure. Sur les tables, les nappes claquent. Les toges blanches s’envolent. Les invités arrêtent de parler. Et puisfrout frout froutle courant d’air s’échappe vers le lac derrière le village. Quelques vieilles aussitôt se rassemblent en caquetant.
Est-ce un présage ?
La cérémonie va commencer. Domekesh, la fille du grazmach, épouse le fils d’un notable des lieux, Menguistu Worke. Le village de Bloco, où se tiennent les festivités, n’est qu’un petit bourg rural d’à peine une centaine d’habitants et chacun - convié ou pas - vient pousser là sa curiosité. C’est l’heure d’une grande animation. Près de
1 Proverbe éthiopien.
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la mariée se tient un homme grand et massif d’une quarantaine d’années aux cheveux prématurément blanchis. Il accompagne sa fille préférée, Domekesh, qu’il se prépare à unir aujourd’hui à ce local, lebeau gossecomme il l’appelle en privé avec mépris car il n’aime pas cet homme de dix ans l’aîné de sa cadette.
Pourquoi ? Il ne sait pas vraiment. Peut-être parce qu’il soupçonne ce dernier de légèreté envers les femmes. Une intuition toute masculine. Les hommes entre eux se devinent. Lors des fiançailles, il a ces mots menaçants :-Si tu touches un cheveu de ma fille, je te tue !
Il parle sur un ton qui ne souffre aucune réplique, le regard dur, le sabre au flanc prêt à dégainer. Son interlocuteur comprend immédiatement. N’a-t-il pas tué, il y a peu, un homme qui a refusé de le saluer ?L’affaire remonte à deux mois.
2 Ce jour-là, le grazmach Téchalé va droit et fier sur son cheval blanc comme toujours, accompagné de deux 3 serviteurs qui vont à pied à ses côtés quand il croise un homme qui ne le salue pas avec suffisamment de respect. Lui, le dignitaire, le vainqueur de tant de batailles, furieux qu’on lui manque de considération, va donner l’ordre de faire trancher la tête de cet homme. Au sabre !
Voilà comment le grazmach s’est fait une réputation au 4 pays de la Reine de Saba !
2 Commandant de l’aile gauche de l’armée. 3 Ils ne sont pas autorisés à lever la tête dans sa direction. 4 Des années après, les gens continuent à s’effacer devant les membres de la famille quand ils les croisent. Par crainte ? Par respect ?
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La demeure des futurs mariés est un peu en retrait du village, sur les hauteurs, au milieu de fermes plus modestes. C’est dans ce groupe d’habitation que depuis plusieurs jours déjà les préparatifs vont bon train. Les hommes égorgent les moutons. Les ados dressent les tables et les tentes pour protéger les convives du soleil. Les femmes s’activent autour de mets spécialement dédiés à l’événement. Les fillettes récupèrent dans les bois des environs des fagots pour placer sous les marmites. Les prêtres des deux familles parcourent les lieux, s’improvisent conseillers, multiplient les prières, les gestes de dévotion. La religion avance ses repères, omniprésente. C’est un jour béni !On met les petits plats dans les grands. Chacun fait assaut de richesses. Chacun veille au rayonnement de son nom. C’est une journée de représentation. 5 Ce matin, jour-J de la célébration , les hautes chaises royales sortent de leur rangement. Des mains habiles reprennent ici ou là quelques motifs d’une grande finesse. Ailleurs on vérifie l’état des tissus richement tissés qui recouvrent les sièges. Enluminures, décorations diverses sont passées au crible, voire restaurées pour un effet clinquant recherché. Aucun entrelacs de fil d’or n’échappe à l’œil exercé de la mère de la mariée. Déjà cette dernière s’est drapée dans sa grande cape de cérémonie d’un rouge sombre richement brodée d’or qui rehausse encore son prestige et son autorité. Les femmes de la famille l’entourent, veillant à chaque détail.
5 Aujourd’hui encore le mariage religieux est suivi d’une messe et d’une communion mais, devant la recrudescence des divorces, les gens de la ville ne contractent plus qu’un mariage civil, plus facile à rompre celui-là. C’est ainsi qu’on voit défiler des processions de mariés après les longs carêmes, car on ne peut pas se marier pendant.
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Grande et sèche, Tsion donne des ordres qui claquent. De toute jeunes servantes à la peau très noire - probablement des esclaves - s’affairent autour d’elle. Vont. Viennent. Virent. Volent. Elles n’ont pas dormi de la nuit, sollicitées à chaque instant par les appels de cette grande femme dure et sévère que seul son mari ne craint pas.En comparaison avec les petites maisons de terre des familles de paysans d’ici, on se doute bien que celle qui abrite le mariage est une maison de riches comme on n’en voit pas beaucoup dans ce coin retiré du Tigray. Pourtant les voisins sont tous là proposant leur aide. C’est un jour de solidarité. Janvier 1959.6 C’est une petite maison de pierres accrochée aux terrasses 7 de tef . À perte de vue, une terre rouge où affleurent des cailloux descend lentement par les champs en terrasse vers le lit de la rivière. En tournant la tête vers le Sud, dans l’axe de la vallée, on aperçoit la montagne Selleda, un des sites d’une fameuse bataille, la bataille d’Adwa, et, fichée sur ses pentes abruptes, le monastère Saint-Giorghis. Le soleil est à peine levé que l’air brûle déjà d’encens, de résine de myrrhe et bientôt de café grillé. Le charbon rougi dégage une fumée âcre qui fait tousser. L’été, les nuits sont froides à cette altitude et les braises réchauffent l’atmosphère. La petite cour de terre battue laisse apparaître des traces d’une activité domestique récente :
6 Faite de pierres sèches enduites de terre et comprenant deux pièces d’habitation recouvertes de tôle ondulée. 7 Céréale qu’on trouve essentiellement en Éthiopie, très riche en protéines. Elle supporte la sécheresse aussi bien que les inondations. Çà et là à proximité des habitations des meules de tef sont dressées et la paille étendue sur les arbustes après la récolte.
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un petit tas de terre et de déchets rassemblés dans un coin. L’air est encore frais. Une fillette est accroupie au milieu de la cour sous un grand arbre. Encore enfouie dans le châle en coton qui l’a réchauffée pendant la nuit, elle frotte ses yeux fatigués sous ses petites mains rougies et agressées par des tâches ménagères. Lentement, doucement, ses sens s’éveillent. 8 Elle, c’est Moulou. Son nez perçoit les odeurs mêlées de 9 la boue d’argile, de la peau de vache et de l’encens. Le soleil est à peine levé que l’air brûle déjà de résine de myrrhe et bientôt de café grillé. Le charbon rougi dégage une fumée âcre. Sa mère, levée avant le soleil, est déjà passée avec son balai de branchages sur le sol de la maison et celui de la petite cour, durs, lisses comme le rocher. - Où est-elle encore partie, demande-t-elle ? Et puis soudain : - Moulou, Moulou, tu es là ?
Une grande femme mince, très belle, peau claire, yeux dorés, traits fins, cheveux tirés sous les croisillons de tresses qui entourent son visage, apparaît dans l’encoignure du petit portail en bois devant la maison. Ses talons nus martèlent la terre. Sa respiration d’asthmatique est courte et sifflante. Elle a dû marcher vite pour éviter la poussière que le vent de sud fait voler. Où était-elle ? Chez une voisine pour une poignée de café vert ou du charbon de bois en échange d'un peu de tef ? Le Nouvel An est passé et la récolte de ce dernier est sur le
8 La température grâce à cet enduit est à peu près égale hiver comme été. La terre est tassée à une certaine hauteur du sol pour donner la forme de lits à ces peaux battues et séchées par sa mère. 9 Celle qui recouvre la terre tassée en forme de matelas sur quoi elle dort.
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point de se terminer. Ce n’est pas sa première sortie : déjà à l’aube elle s’était rendu à la messe du matin au monastère sur les flancs de la montagne. La mère ne commence aucune journée sans ses prières !
Maintenant, la jeune femme s’installe devant la porte de la maison sans un regard pour sa fille. S’assied par terre. Prend le grand panier plat en raphia de toutes les couleurs, 10 lemaufit. Le fait tourner sur place jusqu’à ce qu’elle isole les bons des mauvais pois secs. Puis elle s’arrête, prend sa tête dans ses mains, reprend le tri et dit :
- Va me chercher du bois, Moulou. J’ai mal à la tête. Tu 11 veux ? Que je puisse faire du café !
Domekesh pose son panier, rassemble les pois dans un grand sac de jute. L’enfant est déjà partie, vive comme l’éclair, insensible au mal de dos qui l’a clouée au lit depuis la veille, ce mal pour lequel sa mère l’a laissé dormir plus tard que d’habitude. Aujourd’hui, elle n’a pas vu le soleil se lever. Ce soleil qui vient d’Adwa le matin et repart à Aksum le soir... Est-ce que c’était la même chose ce matin pendant qu’elle dormait ? Il est si rare qu’elle reste couchée !
Un halo de brume monte de la vallée, s’accroche aux cimes des montagnes, puis glisse vers le village en contrebas dans un mouvement ondulatoire. La montagne, c’est le refuge des lions, des tigres, des hyènes et de toute une faune sauvage qui vient rôder autour des maisons
10 Panier comme en tressent souvent les femmes, constitué d’un fond fait d’une sorte de grillage et d’un dessus en raphia. 11 Café et thé sont servis très chauds et très sucrés. Parfois le café est parfumé au gingembre.
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