Lettre du 30 octobre 1675 (Sévigné)
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Description

Marie de Rabutin-Chantal, marquise de Sévigné
Lettres de Madame de Sévigné,
de sa famille et de ses amis
Hachette, 1862 (pp. 205-209).
463. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ
À MADAME DE GRIGNAN.
eAux Rochers, mercredi 30 octobre.
Mon Dieu, ma fille, que votre lettre d’Aix est plaisante ! Au moins relisez vos lettres
avant que de les envoyer ; laissez-vous surprendre à leur agrément, et consolez-
vous par ce plaisir de la peine que vous avez d’en tant écrire. Vous avez donc
baisé toute la Provence : il n’y auroit pas de satisfaction à baiser toute la Bretagne,
à moins que l’on n’aimât à sentir le vin. Vous avez bien 1675caressé, ménagé,
distingué la bonne baronne : vous savez comme elle m’a toujours paru, et combien
je vous conseille de vous servir en sa faveur de votre bonne lunette. Vous ne me
[1] [2] [3]dites rien de Roquesante , ni du bon cardinal ; j’aime tant celui de Commerci ,
que j’en aime toutes les calottes rouges dignement portées ; car je me tiens et
tiendrai offensée des autres : vous dites sur cela tout ce qu’il faut. Je comprends
vos pétoffes admirablement ; il me semble que j’y suis encore.
[4]On nous dépeint ici Monsieur de Marseille l’épée à la main, aux côtés du roi de
Pologne, ayant eu deux chevaux tués sous lui, et donnant la chasse aux Tartares,
comme l’archevêque Turpin la donnoit aux Sarrasins. Dans cet état, je pense qu’il
[5]méprise bien la petite assemblée de Lambesc . Je comprends le chagrin que
vous avez eu de quitter Grignan et la bonne compagnie que ...

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Langue Français

Extrait

Marie de Rabutin-Chantal, marquise de Sévigné Lettres de Madame de Sévigné, de sa famille et de ses amis Hachette, 1862(pp. 205-209).
463. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN.
e Aux Rochers, mercredi 30octobre.
Mon Dieu, ma fille, que votre lettre d’Aix est plaisante ! Au moins relisez vos lettres avant que de les envoyer ; laissez-vous surprendre à leur agrément, et consolez-vous par ce plaisir de la peine que vous avez d’en tant écrire. Vous avez donc baisé toute la Provence : il n’y auroit pas de satisfaction à baiser toute la Bretagne, à moins que l’on n’aimât à sentir le vin. Vous avez bien1675caressé, ménagé, distingué la bonne baronne : vous savez comme elle m’a toujours paru, et combien je vous conseille de vous servir en sa faveur de votre bonne lunette. Vous ne me [1] [2][3] dites rien de Roquesante, ni du bon cardinal; j’aime tant celui de Commerci, que j’en aime toutes les calottes rouges dignement portées ; car je me tiens et tiendrai offensée des autres : vous dites sur cela tout ce qu’il faut. Je comprends vospétoffesadmirablement ; il me semble que j’y suis encore.
[4] On nous dépeint ici Monsieur de Marseillel’épée à la main, aux côtés du roi de Pologne, ayant eu deux chevaux tués sous lui, et donnant la chasse aux Tartares, comme l’archevêque Turpin la donnoit aux Sarrasins. Dans cet état, je pense qu’il [5] méprise bien la petite assemblée de Lambesc. Je comprends le chagrin que vous avez eu de quitter Grignan et la bonne compagnie que vous y aviez ; la résolution de vous y retrouver tous après l’assemblée est bien naturelle.
Voulez-vous savoir des nouvelles de Rennes ? Il y a toujours cinq mille hommes, car il en est venu encore de Nantes. On a fait une taxe de cent mille écus sur le bourgeois ; et si on ne les trouve dans vingt-quatre heures, elle sera doublée, et exigible par les soldats. On a chassé et banni toute une grande rue, et défendu de les recueillir sur peine de la vie, de sorte qu’on voyoit tous ces misérables, vieillards, femmes accouchées, enfants, errer en pleurs au sortir de cette ville, sans savoir où aller, sans avoir de nourriture, ni de quoi se coucher. On roua avant-hier un violon qui avoit commencé la danse et la pillerie du papier timbré ; il a été écartelé après sa mort, et ses quatre quartiers exposés aux quatre coins de la ville, [6] comme ceux de Josseranà Aix. Il dit en mourant que c’étoient les fermiers du papier timbré qui lui avoient donné vingt-cinq écus pour commencer la sédition, et jamais on n’en a pu tirer autre chose. On a pris soixante bourgeois ; on commence [7] demain à pendre. Cette province est un bel exemple pour les autres, et surtout de respecter les gouverneurs et les gouvernantes, de ne leur point dire d’injures, et de ne point jeter des pierres dans leur jardin.
[8] Je vous ai mandé comme Mme de Tarente nous a tous sauvés. Elle étoit hier dans ces, bois par un temps enchanté ; il n’est question ni de chambre, ni de [9] collation ; elle entre par la barrière, et s’en retourne de même : elle me montra [10] des lettres de Danemark. Ce favorise fait porter les paquets de la princesse [11] jusques à l’armée, faisant semblant qu’on s’est trompé, et pour avoir un prétexte, en les lui renvoyant, de l’assurer de sa passion. Je reviens à notre Bretagne tous les villages contribuent pour nourrir les troupes, et l’on sauve son pain en sauvant ses denrées ; autrefois on les vendoit, et l’on avoit de l’argent mais ce n’est plus la [12] mode, on a changé tout1675cela. M. de Molacest retourné à Nantes ; M. de [13] Lavardin vient à Rennes. Tout le monde plaint bien M. d’Harouys; on ne comprend pas comme il pourra faire, ni ce qu’on demandera aux états, s’il y en a. Enfin vous pouvez compter qu’il n’y a plus de Bretagne ; et c’est dommage. Mon fils [14] est fort alarmé de ce que le chevalier de Lauzun a permission de se défaire: nous avons écrit à M. de la Trousse, qui parlera à M. de Louvois, pour que le guidon puisse monter sans qu’il lui en coûte rien ; nous verrons comme cela se tournera :
d’Hacqueville vous en pourra instruire plus tôt que moi. Ce qui me console un peu, c’est qu’il y a bien loin depuis avoir permission de vendre sa charge, jusqu’à avoir trouvé un marchand. Le temps n’est plus comme il y a six ans, que je donnai vingt-cinq mille écus à M. de Louvois un mois plus tôt que je ne lui avois promis ; on ne pourroit pas présentement trouver dix mille francs dans cette province. On fait l’honneur à MM. de Fourbin et de Vins de dire qu’ils s’y ennuient beaucoup, et qu’ils ont une grande impatience de s’en aller. Ne vous ai-je pas mandé1675le joli mariage de Mlle de Noirmoutier avec le frère de d’Olonne ? Je trouve très-beau ce qu’a fait Monceaux pour M. de Turenne ; je n’aime guère le mot deparmidans un si [15] petit ouvrage. Je vous embrasse, ma très-chère et très-aimable, et suis tout entière à vous.
1. ↑LETTRE 463. — Voyez tome II, p. 544, note 3. 2. ↑Le cardinal Grimaldi, archevêque d’Aix. (Note de Perrin.) 3. ↑Le cardinal de Retz, qui s’étoit retiré à Commerci. (Note du même.) 4. ↑Il étoit alors ambassadeur en Pologne. (Note du même.) 5. ↑L’assemblée des communautés, qu’il avait présidée les années précédentes. 6. ↑ Ce misérable avoit assassiné son maître, qui étoit un gentilhomme de Provence, de la maison de Pontevez. (Note de Perrin.) 7. ↑Dans l’édition de 1734 : « On commence demain les punitions. » 8. ↑Voyez ci-dessus, p. 202. 9. ↑Au bout du parc, sur le chemin de Vitré. (Note de l’édition de1818.) 10. ↑Le comte de Griffenfeld. Voyez p. i56, la note 7 de la lettre du 2 octobre précédent. 11. ↑Dans l’édition de 1754 : « …jusques à l’armée, comme par méprise. » 12. ↑Voyez tome II, p. 297, note 6. 13. ↑Trésorier général des états de Bretagne. (Note de Perrin.) er 14. ↑Voyez la lettre des let 4 décembre suivants. — « M. de Lauzun perdit aussi (en1707) le chevalier (François) de Lauzun, son frère, à qui il donnoit de quoi vivre, et presque toujours mal ensemble. C’étoit un homme de beaucoup d’esprit et de lecture, avec de la valeur ; aussi méchant et aussi extraordinaire que son frère, mais qui n’en avoit pas le bon ; obscur, farouche, débauché, et qui avoit achevé de se perdre à la cour par son voyagé avec le prince de Conti en Hongrie. C’étoit un homme qu’on ne rencontroit jamais nulle part, pas même chez son frère, qui en fut fort consolé. » (Mémoires de Saint-Simon, tome VI, p. 146.) Le chevalier de Lauzun mourut à l’âge de soixante ans, sans avoir été marié. — Tout ce morceau, depuis : « Mon fils est fort alarmé, » jusqu’à : « trouver dix mille francs dans cette province, » n’est que dans l’édition de 1754. 15. ↑Cela parait bien s’appliquer à l’épitaphe suivante de Turenne :
Turenne a son tombeauparmiceux de nos rois Il obtint cet honneur par ses fameux exploits. Louis voulut ainsi couronner sa vaillance, Afin d’apprendre aux siècles à venir Qu’il ne mit point de différence Entre porter le sceptre et le bien soutenir.
Mais cette épitaphe n’est pas de Monceaux : l’abbé Raguenet, dans son Histoire de Turenne, composée par l’ordre ei sous les yeux du cardinal de Bouillon ; de la Place, dans sonRecueil d’épitaphes1782) ; et (Bruxelles, divers éditeurs deChoix de poésiess’accordent à l’attribuer au poète Urbain Chevreau, né à Loudun en 1613, mort dans la même ville en 1701. Perrin seul donne cette lettre : n’aurait-il pas luMonceau pourChevreau? Après cela, rien ne nous prouve absolument que l’épitaphe que nous venons de citer soit celle dont parle ici Mme de Sévigné. La prépositionparmipouvait bien, vu le sujet, se trouver aussi dans quelque autre.
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