Parallèle de Monsieur le Prince et de M. de Turenne
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Charles de Saint-Évremond
Œuvres mêlées
Parallèle de Monsieur le Prince et de M. de Turenne
PARALLÈLE DE MONSIEUR LE PRINCE ET DE MONSIEUR
1DE TURENNE, SUR CE QUI REGARDE LA GUERRE .
(1673-1688.)
Vous trouverez en Monsieur le Prince la force du génie, la grandeur de courage,
une lumière vive, nette, toujours présente. M. de Turenne a les avantages du sang-
froid, une grande capacité, une longue expérience, une valeur assurée.
Celui-là, jamais incertain dans les conseils, irrésolu dans ses desseins,
embarrassé dans ses ordres, prenant toujours son parti mieux qu’homme du
monde ; celui-ci, se faisant un plan de sa guerre, disposant toutes choses à sa fin,
et les conduisant avec un esprit aussi éloigné de la lenteur que de la précipitation.
L’activité du premier se porte au delà des choses nécessaires, pour ne rien oublier
qui puisse être utile : l’autre, aussi agissant qu’il le doit être, n’oublie rien d’utile, ne
fait rien de superflu ; maître de la fatigue et du repos, il travaille à ruiner l’armée des
ennemis, il songe à la conservation de la sienne.
Monsieur le Prince, fier dans le commandement, également craint et estimé ; M. de
Turenne plus indulgent et moins obéi par l’autorité qu’il se donne, que par la
vénération qu’on a pour lui.
Monsieur le Prince plus agréable à qui sait lui plaire, plus fâcheux à qui lui déplaît ;
plus sévère quand on manque, plus touché quand on a bien fait. M. de Turenne plus
concerté, excuse les fautes sous le nom de malheurs, et réduit ...

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Charles de Saint-Évremond Œuvres mêlées Parallèle de Monsieur le Prince et de M. de Turenne
PARALLÈLE DE MONSIEUR LE PRINCE ET DE MONSIEUR 1 DE TURENNE, SUR CE QUIREGARDE LA GUERRE. (1673-1688.)
Vous trouverez en Monsieur le Prince la force du génie, la grandeur de courage, une lumière vive, nette, toujours présente. M. de Turenne a les avantages du sang-froid, une grande capacité, une longue expérience, une valeur assurée.
Celui-là, jamais incertain dans les conseils, irrésolu dans ses desseins, embarrassé dans ses ordres, prenant toujours son parti mieux qu’homme du monde ; celui-ci, se faisant un plan de sa guerre, disposant toutes choses à sa fin, et les conduisant avec un esprit aussi éloigné de la lenteur que de la précipitation.
L’activité du premier se porte au delà des choses nécessaires, pour ne rien oublier qui puisse être utile : l’autre, aussi agissant qu’il le doit être, n’oublie rien d’utile, ne fait rien de superflu ; maître de la fatigue et du repos, il travaille à ruiner l’armée des ennemis, il songe à la conservation de la sienne.
Monsieur le Prince, fier dans le commandement, également craint et estimé ; M. de Turenne plus indulgent et moins obéi par l’autorité qu’il se donne, que par la vénération qu’on a pour lui.
Monsieur le Prince plus agréable à qui sait lui plaire, plus fâcheux à qui lui déplaît ; plus sévère quand on manque, plus touché quand on a bien fait. M. de Turenne plus concerté, excuse les fautes sous le nom de malheurs, et réduit souvent le plus grand mérite à la simple louange de faire bien son devoir. Satisfait du service qu’on lui rend, il ne l’est pas toujours de l’éclat qu’on se donne ; et faisant valoir avec plaisir les plus soumis, il regarde avec chagrin les industrieux, qui cherchent leur réputation sous lui, et leur élévation par les ministres.
Monsieur le Prince s’anime avec ardeur aux grandes choses, jouit de sa gloire sans vanité, reçoit la flatterie avec dégoût. S’il prend plaisir qu’on le loue, ce n’est pas la louange de ses actions, c’est la délicatesse de la louange qui lui fait sentir quelque douceur. M. de Turenne va naturellement aux grandes et aux petites choses, selon le rapport qu’elles ont à son dessein : rien ne l’élève dans les bons succès, rien ne l’abat dans les mauvais.
Il n’est point assez de précautions contre les attaques du premier : son audace et sa vigueur rendant foible ce qu’on s’imaginoit de plus fort ; le second se dégage de tout danger : il trouve le moyen de se garantir, dans toutes les apparences de sa perte.
Quelques troupes que vous donniez à Monsieur le Prince, vieilles ou nouvelles, connues ou inconnues, il a toujours la même fierté dans le combat : vous diriez qu’il sait inspirer ses propres qualités à toute l’armée. Sa valeur, son intelligence, son action semblent lui répondre de celle des autres. Avec beaucoup de troupes dont M. de Turenne se défie, il cherche ses sûretés : avec peu de bonnes qui ont gagné sa confiance, il entreprend, comme aisé, ce qui paroît impossible.
Quelque ardeur qu’ait Monsieur le Prince pour les combats, M. de Turenne en donnera davantage, pour s’en préparer mieux les occasions ; mais il ne prend pas si bien dans l’action ces temps imprévus, qui font gagner pleinement une victoire ; c’est par là que ses avantages ne sont pas entiers. Quand l’affaire est contestée, le plan de sa guerre lui revient dans l’esprit, et il remet à une conduite plus sûre ce qu’il voit difficile et douteux dans le combat. Monsieur le Prince a les lumières plus présentes, et l’action plus vive ; il remédie lui-même à tout, rétablit ses désordres, et pousse ses avantages. Il tire des troupes tout ce qu’on en peut tirer ; il s’abandonne au péril, et il semble qu’il soit résolu de vaincre, ou de ne pas survivre à sa défaite. Ce n’est pas assez pour lui de n’être pas vaincu, il fait sa honte de ne vaincre pas.
Chez M. de Turenne, tout cède au bien des affaires : il essuie le murmure des envieux, les mauvais offices de ses ennemis, le dégoût de ceux qu’il sert, pour rendre un véritable service. Monsieur le Prince a plus d’égards pour les ordres de la cour, jusqu’aux occasions qui se présentent : là, il n’écoute que sa valeur, et ne se tient responsable de ses actions qu’à sa gloire.
Pour Monsieur le Prince victorieux, le plus grand éclat de la gloire ; pour Monsieur le Prince malheureux, jamais de honte : ce peut être un préjudice aux affaires, et jamais à sa réputation. La réputation de M. de Turenne est toujours attachée au bien des affaires. Ses actions n’ont rien de particulier qui les distingue, pour être égales et continues : toute sa conduite a moins d’éclat, pour attirer l’applaudissement des peuples, que de solidité pour occuper les réflexions des habiles gens. Tout ce que dit, tout ce qu’écrit, tout ce que fait M. de Turenne, a quelque chose de trop secret pour ceux qui ne sont pas assez pénétrants. On perd beaucoup de ne le comprendre pas assez nettement ; et il ne perd pas moins de n’être pas assez expliqué aux autres. La nature lui a donné le grand sens, la capacité, le fond du mérite, autant qu’à homme du monde ; et lui a dénié ce feu du génie, cette ouverture, cette liberté d’esprit, qui en fait l’éclat et l’agrément. Il faudra le perdre, pour connoître bien ce qu’il vaut, et il lui coûtera la vie, pour se faire une juste et pleine réputation.
La vertu de Monsieur le Prince n’a pas moins de lumière que de force : elle est funeste aux ennemis, qui en ressentent les effets, et brillante pour ceux qui en tirent les avantages ; mais à dire la vérité, elle a moins de suite et de liaison que celle de M. de Turenne, ce qui m’a fait dire, il y a longtemps, que l’un est plus propre à finir glorieusement des actions, l’autre à terminer utilement une guerre. Dans le cours d’une affaire, on parle plus avantageusement de ce que fait Monsieur le Prince ; l’affaire finie, on jouit plus longtemps de ce que M. de Turenne a fait.
J’ajouterai encore cette différence : M. de Turenne est plus propre à servir un roi qui lui confiera son armée ; Monsieur le Prince à commander la sienne, et à se donner de la considération par lui-même.
NOTES DE L’ÉDITEUR
1. Saint-Évremond avoit écrit ce parallèle en 1673 ; mais il le retoucha en 1688, au moment où il s’occupa d’une histoire de M. de Turenne.
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