Lettre de Corneille à Saint-Évremond
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Charles de Saint-Évremond
Œuvres mêlées
Lettre de Corneille à Saint-Évremond ; Réponse de Saint-Évremond
LETTRE DE M . DE CORNEILLE À M. DE SAINT-ÉVREMOND,
POUR LE REMERCIER DES LOUANGES QU’IL LUI
AVOIT DONNÉES, DANS LA DISSERTATION SUR
L’ALEXANDRE DE RACINE.
(1668.)
Monsieur,
L’obligation que je vous ai est d’une nature à ne pouvoir jamais vous en remercier
dignement ; et dans la confusion où j’en suis, je m’obstinerois encore dans le
silence, si je n’avois peur qu’il ne passât auprès de vous pour ingratitude. Bien que
les suffrages de l’importance du vôtre nous doivent toujours être très-précieux, il y a
des conjonctures qui en augmentent infiniment le prix. Vous m’honorez de votre
estime, en un temps où il semble qu’il y ait un parti fait pour ne m’en laisser aucune.
Vous me soutenez, quand on se persuade qu’on m’a abattu ; et vous me consolez
glorieusement de la délicatesse de notre siècle, quand vous daignez m’attribuer le
bon goût de l’antiquité. C’est un merveilleux avantage pour un homme qui ne peut
douter que la postérité ne veuille bien s’en rapporter à vous : aussi je vous avoue,
après cela, que je pense avoir quelque droit de traiter de ridicules ces vains
trophées qu’on établit sur le débris imaginaire des miens, et de regarder avec pitié
ces opiniâtres entêtements qu’on avoit pour les anciens héros refondus à notre
mode.
Me voulez-vous bien permettre d’ajouter ici que vous m’avez pris par mon foible, et
que ma Sophonisbe, pour qui vous montrez tant de ...

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Charles de Saint-Évremond Œuvres mêlées Lettre de Corneille à Saint-Évremond ; Réponse de Saint-Évremond
LETTRE DE M . DE CORNEILLE À M. DE SAINT-ÉVREMOND, POUR LE REMERCIER DES LOUANGES QU’IL LUI AVOIT DONNÉES, DANS LA DISSERTATION SUR L’ALEXANDRE DE RACINE. (1668.) Monsieur, L’obligation que je vous ai est d’une nature à ne pouvoir jamais vous en remercier dignement ; et dans la confusion où j’en suis, je m’obstinerois encore dans le silence, si je n’avois peur qu’il ne passât auprès de vous pour ingratitude. Bien que les suffrages de l’importance du vôtre nous doivent toujours être très-précieux, il y a des conjonctures qui en augmentent infiniment le prix. Vous m’honorez de votre estime, en un temps où il semble qu’il y ait un parti fait pour ne m’en laisser aucune. Vous me soutenez, quand on se persuade qu’on m’a abattu ; et vous me consolez glorieusement de la délicatesse de notre siècle, quand vous daignez m’attribuer le bon goût de l’antiquité. C’est un merveilleux avantage pour un homme qui ne peut douter que la postérité ne veuille bien s’en rapporter à vous : aussi je vous avoue, après cela, que je pense avoir quelque droit de traiter de ridicules ces vains trophées qu’on établit sur le débris imaginaire des miens, et de regarder avec pitié ces opiniâtres entêtements qu’on avoit pour les anciens héros refondus à notre mode. Me voulez-vous bien permettre d’ajouter ici que vous m’avez pris par mon foible, et que ma Sophonisbe, pour qui vous montrez tant de tendresse, a la meilleure part de la mienne ? Que vous flattez agréablement mes sentiments, quand vous confirmez ce que j’ai avancé, touchant la part que l’amour doit avoir dans les belles tragédies, et la fidélité avec laquelle nous devons conserver à ces vieux illustres, ces caractères de leur temps, de leur nation et de leur humeur ! J’ai cru jusques ici que l’amour étoit une passion trop chargée de foiblesse, pour être la dominante, dans une pièce héroïque : j’aime qu’elle y serve d’ornement, et non pas de corps ; et que les grandes âmes ne la laissent agir qu’autant qu’elle est compatible avec de plus nobles impressions. Nos doucereux et nos enjoués sont de contraire avis, mais vous vous déclarez du mien. N’est-ce pas assez pour vous en être redevable au dernier point, et me dire toute ma vie, Votre très-humble et très-obéissant serviteur, Corneille. RÉPONSE DE M. DE SAINT-ÉVREMOND À M. DE CORNEILLE. Monsieur, Je ne doute pas que vous ne fussiez le plus reconnoissant homme du monde d’une grâce qu’on vous feroit, puisque vous vous sentez obligé d’une justice qu’on vous rend. Si vous aviez à remercier tous ceux qui ont les mêmes sentiments que moi de vos ouvrages, vous devriez des remerciements à tous ceux qui s’y connoissent. Je vous puis répondre que jamais réputation n’a été si bien établie que la vôtre, en Angleterre et en Hollande. Les Anglois, assez disposés naturellement à estimer ce qui leur appartient, renoncent à cette opinion souvent bien fondée, et croient faire 1 honneur à leur Benjamin Johnson, de le nommer le Corneille d’Angleterre. M. Waller, un des plus beaux esprits du siècle, attend toujours vos pièces nouvelles, et ne manque pas d’en traduire un acte ou deux en vers anglois, pour sa satisfaction 2 particulière .Vous êtes le seul de notre nation, dont les sentiments aient l’avantage de toucher les siens. Il demeure d’accord qu’on parle et qu’on écrit bien en France : il n’y a que vous, dit-il, de tous les François, qui sache penser. M. Vossius, le plus grand admirateur de la Grèce, qui ne sauroit souffrir la moindre comparaison des Latins aux Grecs, vous préfère à Sophocle et à Euripide.
Après des suffrages si avantageux, vous me surprenez de dire que votre réputation est attaquée en France. Seroit-il arrivé du bon goût comme des modes, qui commencent à s’établir chez les étrangers, quand elles se passent à Paris ? Je ne m’étonnerois point qu’on prît quelque dégoût pour les vieux héros, quand on en voit un jeune qui efface toute leur gloire ; mais si on se plaît encore à lesvoir représenter sur nos théâtres, comment peut-on ne pas admirer ceux qui viennent de vous ? Je crois que l’influence du mauvais goût s’en va passer ; et la première pièce que vous donnerez au public fera voir, par le retour de ses applaudissements, le recouvrement du bon sens et le rétablissement de la raison. Je ne finirai pas sans vous rendre grâces très-humbles de l’honneur que vous m’avez fait. Je me trouverois indigne des louanges que vous donnez à mon jugement ; mais comme il s’occupe le plus souvent à bien connoître la beauté de vos ouvrages, je confonds nos intérêts, et me laisse aller avec plaisir à une vanité mêlée avec la justice que je vous rends.
NOTES DE L’ÉDITEUR
1. Benjamin Johnson (ou Ben Jonson), célèbre poëte anglois, fleurissoit sous les règnes er er de la reine Élisabeth, de Jacques Iet de Charles I. Comme il étoit versé dans la lecture des anciens, il en profita habilement, et donna au théâtre anglois une forme et une régularité qu’il n’avoit point eu jusqu’alors. Il a fait des tragédies, comme leSéjanet l eCatilina, qui ont eu l’approbation des connoisseurs. Mais on estime surtout ses comédies, particulièrement celles qui ont pour titre :Volpone ou le Renard,l’Alchimiste, la Foire de la Saint-Barthélemy etla Femme qui ne parle point. M. de Saint-Évremond étoit charmé de cette dernière pièce. Benjamin Johnson mourut en 1637, âgé de soixante-trois ans. Il est enterré dans l’abbaye de Westminster. Pour toute épitaphe, on s’est contenté de mettre ces paroles sur sa tombe :O rare Ben Johnson !(Des Maizeaux.)
2. M. Waller a travaillé à la traduction angloise duPompée deCorneille, conjointement avec Charles Sackville, comte de Dorset, un des plus beaux esprits d’Angleterre, mort en 1706. C’est tout ce qui nous reste de ses traductions de Corneille. (Id.)
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