Eastern Boys
127 pages
Français

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Description

Au moment où Daniel aborde Marek, jeune prostitué d’origine ukrainienne, à la gare du Nord, en lui proposant de le rejoindre chez lui le lendemain, il ne se doute pas du tournant que va prendre sa vie…

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Informations

Publié par
Nombre de lectures 40
EAN13 9791022001663
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0030€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

EASTERN BOYS

Scénario : Robin Campillo Réalisation : Robin Campillo

© Presses Électroniques de France, 2014
I - CARREFOUR DE L’EUROPE
1. GARE DU NORD.
On pourrait croire un vol d’oiseaux migrateurs piégés sous la voûte translucide de la gare. Ce sont des garçons venus de l’Est : des Polonais, des Russes, des Roumains... Les plus âgés ont peut-être 25 ans. Les plus jeunes, on ne sait pas. Autour d’eux, il y a cette immense structure métallique ouverte, perpétuellement saturée de bruits de chantiers, cernée par une circulation automobile intense, parcourue de courants d’air, de voyageurs, d’accélérations soudaines, puis de moments de creux inattendus.
Là, c’est le petit matin, les pigeons dorment au creux des poutrelles qui structurent la verrière de la gare.
Il y a, sur le parvis, ce garçon d’une vingtaine d’années que l’on peut voir de dos et qui étire ses bras, tout en renversant sa tête en arrière. Il baille. La journée commence pour lui.
Comme un jeu de cartes qu’on se met à battre, les lettres sur le panneau d’affichage dévoilent les arrivées prochaines. Battements d’ailes des pigeons effrayés qui vont se réfugier plus haut. En bas, derrière une paroi de protection translucide, des hommes en uniforme viennent se poster sur le quai, les mains jointes, dans l’attente du train.
Sur le parvis, deux autres garçons ont rejoint le premier. Ensemble, ils commencent de vagues exercices d’assouplissement qui, par moments, s’accélèrent et ressemblent davantage à des enchaînements martiaux. Il y a ce crissement suraigu qui monte.
C’est l’Eurostar qui entre en gare, poussivement. Il se stabilise enfin dans une dernière stridence des freins. Les voyageurs descendent du train et remontent le quai vers la sortie sous le regard ombrageux des douaniers.
La vague de voyageurs envahit le parvis de la gare, noyant ainsi les trois garçons. On se rue vers les quelques taxis garés là. On se bouscule, les bagages tirés derrière soi. Et c’est là que le chaos commence, lorsque l’on découvre cette circulation perpétuelle autour de la gare, avec sa rumeur entêtante d’où se détachent quelques klaxons. Surgit alors une voix qui peine à s’imposer au-dessus de ce tumulte. La voix d’un homme qui se parlerait à lui-même.
MULLER
(Off)
... C’est bien comme ça. Je ne fais que passer et c’est bien comme ça. C’est juste un crochet que je fais tous les jours. Rien de grave. J’entre dans la gare, j’achète le journal et je repars. C’est bien comme ça. Je ne marche ni trop vite, ni trop lentement. Pas la peine d’attirer l’attention...
Les garçons se sont réfugiés contre le mur de la gare. Assis là en attendant que ça passe, ils accueillent avec des cris de joie d’autres copains qui, se faufilant à travers les voitures, leur apportent des cafés. Et là, ça discute, ça rigole. L’un d’eux accroche au passage le regard d’un voyageur, plus insistant. Mais l’homme détourne aussitôt les yeux comme s’il craignait de succomber à l’invitation silencieuse du garçon.
Un peu plus loin, une pelleteuse a éventré le sol, révélant une grosse canalisation rouge autour de laquelle des ouvriers s’activent, les pieds dans la terre. Les bruits des travaux couvrent par moments les rires et les cris des garçons qui redoublent de volume. Ils sont maintenant une bonne dizaine, presque trop nombreux sur le petit territoire. Alors, tout naturellement, le groupe se scinde. Certains vont traîner dans la gare, les plus jeunes d’entre eux, pour ainsi dire des enfants, vont faire la tournée des distributeurs de boissons dans l’espoir de récupérer de la monnaie.
Ce sont dorénavant des petites grappes d’individus qui se partagent le lieu et se mêlent à la foule de la gare. Il y a cet homme assez âgé, dissimulé derrière un kiosque, qui fait mine d’attendre un train. Un garçon avec une casquette bleue se détache instinctivement de son groupe et va se poster près de lui sans même un regard.
Au beau milieu de sa tournée des machines, un des gamins est interrompu par un agent de sécurité, brassard rouge sur costume bleu foncé, qui l’a repéré et, sans toutefois intervenir, le neutralise d’un seul regard. L’enfant slalome entre les voyageurs, se dirige sans trop se presser vers la sortie. Sur le parvis, il va se réfugier dans les pattes d’un garçon un peu plus âgé que les autres. Ce dernier doit approcher de la trentaine, il est grand, musculeux et arbore un t-shirt bleu YSL. L’agent de sécurité s’est arrêté net devant le portique de la gare comme si le parvis ne faisait pas partie de sa juridiction ou comme s’il craignait d’affronter toute la bande. Il reste ainsi les bras croisés, sans intervenir, avec juste le pouvoir de son regard pour tenir le petit groupe à distance.
MULLER
(Off)
... Plus tard peut-être je viendrai acheter le journal du soir. Enfin c’est presque sûr. Je prendrai peut-être un café aussi. Sans doute. Je me mettrai dans un coin, et je lirai le journal. Tranquillement. Personne ne fera attention à moi. De temps en temps je pourrai relever les yeux et regarder autour de moi. C’est normal, dans une gare on attend. On patiente. Alors voilà, je lis mon journal, mes yeux se lèvent et je les vois. Je les vois rire, se bagarrer, traîner. Alors, je le sais, mon cœur va se mettre à battre très fort. J’aurai un peu peur. Peur de quoi ? Je ne sais pas, moi. Alors je baisse les yeux, histoire de reprendre mon souffle...
À l’intérieur de la gare, le garçon à la casquette bleue s’est imperceptiblement rapproché de son client. Il tourne un peu son visage vers lui sans toutefois le regarder dans les yeux et lui chuchote quelques mots. Le vieil homme se contente de faire des signes de la tête. Au bout d’un moment, le garçon s’éloigne. Le client jette un œil autour de lui et finit par le suivre.
La gare, avec ses hautes murailles et ses statues de femmes, ses allégories des villes desservies, ressemble à un château fort. Tout en bas, le garçon au t-shirt YSL règne sur sa cour. Les autres gravitent autour de lui. Flanqué de deux sbires aux allures de bodyguards , il prend soin d’adresser un mot à chacun d’entre eux. On le sent chaleureux mais parfois, un geste brusque trahit sa violence potentielle. Autour de lui, ses deux sbires tempèrent ses sautes d’humeur. De ce que l’on entend, on peut penser qu’ils s’expriment en russe.
Plus tard, des hommes âgés se sont mêlés à eux. Ce sont des clients réguliers qui discutent et plaisantent avec eux. Le jeune homme en YSL leur présente de nouveaux garçons. L’ambiance est détendue, conviviale. On se croirait sur la place d’un village. C’est à peine s’ils remarquent les voyageurs qui traversent de temps à autre le parvis. Cependant, au passage d’une patrouille de Vigipirate, chacun retourne dans son coin, feignant de s’ignorer. Puis, sitôt les hommes en uniformes disparus, les petits groupes se reforment et les conversations animées reprennent. Un client s’intéresse plus particulièrement à deux jeunes hommes un peu plus efféminés que les autres, entièrement vêtus de trucs signés Prada. Il ébauche un geste de tendresse puis se contente de poser sa main sur l’épaule d’un des garçons. Ils s’éloignent finalement tous les trois.
MULLER
(Off)
... Et juste avant que je relève les yeux, je sais que mon cœur va se remettre à battre très fort. Ça ne se verra pas dans mes yeux. Il suffit de garder mon calme, de respirer profondément, mais sans paniquer. En ouvrant à peine la bouche. C’est comme un exercice. Je les regarde et je contrôle mon souffle. Je ne sais même pas d’où ils viennent, quelle langue ils parlent mais je ne peux pas m’empêcher de les regarder.
Plus tard encore, un des sbires rapporte au chef de bande un large sac en plastique, d’où il tire discrètement une boîte à chaussures. Après avoir jeté un œil autour de lui, le chef va s’asseoir comme un prince sur une petite rambarde qui longe le mur de la gare et laisse le soin à son sbire de lui passer les chaussures aux pieds. Pendant ce temps, un des enfants de la bande s’est glissé derrière la rambarde et, posant ses coudes sur les épaules du chef, il regarde avec admiration les Nike flambant neuves. Satisfait, presque fier, le chef se relève pour faire quelques pas, entraînant avec lui le gamin toujours accroché à ses épaules, tandis que le sbire range les anciennes chaussures dans la boîte en carton. Le chef, emporté par son enthousiasme, fait faire au gamin une pirouette dans les airs en éclatant de rire.

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