La tentation (roman gay)
197 pages
Français

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La tentation (roman gay) , livre ebook

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Description


La tentation


de Benjamin Schneid



La première et furtive expérience de Benjamin lui révèle des réalités bien différentes des émois que lui inspiraient les athlètes de son lycée. Étudiant sans réelle conviction, il regarde ses amis d’enfance poursuivre leurs brillantes études.

Une rencontre fortuite bouscule son quotidien. Benjamin renoue le contact avec Gregory, son ancien entraîneur.

Il se laisse séduire par la personnalité du beau sportif coureur de jupons. Auprès de lui, il découvre à la fois la force de son appétit sexuel et la violence de ses sentiments.

Cyril, ami d’enfance et colocataire de Gregory, vit mal leurs retrouvailles.

Il met en garde Benjamin sur la personnalité complexe du garçon qu’il convoite. Son propre frère l’avertit également de se méfier.

Un mystère qui échappe à Benjamin lie les trois garçons. Ce dernier se rend vite compte que transgresser les interdits va lui coûter son innocence.



Dans son premier livre, Benjamin Schneid dévoile un personnage qui lui ressemble étrangement. Largement inspiré de la réalité, ce roman relate avec une puissante charge érotique les pulsions d’un jeune homme amoureux.


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Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 mai 2008
Nombre de lectures 656
EAN13 9782914679831
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0052€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Cover

Sommaire

Chapitre 1

Chapitre 2

Chapitre 3

Chapitre 4

Chapitre 5

Chapitre 6

Chapitre 7

Chapitre 8

Chapitre 9

Chapitre 10

Chapitre 11

Chapitre 12

Chapitre 13

Chapitre 14

Chapitre 15

Chapitre 16

Chapitre 17

Chapitre 18

Chapitre 19

Chapitre 20

Chapitre 21

Chapitre 22

 

La tentation

Benjamin Schneid

 

Roman

 

 

 

Éditions Textes Gais

37 rue Bayen

75017 Paris

Chapitre 1

 

 

Les battements de mon cœur retentissaient dans ma poitrine avec une telle violence que chaque martèlement semblait vouloir être le dernier. J’étais si essoufflé que je percevais à peine le passage des voitures. La réflexion des phares sur le bitume mouillé troublait ma vue. Le vrombissement des moteurs m’assourdissait. J’étais à bout de forces, mais je ne voulais pas m’arrêter si près du but. J’étais décidé à courir jusqu’à l’épuisement. Mes jambes continuaient d’elles-mêmes à avancer sans que je semble les contrôler. La fine pluie vaporeuse qui s’était infiltrée jusqu’à la racine de mes cheveux ruisselait maintenant sur mon visage. Mon corps produisait une telle chaleur que je ne remarquais plus la fraîcheur de la nuit. Du haut de mon échine, d’abondants filets de sueur coulaient jusqu’au creux de mes reins ; et à mesure que ma bouche cherchait à happer l’oxygène qui lui faisait défaut, mes perceptions défaillaient. Plus que quelques centaines de mètres à parcourir, plus que quelques enjambées à faire. Surtout ne pas fléchir. Déjà ma vue commençait à se voiler. Je ne sentais plus la douleur lancinante qui s’était diffusée sous la saillie osseuse de mes chevilles. Les muscles de mes cuisses, aussi lourds que du plomb, semblaient ne plus pouvoir se relâcher. Je voulais dompter ce corps, éradiquer ses faiblesses. Je voulais être plus fort que lui. Ignorant ses cris de détresse, je fis preuve de toute la volonté dont j’étais capable et poursuivis inébranlablement ma course.

 

Les platanes longeant le marché couvert de Talensac annoncèrent bientôt l’abrègement de mes souffrances. J’étais presque arrivé. Malgré la côte qui se profilait, je me mis à allonger mes foulées comme pour asseoir mon autorité. Je voulais me dépasser quoi qu’il m’en coûtât. Je m’engageai dans l’une des petites rues adjacentes au marché. Je voyais déjà la porte de mon immeuble. J’avais vaincu. Ni l’élévation anormale de mon pouls, ni la brûlure de mes poumons ne pouvaient tempérer ma fierté. Lorsque je poussai enfin la lourde porte en bois, l’odeur pénétrante et poussiéreuse du hall remplit mes narines. Elle ne m’était pas encore familière. Dans un dernier effort, je montai les marches deux par deux jusqu’au dernier étage avant de retrouver l’agréable tiédeur de l’appartement. Sans prendre la peine d’enlever mes runnings tout mouillés, j’allai directement dans la cuisine tout en me débarrassant négligemment de mon sweat-shirt. Mon tee-shirt complètement trempé collait à ma peau. Je l’ôtai avant de le passer sous mes aisselles.

 

« Bastien ! » appelai-je d’une voix étranglée. Mais aucune réponse ne se fit entendre. Encore hors d’haleine, j’allai chercher une serviette dans la salle de bains pour sécher mes cheveux, puis je revins dans la cuisine où je me posai sur le rebord de l’évier avant que mes jambes ne fléchissent définitivement. Pendant que les perles de sueur continuaient à s’amasser sur mes tempes, j’étanchai ma soif. Mon rythme cardiaque était encore si élevé que je devais prendre de profondes inspirations entre chaque gorgée.

 

« Bastien ! » répétai-je, cette fois-ci sur un ton plus agacé. Mais je n’eus en guise de réponse qu’un silence dédaigneux. Je me dirigeai alors vers sa chambre d’où s’échappait un ténu filet de lumière. Je frappai deux, trois coups pour la forme. La porte s’ouvrit d’elle-même sur une pièce vide. La lampe de chevet, restée allumée, éclairait faiblement le large lit bien fait, sur lequel étaient étalés plusieurs bouquins de biologie moléculaire et un bloc-notes. À la vue de ses affaires de fac, j’eus aussitôt mauvaise conscience et pensai malgré moi à la traduction que j’avais laissée en plan. Sans vraiment oser pénétrer dans son intimité en son absence, j’embrassai toutefois du regard la chambre dans laquelle il s’enfermait si souvent. Comme toujours, chaque objet était à sa place. Malgré ses classeurs parfaitement ordonnés, ses nombreux livres, ses trophées et ses souvenirs en tout genre, une atmosphère apaisante émanait de ce lieu. À l’image de son occupant, la pièce ne trahissait rien de ses secrets.

 

L’espace d’un instant, j’envisageai l’éventualité de l’appeler sur son portable pour savoir si je devais l’attendre pour dîner. Pressentant que je tomberais à coup sûr sur sa messagerie vocale, je préférai enterrer cette idée. De toute évidence, Bastien n’avait pas voulu m’informer de ses faits et gestes et je n’avais certainement pas envie de passer pour son chaperon ou, pire encore, de lui faire sentir le vide de mes propres soirées. Avec le temps, je commençais à réagir avec indifférence à ses escapades nocturnes. Au contraire, j’étais même heureux de me retrouver seul dans l’appartement et de ne pas avoir à me justifier de mon oisiveté.

 

Le corps brûlant de transpiration, je me rendis alors dans ma chambre et y retrouvai malgré l’obscurité le même désordre que j’avais laissé avant de sortir. Sans prendre la peine de défaire les lacets, je me déchaussai entièrement, en laissant traîner chaussures et chaussettes au beau milieu de l’amas de vêtements à peine portés qui jonchaient en désordre le sol. Puis, mécaniquement, je fis glisser mon short sur mes cuisses jusqu’à ce qu’il tombât sur mes chevilles. Allumant la lampe de bureau, je fus soudainement surpris par la silhouette d’un homme, tapi dans mon dos. Après m’être précipitamment retourné, je m’aperçus honteusement qu’il ne s’agissait que de mon propre reflet, renvoyé par le large miroir qui ornait le mur. Mais, curieusement, en dépit de l’évidence, je ne reconnus pas immédiatement mes traits, comme si j’étais devenu étranger à moi-même. Captivé, je m’approchai de la glace et contemplai mon visage figé dans une expression insaisissable. Les poils drus et noirs d’une barbe naissante couvraient déjà la carrure de mes mâchoires et me donnaient un air trop adulte pour mon âge. Surplombant les joues légèrement creusées par la fatigue, les pommettes paraissaient presque enflées, tandis que des cernes discrets se dessinaient sous mon regard sombre et inexpressif. À leur sommet, les yeux marron, fendus en amande, rejoignaient presque l’épaisse courbe de mes sourcils dont la noirceur renvoyait au brun profond de mes cheveux défaits. Peu à peu, ma peau retrouvait aussi sa couleur mate. Les épaules, devenues larges et rondes, contrastaient maintenant avec la sveltesse de l’abdomen. Leurs muscles restés parfaitement définis semblaient être les dernières reliques d’une adolescence en déclin. Juste au-dessus, les pectoraux massifs et fermes se bombaient naturellement au rythme de mes inspirations. Ils camouflaient mes complexes en me donnant fière allure. L’espace d’un instant, je ne reconnus plus le corps chétif et maigrichon dont j’avais été affublé durant toutes ces années. Aux échancrures du slip blanc, le relief vigoureusement ciselé des cuisses apparaissait d’autant plus galbé que je venais de parcourir plusieurs kilomètres. Les mollets saillants et endurcis finissaient d’harmoniser le profil musclé de la jambe. Je m’étais étoffé, j’étais réellement devenu un jeune homme. Pourtant, la même insatisfaction remplissait mes regards dès qu’ils se posaient sur ce corps que je ne maîtrisais pas encore. Comme si j’avais toujours en face de moi l’image de cet enfant de douze ans, faible et timide. Je restais incapable de voir la beauté que j’exhalais, le miroir ne la reflétant que lorsque je lui tournais le dos.

 

L’odeur de fauve qui émanait de tous mes pores me tira rapidement de mes rêveries éveillées et je disparus vite dans la salle de bains. Ce n’était pas tant le désir de me laver de ma sueur qui m’assaillait mais celui de me rincer de toutes les idées noires qui erraient dans ma tête depuis le début de l’automne.

 

Alors que la journée avait inexorablement atteint son terme, je pris de nouveau conscience du vide qui l’avait remplie. À l’instar des précédentes, elle s’était résumée en une série de tâches accomplies sans grande conviction, comme un exercice maintes fois repris qu’on effectue par devoir sans vraiment en comprendre l’utilité. L’atonie qui anesthésiait ma vie chaque jour un peu plus me fit bientôt douter du prétendu privilège de cette jeunesse tant décriée. J’avais toujours l’impression de me trouver dans l’antichambre de la vie, de la vraie vie, de celle que je m’étais imaginée. En observant le contenu du frigo, je m’aperçus qu’il ne restait plus que les plats cuisinés par ma mère. J’enfournai donc une assiette de ratatouille dans le micro-onde.

 

Au travers des vieilles fenêtres mal jointes s’échappait le bourdonnement mécanique des voitures sur la chaussée mouillée, ce qui rendait le silence de l’appartement d’autant plus pesant. Je considérai un instant l’éventualité d’allumer la radio, mais le grésillement du poste aurait rendu ma solitude plus évidente encore. Le regard absent, je mâchai fourchette après fourchette la mixture informe. Les légumes avaient un petit goût amer, tandis que le riz réchauffé se défaisait en purée sous la dent. Une fois l’assiette vide, je la passai sous le filet d’eau du robinet, sans toucher à la vaisselle qui s’était amoncelée dans l’évier.

 

Puis je m’enfermai dans ma chambre, décidé à poursuivre la traduction qui traînait sur le bureau et dont seules les deux premières lignes avaient été faites. N’ayant allumé que la lampe de chevet, la chambre apparaissait dans une chaude pénombre, Comme si, ce soir-là, le monde extérieur cessait d’exister dans ma conscience au-delà du faible halo de lumière. Profitant de l’absence de Bastien, je glissai d’abord la main dans le tiroir de la table de nuit et trouvai le paquet de cigarettes au carton déjà bien usé. Penché sur le rebord du vasistas, j’en allumai une. Alors que les bouffées de tabac commençaient à me faire légèrement tourner la tête, je contemplai silencieusement les toits en ardoises de la ville endormie. Enivré par les volutes de fumée que j’inspirais à pleins poumons, je sentis doucement la fatigue s’emparer de mes membres. En regardant ce paysage urbain qui s’offrait à moi dans toute son immuabilité, je me pris à me demander qui, parmi tous les visages anonymes croisés dans la rue, pouvait bien habiter derrière les fenêtres aux rideaux fermés et les discrètes lucarnes. Ce ne fut que lorsque je jetai mon mégot dans la gouttière que le vagabondage de mon esprit fut durement ramené à la réalité.

 

Je laissai le vasistas encore un peu ouvert afin d’aérer la pièce et de ne pas éveiller les soupçons de Bastien. L’écran de mon réveil annonçait déjà une heure tardive ; je regrettais d’avoir tant attendu pour terminer mon travail. Prenant mes premiers écrits, je me calai confortablement sur mon lit, accolé contre le mur. Je relus les premières lignes et compris aussitôt pourquoi j’avais interrompu la traduction. Je feuilletai de nouveau le dictionnaire pour chercher les mots que je ne connaissais pas, mais même après cela, le sens de la phrase ne me parut pas plus clair. Je parcourus de nouveau le passage, mais le contexte ne m’apporta aucun éclaircissement. Sentant l’agacement monter en moi, je décidai de passer tout simplement à la ligne suivante. Plus je progressais, plus il m’apparaissait clairement que je ne terminerais jamais le texte avant que la fatigue m’assommât. Bien résolu à ne pas sécher une matinée de plus à la fac, je finis par privilégier mon sommeil sur mes devoirs et remis l’ouvrage au lendemain. Naturellement j’avais mauvaise conscience.

 

Après avoir éteint la lampe, je me glissai sous la couette ; malgré le picotement de mes yeux, je ne parvins pas tout de suite à m’endormir. Au fur et à mesure que les minutes avançaient, mes pupilles se faisaient à l’obscurité et je pus bientôt distinguer les photos de toute la bande que j’avais accrochées au-dessus du lit. Il n’était certes pas possible de discerner le contour de leur visage, mais je les connaissais toutes si bien que mon esprit finissait de reconstituer les détails qui n’apparaissaient pas dans le noir. Une agréable douleur se faisait sentir dans mes jambes, partant du haut du fessier avant de s’enfoncer profondément dans les muscles de mes cuisses. Machinalement, je me mis à caresser du bout des doigts le sillon creusé entre mes pectoraux. La sensation procurée par les effleurements était douce et mes yeux se fermèrent d’eux-mêmes. Mes pensées purent enfin s’évader bien loin de mes soucis et papillonner autour de cet étudiant que j’avais aperçu de nouveau l’après-midi même à la cafétéria. Je ne connaissais ni son nom, ni la matière qu’il étudiait, mais sa beauté virile avait retenu toute mon attention. Vu son âge, il devait déjà être en licence, ou même en maîtrise. Malgré l’effet qu’il me faisait, je n’avais bien sûr jamais osé lui adresser la parole. Sauf une fois. Le jour où il avait fait tomber une feuille polycopiée sans s’en rendre compte. Et encore, je la lui tendis sans rien dire. J’avais juste souri. Lui aussi. Puis il était parti peu après. Je l’avais si fréquemment observé que je n’avais aucun mal à dépeindre intérieurement les traits bruts et masculins de son visage. Je l’imaginais seul en ma présence dans l’un des recoins de la bibliothèque. J’imaginais la chaleur de ses regards et la sincérité de ses sourires. J’imaginais le goût de ses lèvres, le jeu de ses doigts sur ma peau. J’imaginais la splendeur de son corps dénudé et la puissance de ses bras. Et tandis que ma main descendait sous la ceinture de mon pyjama, mes rêves se faisaient plus audacieux, plus indécents, plus crus. Au fur et à mesure que ma fantaisie le mettait en scène, mes membres se durcissaient voluptueusement comme si cette licencieuse fiction était devenue leur réalité. Dans une kyrielle d’émotions charnelles, je ne différenciais bientôt plus le plaisir physique du phantasmé. Ma délivrance, quelques instants plus tard, me laissa dans un état si serein que le sommeil me rattrapa d’un seul coup

Chapitre 2

 

 

Une grisaille morne teintait le ciel formant une voûte basse et sombre au-dessus de la ville. La foule matinale déambulait confusément de part et d’autre de la place du Commerce. L’air frais et humide qui enveloppait la cité semblait vouloir s’infiltrer jusque sous les manteaux. À l’arrêt de tram, des essaims de collégiens piaillaient leur humeur folâtre qui tranchait sur la morosité des autres usagers encore endormis. Lorsque les wagons bondés s’arrêtèrent enfin devant nous, je fus rapidement entouré d’une horde de petits barbares au cartable bien large et pointu dont les conversations ne tardèrent pas à m’agacer. En réalité, même si je ne voulais me l’avouer, leur simple présence me mettait mal à l’aise. Ils m’arrivaient tout juste au-dessus de la taille, mais je savais qu’il ne fallait pas les sous-estimer. Le collège ne remontait pas si loin. Me frayant tant bien que mal un passage, j’allai me réfugier au fond du wagon et m’installai contre la fenêtre.

 

Tandis que les parfums les plus divers se mélangeaient à l’odeur moins glamour du tramway, mon regard se mit à balayer les mines blasées et fatiguées des voyageurs. L’éclairage cru des plafonniers ne faisait que les enlaidir. La perspective de leur journée semblait aussi palpitante que la mienne. À force de sécher si régulièrement les cours magistraux de linguistique générale, il me devenait de plus en plus difficile d’emprunter les notes de mes camarades de fac. Les premières années, la plupart des étudiants avaient tellement de mal à maîtriser les nouvelles matières qu’ils découvraient qu’ils devaient faire preuve d’une discipline assez scolaire. Je n’étais pas plus intelligent que les autres, mais après avoir subi pendant des années, au lycée, un emploi du temps rigoureux, je n’avais certainement pas envie de renoncer au privilège de l’oisiveté qu’octroyait l’université. En ce sens, mes absences répétées et mon manque de motivation n’avaient pas vraiment participé à faire monter ma cote de popularité auprès des étudiants de ma promo. Mon attitude récoltait plutôt le mépris et ils se montraient réticents à me laisser photocopier leurs cours. Mon inconséquence s’expliquait certainement aussi par le manque d’intérêt de certains cours. Dans le fond, nous nous étions inscrits dans une filière sans réellement savoir ce qui nous attendait. Nous découvrions au fur et à mesure tout ce qui composait le domaine que nous étions censés avoir choisi avec passion. Les modules aux noms clinquants cachaient souvent des sujets particulièrement soporifiques ou inutiles. Ou bien, au contraire, ils impliquaient des connaissances que nous étions loin de posséder. Lorsque nous nous rendions compte de quoi il en retournait vraiment, il était trop tard pour faire machine arrière. Le taux d’échecs était très élevé, nous le savions, les professeurs aussi. Sans doute était-ce pour cela que ces derniers manifestaient peu d’intérêt pour les nouveaux. Probablement ne voulaient-ils pas s’investir outre mesure avant le grand nettoyage qui s’opérait à la fin du premier cycle d’études. Ou peut-être avaient-ils tout simplement l’impression de perdre leur temps en présence de leurs étudiants. La plupart d’entre eux préféraient de toute façon se consacrer à leurs travaux de recherche. Si j’avais parfois mauvaise conscience, c’était surtout parce que je savais également que les perspectives d’emploi étaient limitées et que seuls les meilleurs étudiants parviendraient ensuite à faire carrière. Même si je me laissais parfois aller, je n’avais pas l’intention de repasser mes partiels à la fin du semestre. Il était grand temps de prendre les choses en main, et la première était d’assister enfin au cours de linguistique générale. Et quitte à être là, autant enchaîner avec le cours de phonétique. Je passerais l’heure libre à la cafétéria. Avec un peu de chance, j’y rencontrerais peut-être mon mystérieux étudiant.

 

Parmi tous les usagers du tramway qui m’entouraient, un homme attira particulièrement mon attention. Il était dans mon dos et portait un imperméable. Sa large carrure et son maintien droit imposaient une certaine vigueur que la coupe courte de ses cheveux cendrés, le long de sa nuque, ne faisait que renforcer. J’aimais imaginer à quoi pouvaient ressembler les hommes que je ne voyais que de dos. Si leurs cuisses étaient larges et leurs cheveux courts, je leur dessinais toujours un visage magnifique. Parfois, je parvenais ensuite à les apercevoir de face ; et si mes suppositions se révélaient justes, l’homme sur qui j’avais jeté mon dévolu égayait mon imagination durant quelques minutes. Celui-ci portait sous son manteau un pantalon anthracite au tissu fin qui tombait parfaitement sur une paire de richelieux. Malgré l’imperméable, on pouvait deviner qu’il avait l’air assez athlétique. À la main, il tenait un attaché-case de couleur foncée. À en juger par son style, il devait avoir moins de trente ans. Il faisait assez viril ; je m’interrogeais en silence sur la vie qu’il pouvait bien mener quand il ne travaillait pas. Dehors, les mêmes maisons immuables défilaient. J’avais beau connaître le trajet par cœur, la ville me restait étrangère. Ou bien je demeurais étranger à la ville. Je n’y avais pas passé mon enfance et je savais que je n’y vivrais pas éternellement. Je ne voulais pas m’attacher à elle et elle me le rendait bien. À Saint-Félix, le wagon se vida de ses plus jeunes occupants et mon bel homme d’affaires dut se retourner pour laisser passer les écoliers. Je fus sur-le-champ frappé par sa remarquable beauté ; curieusement, celle-ci m’apparut bientôt familière. En l’espace de quelques millisecondes, mon cerveau se mit alors à passer en revue ce visage aux traits symétriques afin de le resituer. Je pressentis rapidement que je le connaissais dans un tout autre contexte. Et que je ne l’avais pas revu depuis longtemps. Il n’était pas assez jeune pour avoir été dans le même lycée. Pourtant, la période semblait coïncider. Encore un effort. Il n’avait certainement pas été l’un de mes profs, ni le frère d’un copain. Trouvé. Gymnase de Coubertin. Club de volley-ball. Équipe senior. Gregory.

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