Le Verso de la page
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Description

Victor Hugo — Le Verso de la pageÉcrit en 1857-1858(reconstitué par Pierre Albouy et publié en 1960) Non, ce n’est pas la fin. Non, non, tout n’est pas dit.Morne anxiété qui germe et qui grandit !Tourment de la pensée après l’œuvre achevée !Stupeur de l’aigle esprit en voyant sa couvée !Scrupules du songeur sur ce qu’il a songé.Se venger, c’est la loi du passé submergé.C’est la vieille coutume et c’est la vieille table ;Tout n’est pas dit après le verdict lamentablePrononcé-paries cris, les pleurs, les désespoirs.Vous êtes des bourreaux vous-mêmes, masques noirs !Et le bourreau n’a pas le dernier la parole.L’avenir triomphant veut une autre auréoleQue l’âpre flamboiement des expiations.Dieu, vous m’envoyez les pâles visions ;Dieu, comment choisir dans toutes ces nuées ?La vierge est implacable ; et les prostituéesSont féroces ; le mal, le bien sont toujours prêts,Hélas, à se servir des mêmes couperets !Les révolutions, ces grandes affranchies !Sont farouches ; étant filles des monarchies.Donc, quand le genre humain voulut, enfin lassé,Entrer dans l’avenir et sortir. du passé,Il n’aperçut pas d’autre ouverture que celleQui s’offrait, sous ce fer où l’éclair étincelle,Entre ces deux poteaux, chambranles effrayants !Oui, c’est la seule issue, hommes, ô tristes pas fuyants ;Sortez par ce sépulcre. O mystère insondable !Hélas ! c’est du passé la porte formidable !Entrez dans l’avenir par ce pas sépulcral.C’est à travers le mal qu’il faut ...

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Extrait

Victor Hugo — Le Verso de la pageÉcrit en 1857-1858(reconstitué par Pierre Albouy et publié en 1960) Non, ce n’est pas la fin. Non, non, tout n’est pas dit.Morne anxiété qui germe et qui grandit !Tourment de la pensée après l’œuvre achevée !Stupeur de l’aigle esprit en voyant sa couvée !Scrupules du songeur sur ce qu’il a songé.Se venger, c’est la loi du passé submergé.C’est la vieille coutume et c’est la vieille table ;Tout n’est pas dit après le verdict lamentablePrononcé-paries cris, les pleurs, les désespoirs.Vous êtes des bourreaux vous-mêmes, masques noirs !Et le bourreau n’a pas le dernier la parole.L’avenir triomphant veut une autre auréoleQue l’âpre flamboiement des expiations.Dieu, vous m’envoyez les pâles visions ;Dieu, comment choisir dans toutes ces nuées ?La vierge est implacable ; et les prostituéesSont féroces ; le mal, le bien sont toujours prêts,Hélas, à se servir des mêmes couperets !Les révolutions, ces grandes affranchies !Sont farouches ; étant filles des monarchies.Donc, quand le genre humain voulut, enfin lassé,Entrer dans l’avenir et sortir. du passé,Il n’aperçut pas d’autre ouverture que celleQui s’offrait, sous ce fer où l’éclair étincelle,Entre ces deux poteaux, chambranles effrayants !Oui, c’est la seule issue, hommes, ô tristes pas fuyants ;Sortez par ce sépulcre. O mystère insondable !Hélas ! c’est du passé la porte formidable !Entrez dans l’avenir par ce pas sépulcral.C’est à travers le mal qu’il faut sortir du mal.Le genre humain, pour fuir de la sanglante ornière,Marche sur une tête humaine, la dernière ;C’est avec de l’enfer qu’il commence les cieux ;Car l’homme en écrasant le monstre est monstrueux.Eruption des droits de l’homme ! Sombres laves !Sortie épouvantable et fauve des esclaves !O toi que rien ne trouble et ne fait dévier !Lugubre enfantement du Vingt-et-un janvier !Tout un monde surgit, tout un monde s’écroule !Fiacre horrible qui passe au milieu de la foule !Sacerdoce et pouvoir sont là ; que disent-ils ?Morne chuchotement de ces deux noirs profils !Pendant qu’autour d’eux gronde, éclate et se proclameLa révolte du peuple et l’émeute de l’âme,Pendant que, sur la terre et dans le firmament,On entend le funèbre et double craquementDe l’ancien paradis et de l’ancien royaume,Le roi spectre tout bas parle au prêtre fantôme.Qu’est-ce qu’il avait fait, ce roi, ce condamné,Ce patient pensif et pâle ? il était né.Est-ce une injuste mort ? qui donc l’oserait dire ?C’est la punition ; c’est aussi le martyre.Responsabilité sombre de l’innocent !O révolutions ! l’idéal est en sang ;Le grandiose est fauve et l’horrible est sublime ;Et comment expliquer ces aspects de l’abîme ?
Oh ! quels chocs de faisceaux, de tribuns, de pavois !Je vois luire les fronts, j’entends parler les voix ;La lumière est accrue et l’ombre est agrandie ;Toute cette héroïque et fière tragédiePasse devant mes yeux comme par tourbillons.La Marseillaise dit : Formez vos bataillons !Là-bas, dans un rayon de gouffre et de colère,Le vieux bonnet damné du forçat séculaireLuit au bout d’une pique, étrange labarum.Ce n’est pas un sénat, ce n’est pas un forum,C’est un tas de titans qui vient tout reconstruire.Tous ces colosses noirs se mettent à bruire.Nuit, tempête ; océan épouvantable et beau !Chaque vague qui fuit s’appelle Mirabeau,Robespierre, Brissot, Guadet, Buzot, Barnave,Pétion... ― Hébert salit l’écume de sa bave.― Et, submergé, saignant, arraché, mort, épars,Le vieux dogme, partout, noyé de toutes parts,Tombe, et tout le passé s’en va dans la même onde.Danton parle ; il est plein de la rumeur d’un monde ;C’est une idée et c’est un homme ; il resplendit ;Il ébranle les cœurs et les murs ; ce qu’il ditEst semblable au passage orageux d’un quadrige ;Un torrent de parole énorme qu’il dirige,Un verbe surhumain, superbe, engloutissant,S’écroule de sa bouche en tempête, et descendEt coule et se répand sur la foule profonde.Il bâtit ? non, il brise ; il détruit ? non, il fonde.Pendant qu’il jette au vent de l’avenir ses crisMêlés à la clameur des vieux trônes proscrits,Le peuple voit passer une roue inouïeDe tonnerre et d’éclairs dont l’ombre est éblouie ;Il parle ; il est l’élu, l’archange, l’envoyé !Et l’interrompra-t-on ? qui l’ose est foudroyé !Qui pourrait lui barrer la route ? qui ? personne.Tout ploie en l’écoutant, tout vibre, tout frissonne,Tant ces discours tombés d’en haut sont accablants,Tant l’âme est forte, et tant, pour les hommes tremblants,Ces roulements du char de l’esprit sont terribles !Auprès des flamboyants se dressent les horribles ;Justiciers, punisseurs, vengeurs, démons du bien.― Grâce ! encore un moment ! grâce ! Ils répondent : Rien !Entendez-vous Marat qui hurle dans sa cave !Sa morsure au tyran s’en va baiser l’esclave.Il souffle la fureur, les griefs acharnés ;La vengeance, la mort, la vie, aux déchaînés ;A plat ventre, grinçant des dents, livide, oblique,If travaille à l’immense évasion publique ;Il perce l’épais mur du bagne, et, dans son trou,Du grand cachot de l’ombre il tire le verrou ;Il saisit l’ancien monde, il en montre la plaie ;Il le traîne de rue en rue, il est la claie ;Il est en même temps la huée ; il écrit,Le vent d’orage emporte et sème son esprit,Une feuille de fange et d’aurore inondée,Espèce de guenille horrible de l’idée ;Il dénonce, il délivre ; il console, il maudit ;De la liberté sainte il est l’âpre bandit ;Il agite l’antique et monstrueuse chaîne,Hideux, faisant sonner le fer contre s’a haine ;On voit autour de lui des ossements humains.Charlotte, ayant le cœur des stoïques romains,Seule osera tenter cet antre inabordable.Il est le misérable, il est le formidable ;Il est l’auguste infâme ; il est le nain géant ;Il égorge, massacre ; extermine, en créant ;Un pauvre en deuil l’émeut, un roi saignant le charme ;
Sa fureur aime ; il verse, une effroyable larme ;Fauve, il pleure avec rage au secours des souffrants !Il crie au mourant : Tue ! Il crie au volé : Prends !Il crie à l’Opprimé : Foule aux pieds ! broie ! accable !Doux pour une détresse et pour l’autre implacable,Il fait à cette foule ; à cette nation,A ce peuple, un salut d’extermination.Dur, mais grand ; front livide entre les fronts célèbres !Ténébreux, il attaque et détruit lés ténèbres.Cette chauve-souris fait la guerre au corbeau.Prêtre imposteur du vrai, difforme amant du beau,Il combat l’ombre avec toutes, les armes noires,Pierres, boue et crachats, affronts, cris dérisoires,Hymnes à l’échafaud, poignard, rire infernal,Il puise à pleines mains dans l’affreux arsenal ;Cet homme peut toucher à tout, hors à la foudre.La meule doit broyer si le moulin veut moudre ;Sur les versants divers des abîmes penchants ;Ceux qui paraissent bons, ceux qui semblent méchants,Ébauchent en commun la même délivrance ;Ils font le jour, ils font le peuple, ils font la France.Qu’appelez-vous Bourbon, majesté, roi, dauphin ?Toute chose dont sort l’indigence, la faim,L’ignorance, le mal, la guerre, l’homme brute,C’est fini, cela doit s’en aller dans la chute.C’est une tête ? Eh bien, le panier la reçoit.Ils marchent, détruisant l’obstacle, quel qu’il soit ;Et c’est leur dogme à tous : ― tuer quiconque tue.Ruine où l’ordre éclôt, vit et se constitue !C’est par excès d’amour qu’ils abhorrent ; bontéDevient haine ; ils n’ont plus de cœur que d’un côtéA force de songer au sort des misérables,Et par miséricorde ils sont inexorables.Pour eux, Louis dix sept, c’est déjà tout un roi ;Qu’importe sa pâleur, sa fièvre, son effroi ?Ils écoutent le triste avenir qui sanglote.L’enfant a dans leurs mains la lourdeur d’un despote ;Ils l’écrasent ― meurs donc ! ― sous le trône natal.Ainsi tous les débris du vieux monde fatal,Évêques mis aux fers, rois traînés à la barre,Disparaissent, broyés sous leur pitié barbare.Tigres compatissants ! formidables agneaux !Le sang que Danton verse éclabousse Vergniaux ;Sous la Montagne ainsi qu’aux pieds de la GirondeLa même terre tremble et le même flot gronde.Oui, le droit se dressa sur les codes bâtards,Oui, l’on sentit, ainsi qu’à tous les avatars,Le tressaillement sourd du flanc des destinéesQuand, montant lentement son escalier d’années,Le dix-huitième siècle atteignit quatrevingt.Encor treize, le nombre étrange, et le jour vint !Alors, comme il arrive à chaque phénomène,A chaque changement d’âme de l’âme humaine,Comme lorsque Jésus mourut au Golgotha,L’éternel sablier des siècles s’arrêta,Laissant l’heure incomplète et discontinuée ;L’œil profond des penseurs plongea dans la nuée,Et l’on vit une main qui retournait le temps.On comprit qu’on touchait aux solennels instants,Que tout recommençait, qu’on entrait dans la phase,Que le sommet allait descendre sous la base,Que le nadir allait devenir le zénith,Que le peuple montait sur le roi qui finit.Un blême crépuscule apparut sur Sodome,Promesse menaçante ; et le peuple, pauvre homme,Mendiant dont le vent tordait le vil manteau,Forçat dans sa galère ou juif dans son ghetto,Se leva, suspendit sa plainte monotone,
Et rit, et s’écria : ― Voici la grande automne !La saison vient. C’est mûr. Un signe est dans les cieux.La Révolution, pressoir prodigieux,Commença le travail de la sainte récolte,Et, des cœurs comprimés exprimant la révolte,Broyant les rois caducs debout depuis Clovis,Fit son œuvre suprême et triste, et, sous sa vis,Toute l’Europe fut comme une vigne sombre.Alors, dans le champ vague et livide de l’ombre ;Se répandit, fumant, on ne sait quel flot noir,O terreur ! et l’on vit ; sous l’effrayant pressoir,Naître de la lumière à travers d’affreux voiles,Et jaillir et couler du sang et des étoiles ;On vit le vieux sapin des trônes ruisseler,Tandis qu’on entendait l’ancien monde râler,Et, le front radieux, la main rouge et fangeuse,Chanter la Liberté, la grande vendangeuse.Jours du peuple cyclope et de l’esprit titan !Vie et trépas tournant le même cabestan !Temps splendide et fatal qui mêle en sa fournaiseAu cri d’un Josaphat l’hymne d’une Genèse !Quiconque t’osera regarder fixement,Convention, cratère, Etna, gouffre fumant,Quiconque plongera la fourche dans ta braise,Quiconque sondera ce puits, : Quatrevingt-treize,Sentira se cabrer et s’enfuir son esprit.Quand Moïse vit Dieu, le vertige le prit ;Et moi, devant l’histoire aux horizons sans nombre,Je tremble, et j’ai le même éblouissement sombre.Car c’est voir Dieu que voir les grandes lois du sort.Non ! le glaive, la mort répondant à la mort,Non, ce n’est pas la fin. Jette plus bas la sonde,Mon esprit. Ce serait l’étonnement du mondeEt la déception des hommes qu’un progrèsNe vînt pas sans laisser aux justes des ’regrets,Que l’ombre attristât l’aube à se lever si lente,Et que, pour ré toucher avec sa main sanglanteLe temps de lui céder la place et le chemin,Toujours l’affreux hier ensanglantât demain !Non, ce n’est pas la fin. Non, il n’est pas possible,Dieu, que toute ta loi soit de changer de cible,Et de faire passer le meurtre et le forfaitDes mains des rois aux mains du peuple stupéfait.Le peuple ne veut pas de ce morne héritage.Que serait donc l’effort de l’homme si le sageN’avait à constater qu’un résultat si vain,Le choc du droit humain contre le droit divin !Et s’il n’apercevait que cette lueur troubleQuand il écoute au fond de l’ombre la voix double,Le passé, l’avenir, la matière, l’esprit,La voix du peuple Enfer, la voix du peuple Christ !C’est vrai, l’histoire est sombre. Ô rois ! hommes tragiques !Démences du pouvoir sans limites ! logiquesDe l’épée et du sceptre, exterminant, broyant,Allant à travers tout à leur but effrayant !Oh ! la toute-puissance a Caïn pour ancêtre.Rien qu’à voir par éclairs les siècles apparaître,Quels rêves inouïs ! que d’étranges lueurs :Voici les idiots à côté des tueurs.Zam, s’éveillant trop tard, met l’aurore à l’amende ;Claude égorge sa femme et puis la redemande ;Bajazet veut lier les vents à des poteaux ;Xercès fouette la mer, Phur crache sur l’Athos.O deuil ! le pharaon suivi du Barmécide ;Ici le parricide et là l’infanticide ;
Pères dénaturés, fils en rébellion.Octave usurpe, opprime, égorge, et dans LyonSoixante nations lui bâtissent un temple ;La Flandre est un bûcher que Philippe contemple ;Léon dix en riant étrangle un cardinal ;Maxence après Galère apparaît infernal ;Voilà Sanche, abruti d’ivresses funéraires ;Celui-ci, Mahomet, tua ses dix-neuf frères ;Après avoir frappé son père ; ManfrediS’assied dessus jusqu’à ce qu’il soit refroidi ;Les Transtamares font revivre les Orestes ;Achab fait ramasser sous sa table ses restesPar des hommes sans mains, sans pieds, sans dents, sans yeux ;Caïus triomphe avec du sang jusqu’aux essieux ;Richard d’York étouffe Édouard cinq ; RamireLe Mauvais est mauvais, mais Jean le Bon est pire ;Sélim, tout effaré de débauche et d’encens ;Court dans Stamboul, perçant de flèches les passants ;Andronic détruit Brousse et dépeuple Nicée ;Christiern fait tous les jours arroser d’eau glacéeDes captifs enchaînés nus dans les souterrains ;Galéas Visconti, les bras liés aux reins,Râle, étreint par les nœuds de la corde que SforcePassé dans les œillets de sa veste de force ;Cosme, à l’heure où midi change en brasier le ciel,Fait lécher par un bouc son père enduit de miel ;Soliman met Tauris en feu pour se distraire ;Alonze, furieux qu’on allaite son frère,Coupe le bout des seins d’Urraque avec ses dents ;Vlad regarde mourir ses neveux prétendantsEt rit de voir le pal leur sortir par la bouche ;Borgia communie ; Abbas, maçon farouche,Fait avec de la pierre et des hommes vivantsD’épouvantables tours qui hurlent dans les vents ;Là, le sceptre vandale, ici la loi burgonde ;Cléopâtre renaît pire dans Frédégonde ;Ivan est sur Moscou, Carlos est sur Madrid :Sous cet autre, Louis dit le Grand, on ouvritLes mères pour tuer leurs enfants dans leurs ventres.Mais où sont donc les loups ! Oh ! les antres ! les antres !La jungle-où les, boas’ glissent, fangeux et froids !Est-ce du sang qui coule aux veines de ces rois ?Ont-ils des cœurs aussi ? Sont-ils ce que nous sommes ?Cieux profonds ! oh ! plutôt que l’aspect de ces hommes,La rencontre du tigre, et, plutôt,que leur voix,Le sourd rugissement du lion dans les bois !Eh bien, vengeance donc ! mort ! malheur ! représailles !La torche aux Rhamséions, aux Schœnbruns ; aux Versailles !Qu’Ossa soit à son tour broyé par Pélion !Au bourreau les bourreaux ! Justice ! talion !Talion ! talion !                         ― Silence aux cris sauvages !Non ! assez de malheur, de meurtre et de ravages !Assez d’égorgements ! assez de deuil ! assezDe fantômes sans tête et d’affreux trépassés !Assez de visions funèbres dans la brume !Assez de doigts hideux, montrant le sang qui fume,Noirs, et comptant les trous des linceuls dans la. nuit !Pas de suppliciés dont le cri nous poursuit !Pas de spectres jetant leur ombre sur nos têtes !Nous sommes ruisselants de toutes les tempêtes ;Il n’est plus qu’un devoir et qu’une vérité,C’est, après tant d’angoisse et de calamité,Homme, d’ouvrir son cœur, oiseau, d’ouvrir son aileVers ce ciel que remplit la grande âme éternelle !Le peuple, que les rois broyaient sous leurs talons,Est la pierre promise au temple, et nous voulonsQue la pierre, bâtisse,et non qu’elle lapide !Pas de sang ! pas de mort ! C’est un reflux stupideQue la férocité sur la férocité.
Un pilier d’échafaud soutient mal la cité.Tu veux faire mourir ! Moi je veux faire naître !Je mure le sépulcre et j’ouvre la fenêtre.Dieu n’a pas fait le sang, à l’amour réservé,Pour qu’on le donne à boire aux fentes du pavé.S’agit-il de tuer ? O peuple il s’agit d’être.Quoi ! tu veux te venger, passant ? de qui ? du maître ?Si tu ne vaux pas mieux, que viens-tu faire ici ?Tout mystère où l’on jette un meurtre est obscurci ;L’énigme, ensanglantée est plus âpre à résoudre ;L’ombre, s’ouvre terrible après le coup de foudre ;Tuer n’est pas créer, et l’on se tromperaitSi l’on croyait que tout finit au couperet ;C’est là qu’inattendue, impénétrable, immense,Pleine d’éclairs subits, la question commence ;C’est du bien et du mal ; mais le mal est plus grand.Satan rit à travers l’échafaud transparent.Le bourreau, quel qu’il soit, a le pied dans l’abîme ;Quoi qu’elle fasse, hélas ! la hache fait un crime ;Une lugubre nuit fume sur ce tranchant ;Quand il vient de tuer, comme, en s’en approchant,On frémit de le voir tout ruisselant, et commeOn sent qu’il a frappé dans l’ombre plus qu’un homme,Sitôt qu’a disparu le coupable immolé,Hors du panier tragique où la tête a roulé,Le principe innocent, divin, inviolable,Avec son regard d’astre à l’aurore semblable,Se dresse, spectre auguste, un cercle rouge au cou.L’homme est impitoyable, hélas, sans savoir où.Comment ne voit-il pas qu’il vit dans un problème,Que’ l’homme est solidaire’ avec ses monstres même,Et qu’il ne peut tuer autre chose qu’Abel !Lorsqu’une tête tombe, on sent trembler le ciel.Décapitez Néron, cette hyène insensée,La vie universelle est dans Néron blessée ;Faites monter Tibère à l’échafaud demain,Tibère saignera le sang du genre humain.Nous sommes tous mêlés à ce que fait la Grève ;Quand un homme, en public, nous voyant comme un rêve,Meurt, implorant en vain nos lâches abandons,Ce meurtre est notre meurtre et nous en répondons ;C’est avec un morceau de notre insouciance,C’est avec un haillon de notre conscience,Avec notre âme à tous, que l’exécuteur lasEssuie en s’en allant son hideux coutelas.L’homme peut oublier ; les choses importunesS’effacent dans l’éclat ondoyant des fortunes ;Le passé, l’avenir, se voilent par moments ;Les festins, les flambeaux, les feux, les diamants,L’illumination triomphale des fêtes,Peuvent éclipser l’ombre énorme des prophètesAutour des grands bassins, au bord des claires eaux ;Les enfants radieux peuvent aux cris d’oiseauxMêler le bruit confus de leurs lèvres fleuries,Et, dans le Luxembourg’ ou dans les Tuileries,Devant les vieux héros de marbre aux poings crispés,Danser, rire et chanter : les lauriers sont coupés !La Courtille au front bas peut noyer dans les verresLe souvenir des jours illustres et sévères ;La valse peut ravir, éblouir, enivrerDes femmes de satin, heureuses de livrerLe plus de nudité possible aux yeux de flamme ;L’hymen peut murmurer son chaste épithalame ;Le bal masqué, lascif, paré, bruyant, charmant,Peut allumer sa torche et bondir follement,Goule au linceul joyeux, larve en fleurs, spectre rose ;Mais, quel que soit le temps, quelle que soit la cause,C’est toujours une nuit funeste au peuple entier
Que celle où, conduisant un prêtre, un guichetierFouille au trousseau de clefs qui pend à sa ceinturePour aller, sur le lit de fièvre et de torture,Réveiller avant l’heure un pauvre homme endormi,Tandis que, sur la Grève, entrevus à demi,Sous les coups de marteau qui font fuir la chouette,D’effrayants madriers dressent leur silhouette,Rougis par la lanterne horrible du bourreau !Le vieux glaive du juge a la nuit pour fourreau.Le tribunal ne peut de ce fourreau livideTirer que la douleur, l’anxiété, le vide,Le néant, le remords, l’ignorance et l’effroi,Qu’il frappe au nom du peuple ou venge au nom du roi.Justice ! dites-vous. ― Qu’appelez-vous justice ?Qu’on s’entr’aide, qu’on soit des frères, qu’on vêtisseCeux qui sont nus, qu’on donne à tous le pain sacré,Qu’on brise l’affreux bagne où le pauvre est muré,Mais qu’on ne touche point à la balance sombre !Le sépulcre où, pensif, l’homme naufrage et sombre,Au delà d’aujourd’hui, de demain, des saisons,Des jours, du flamboiement de nos vains horizons,Et des chimères, proie et fruit de notre étude,A son ciel plein d’aurore et fait de certitude ;La justice en est l’astre immuable et lointain.Notre justice à nous, comme notre destin,Est tâtonnement, trouble, erreur, nuage, doute ;Martyr, je m’applaudis ; juge, je me redoute ;L’infaillible, est-ce moi, dis ? est-ce toi ? réponds.Vous criez : ― Nos douleurs sont notre droit. Frappons.Nous sommes trop souffrants, trop saignants, trop funèbres,Pour ne ’pas condamner quelqu’un dans nos ténèbres. ―Puisque vous ne voyez rien de clair dans le sort,Ne vous hâtez pas trop d’en conclure la mort,Fût-ce la mort d’un roi, d’un maître et d’un despote :Dans la brume insondable où tout saigne et sanglote,Ne vous hâtez pas trop de prendre vos malheurs,Vos jours sans, feu, vos jours sans pain, vos cris, vos pleurs,Et ce deuil qui sur vous et votre race tombePour les faire servir à construire une tombe.Quel pas aurez-vous fait pour avoir ajoutéA votre obscur destin, ombre et fatalité,Cette autre obscurité que vous nommez justice ?Faire de l’échafaud, menaçante bâtisse,Un autel à bénir le progrès nouveau-né,O vivants, c’est démence ; et qu’aurez-vous gagné.Quand, d’un culte de mort lamentables ministres,Vous aurez marié ces infirmes sinistres,La justice boiteuse et l’aveugle anankè ?Le glaive toujours cherche un but toujours manqué ;La palme, cette flamme aux fleurs étincelantes.Faite d’azur, frémit devant des. mains sanglantes,Et recule et s’enfuit, sensitive des cieux !La colère assouvie a le front soucieux.Quant à moi, tu le sais, nuit calme où je respire,J’aurais là, sous mes pieds, mon ennemi, le pire,Caïn juge, Judas pontife, Satan roi,Que j’ouvrirais, ma porte et dirais : Sauve-toi !En avant ! du progrès reculons les frontières.Non, l’élargissement des mornes cimetières,O jeunes nations, n’est pas ce qu’il nous faut.En avant !                Qu’est-ce donc qu’il nous veut, l’échafaud,Cette charpente spectre accoutumée aux foules,Cet îlot noir qu’assiège et que bat de ses houles,La multitude, aux flots inquiets et mouvants,Ce-sépulcre qui vient attaquer, les vivants,
Et qui, sur les palais ainsi que sur les bouges,Surgit, levant un glaive au bout de ses bras rouges ?Mystère qui, se livre aux carrefours, morceauDe la tombe qui vient tremper dans le ruisseau,Bravant le jour, le bruit, les cris, bière effrontéeQui, féroce, cynique et lâche, semble athée. !O spectacle exécré dans les plus repoussants,Une mort qui se fait coudoyer aux passants,Qui permet qu’un crieur hors de l’ombre la tire !Une mort qui n’a pas l’épouvante du rire,Dévoilant l’escalier qui dans la nuit descend,Disant : voyez ! marchant dans la rue, et laissantLa boue éclabousser son linceul semé d’astres ;Qui, sur un tréteau, montre entre deux vils pilastresSon horreur, son front noir, son œil de basilic ;Qui consent à venir travailler en public,Et qui, prostituée, accepte sur les places,La familiarité des fauves populaces !Quant à flatter la foule et les passants, non pas.Ah ! le peuple est en haut, mais la foule est en bas.La foule, c’est l’ébauche à côté du décombre ;C’est le chiffre, ce grain de poussière du nombre ;C’est le vague profil des ombres dans la nuit ;La foule passe, crie, appelle, pleure, fuitVersons sur ses douleurs la pitié fraternelle.Mais quand elle se lève, ayant la force en elle,On doit à la grandeur de la foule, au péril,Au saint triomphe, au droit, un langage viril ;Puisqu’elle est la maîtresse, il sied qu’on lui rappelleLes lois d’en haut que l’âme au fond des cieux épelle,Les principes sacrés, absolus, rayonnants ;On ne baise ses pieds que nus, froids et saignants.Ce n’est point pour ramper qu’on rêve aux solitudes.Le songeur et la foule ont des rencontres rudesC’était avec un front où la colère boutQu’Ezéchiel criait aux ossements : Debout !Moïse était sévère en rapportant les tables ;Dante grondait L’esprit des penseurs redoutables,Grave, orageux, pareil au mystérieux ventSoufflant du ciel profond dans le désert mouvantOù Thèbes s’engloutit comme un vaisseau qui sombre,Ce fauve esprit, chargé des balaiements de l’ombre,A, certes, autre chose à faire que d’allerCaresser, dans la nuit trop lente à s’étoiler,Ce grand monstre de pierre accroupi qui médite,Ayant en lui l’énigme adorable ou maudite ;L’ouragan n’est pas tendre aux colosses émus ;Ce n’est pas d’encensoirs que le sphinx est camus.La vérité, voilà le grand encens austèreQu’on doit à cette masse où palpite un mystère,Et qui porte en son sein qu’un ventre appesantitLe droit juste mêlé de l’injuste appétit.Voici le peuple avec son épouse, l’idée,Voici la populace avec son accordée,La guillotine ; eh ! bien je choisis l’idéalQui supprime Tyburn abolit White Hall ;Et quand la mort, ouvrant son désastreux registre,Me dit : ― Que jettes-tu dans ce panier sinistre ?Ou la tête du peuple, ou la tête du roi ? ―Je dis : ― Ni celle-ci, ni celle-là. ― Ma loi,C’est la vie ; et ma joie, ô Dieu, c’est l’aube pure.Je ne suis pas de ceux qui font la pourriture ;Je ne suis pas de ceux qui donnent à mangerAu sépulcre, où l’on voit ramper et s’allongerL’affreux sarcopte éclos du miasme délétère ;Je ne suis pas de ceux vers qui les vers de terre,Béants, tournent leur tête aveugle dans la nuit.Tout supplice est un fait contre la loi, traduit,
Pour l’éducation des foules indécises,Devant l’esprit humain, suprême cour d’assises.Saint prétoire, infaillible et grave tribunalOù Beccaria juge aidé de Juvénal.Le penseur n’absout point les grands forfaits lyriquesQue l’histoire engloutit sous ses panégyriques ;Il excuse parfois, il n’approuve jamais.Il veut de l’aube, et non du sang, sur les sommets.Peuple ou roi, quel que soit le tuteur, il le blâme.Pour lui l’assassinat, même illustre, est infâme ;Tout temple est sombre avec une morgue au milieu.Quand le sang coule, il dit : malheur ! admirant peuLe resplendissement magnifique du glaive ;Il n’a pas, quand le cri des victimes s’élève,Pour éblouissement la grandeur du bourreau ;Pour lui, Saint-Just poussant Danton au tombereau,Louis quatorze affreux, penché sur les Cévennes,Implacable, saignant la France aux quatre veines,Titus livrant Sion massacrée aux vautours,Quoi qu’on puisse alléguer et dire, c’est toujoursLe même crime errant dans la même nuit noire ;Si grand que soit l’éclat, quelle que soit la gloire,C’est toujours à ses yeux le meurtre, et, plein d’ennui,Partout, il le condamne ; et tout ce qu’il sait, lui,C’est qu’on ne lui fait pas accepter des décombres,Des désastres, des morts, des écrasements sombres,Même en posant dessus. la patte d’un lion.Non, jamais de vengeance et pas de talion.Quoi ! le cipaye irait jetant au feu des femmesEt tordant des enfants, tout vivants dans les flammes ;Quoi ! l’irlandais bigot, à travers le brouillard,Surgirait, la massue au poing ; quoi, le lollardJoindrait le fer qui frappe à la main qui mendie ;Quoi ! le hubin boirait du sang ; quoi ! l’incendieEclairerait le rire horrible du truand ;Le camisard aurait dans sa poche en tuantSa bible toute grasse à force d’être lue ; ―Et l’âme incorruptible, et la bouche absolue,La bouche du poète et l’âme du penseurSe tairaient ! et le jour accepterait pour sœur,Sous prétexte qu’ensemble autrefois nous souffrîmes,L’aveugle obscurité, toute pleine de crimes !Non, parle, et parle haut, vérité ! vérité !La misère n’a pas le droit de cruauté ;Les échafauds s’en vont et leur ombre s’efface ;L’impassible équité ne veut pas qu’on en fasse,Pas même avec le bois douloureux des grabats ;Non ! nous n’admettons point, dans le deuil d’ici-bas,Qu’on puisse être bourreau parce qu’on fut.victime.Le meurtre fils des pleurs n’est pas plus légitime ;Quand le faible dévient à son tour le plus fort,La conscience donne à la rancune tortEt force les instincts de vengeance à se taire,Et l’on n’est point absous par ce juge pour faireDu mal avec le mal que d’autres vous ont fait.Cette livre de chair dont Shylock triomphait,Malheur à qui la veut dans sa sauvage envie !L’homme est le travailleur du printemps, de la vie,De la graine semée et du sillon creusé,Et non le créancier livide du passé.Hélas ! des oppresseurs naissent les terroristes ;Il n’est pas bon d’avoir, ô vieilles races tristes,Pour père le haillon et pour mère la nuit ;L’ignorance appartient au mal qui la séduit,La misère au front morne élève mal les âmes.La multitude peut jeter d’augustes flammes.Mais qu’un vent souffle, on voit descendre tout à coupDu haut de l’honneur vierge au plus bas de l’égoutLa foule, cette grande et fatale orpheline ;
Et cette Jeanne d’Arc se change en Messaline.Ah ! quand Gracchus se dresse aux rostres foudroyants,Quand Cinégyre mord les navires fuyants,Quand avec les Trois-cents, hommes faits ou pupilles,Léonidas s’en va tomber-aux Thermopyles,Quand Botzaris surgit, quand Schwitz confédéréBrise l’Autriche avec son dur bâton ferré,Quand l’altier Winkelried, ouvrant ses bras épiques ;Meurt dans l’embrassement formidable des piques,Quand Washington combat, quand Bolivar paraît,Quand Pélage rugit au fond de sa forêt,Quand la Convention impassible tient têteA trente rois, mêlés dans la même tempête ;Quand, liguée et terrible et rapportant la nuit,Toute l’Europe accourt, gronde et s’évanouit,Comme aux pieds de la digue une vague écumeuse,Devant les grenadiers pensifs de Sambre-et-MeuseC’est le peuple ; salut, ô peuple souverain !Mais quand le lazzarone ou le transteverin.De quelque Sixte-Quint baise à genoux la crosse,Quand la cohue inepte, insensée et féroce,Etouffe sous ses flots, d’un vent sauvage émus,L’honneur dans Coligny, la raison dans Ramus,Quand un poing monstrueux, de l’ombre où l’horreur flotte,Sort, tenant aux cheveux la tête de CharlottePâle du coup de hache et rouge du soufflet,C’est la foule ; et ceci me heurte et me déplaît ;C’est l’élément aveugle et confus ; c’est le nombre ;C’est la sombre faiblesse et c’est la force sombre.Certes, nous vénérons Sparte, Athènes, Paris,Et tous les grands forums d’où partent les grands cris ;Mais nous plaçons plus haut la conscience auguste.Tout un peuple égaré ne pèse pas un juste ;Tout un océan fou bat en vain un grand cœur.Le nombre, masse obscure et facile au vainqueur,Souvent rit des martyrs et trahit les apôtres ;Et le droit n’est pas là ; nous ne voulons, nous autresAyant Danton pour père et Hampden pour aïeul,Pas plus du tyran Tous que du despote Un Seul.Le droit est au-dessus de Tous ; nul vent contraireNe le renverse ; et Tous ne peuvent rien distraireNi rien aliéner de l’avenir commun.Le peuple souverain de lui-même, et chacunSon propre roi ; c’est là le droit. Rien ne l’entame.Quoi ! l’homme que voilà qui passe, aurait mon âme !Honte ! il pourrait demain, par un vote hébété,Prendre, prostituer, vendre ma liberté !Jamais. La foule un jour peut couvrir le principe ;Mais le flot redescend, l’écume se dissipe,La vague en s’en allant laisse le droit à nu.Qui donc s’est figuré que le premier venuAvait droit sur mon droit ! qu’il fallait que je prisseSa bassesse pour joug, pour règle son caprice !Que j’entrasse au cachot s’il entre au cabanon !Que je fusse forcé de me faire chaînonParce qu’il plaît à tous de se changer en chaîne !Que le pli du roseau devînt la loi du chêne !Ah ! le premier venu, le passant, parlons-en.Il contient un héros doublé d’un [...]Les révolutions, durables, quoi qu’il fasse,Ont pour cet inconnu qui jette à leur surfaceTantôt de l’infamie et tantôt de l’honneur,Le dédain qu’a le mur pour le badigeonneur.Voyez-le,.ce bourgeois de Paris ou d’AthènesOu de Rome, pareil à l’eau qui des fontainesTombe au pavés, s’en va dans le ruisseau fatal,Et devient boue après avoir été cristal.Cet homme étonne, après tant de jours beaux et rudes,Par son indifférence. au fond des turpitudes,
Ceux mêmes qu’ont d’abord éblouis ses vertus ;Il est Falstaff après avoir été Brutus ;Il entre dans l’orgie en sortant de la gloire ;Allez lui demander s’il sait sa propre histoire,Ce qu’était Washington ou ce qu’a fait Bara,Son cœur mort ne bat plus aux noms qu’il adora.Naguère il restaurait les vieux cultes, les bustesDe ses héros tombés, de ses aïeux robustes,Phocion expiré, Lycurgue enseveli,Riego mort, et voyez maintenant quel oubli !Triste corbeau honteux d’avoir été le cygne,Il est si bien esclave à présent qu’il s’indigneDe ses hauts faits passés perdus dans la vapeur ;Il y― 18 à son audace ancienne, il en a peur.Il fut grand, et s’en lave ; il fut saint, et l’ignore.Il ne s’aperçoit pas même qu’il déshonorePar l’œuvre d’aujourd’hui son ouvrage d’hierIl devient lâche et vil, lui qu’on a vu si fier ;Et, sans que rien en lui se révolte et proteste,Barbouille un cabaret sordide avec le resteDe la chaux dont il vient de blanchir un tombeau.Mais quoi ! reproche-t-on son plumage au corbeau,A l’air qui fuit, lé vent, à la mer qui s’écrouleL’onde, et ses millions de têtes à la foule ?.Que sert de chicaner ses erreurs, son chemin,Ses retours en arrière, à ce nuage humain,A ce grand tourbillon des vivants, incapable,Hélas ! d’être innocent comme d’être coupable ?A quoi bon ? quoique vague, obscur, sans point d’appui,Il est utile ; et tout en flottant devant lui,Il a pour fonction, à Paris comme à Londre,De faire le progrès, et d’autres d’en répondre ;La République anglaise expire, se dissout,Tombe, et laisse Milton derrière elle debout ;La foule a disparu, mais le penseur demeure ;C’est assez pour que tout germe et que rien ne meure.Dans les chutes du droit rien n’est désespéré.Qu’importe le méchant heureux, fier, vénéré ?Tu fais des lâchetés, ciel profond ; tu succombes,Rome ; la liberté va vivre aux catacombes ;Les dieux sont au vainqueur. Caton reste aux vaincus.Kosciusko surgit des os de GalgacusOn interrompt Jean Huss ; soit ; Luther continue.La lumière est toujours par quelque bras tenue ;On mourra, s’il le faut, pour prouver qu’on a foi ;Et volontairement, simplement, sans effroi,Des justes sortiront de la foule asservie,Iront droit au sépulcre et quitteront la vie,Ayant plus de dégoût des hommes que des vers.Oh ! ces grands Régulus, de tant d’oubli couverts,Arria, Porcia, ces héros qui sont femmes,Tous ces courages purs, toutes ces fermes âmes,Curtius, Adam Lux, Thraséas calme et fort,Ce puissant Condorcet, ce stoïque Chamfort,Comme ils ont chastement’ quitté la terre indigne !Ainsi fuit la colombe, ainsi plane le cygne,Ainsi l’aigle s’en va du marais des serpents.Léguant l’exemple à tous, aux méchants, aux rampants,A l’égoïsme, au crime, aux lâches cœurs pleins d’ombre,Ils se sont endormis dans le grand sommeil sombre ;Ils ont fermé les yeux ne voulant plus rien voir ;Ces martyrs généreux ont sacré le devoir,Puis se sont étendus sur la’ funèbre couche ;Leur mort à la vertu donne un baiser farouche.Ô caresse sublime et sainte du tombeauAu grand, au pur, au bon, à l’idéal, au beau !En présence de ceux qui disent : Rien n’est juste !Devant tout ce qui trouble, et nuit, devant Locuste,Devant Pallas, devant Carrier, devant Sanchez,Devant les appétits sur, le néant penchés,
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