Chroniques d un médecin des mines
265 pages
Français

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Chroniques d'un médecin des mines , livre ebook

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Description

« 16 heures, 19 janvier 1981. Un après-midi d’hiver. Il fait froid dehors malgré un bon soleil de janvier qui fait paraître encore plus agréable l’intérieur modeste de ces deux vieux, âgés de 82 ans chacun, les R., sagement assis près de leur feu continu. Ils sont en train de déguster une tasse de ce sempiternel “café du Nord”. “Vous prendrez bien une tasse avec nous, docteur ? Il est bon, vous savez !” J’accepte rarement quelque chose à boire chez mes patients. Mais ces deux-là me font tellement penser aux vieux du conte d’Alphonse Daudet que je ne trouve pas le courage de refuser. La vieille est percluse de rhumatismes. Lui aussi. On commence à parler de ça mais bien vite, tasse à la main, on dérive. Ils habitent la maison depuis 1924, oui, 1924 ! Nous voyons le passé non pas dans une boule de cristal, mais dans les volutes de nos tasses... La médecine et les remèdes s’éloignent, on n’en parle même plus. Et j’ai l’impression que toutes ces évocations de notre passé commun leur font plus de bien que mes drogues. “N’est-ce pas qu’il était bon le café, conclut madame R., eh bien, docteur, c’était du décaféiné !” » Ce récit fait partie des chroniques racontées avec simplicité par un médecin qui exerça pendant trente-quatre années dans le bassin minier de Lens. Emotion, rire et redécouverte du passé sont au rendez-vous, nous entraînant comme dans un roman vers des tranches de vie parfois drôles, parfois tristes, souvent touchantes. Au final, c’est un attachant panorama du quotidien que nous offre ici un médecin dévoué.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 juin 2015
Nombre de lectures 12
EAN13 9782813817068
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0035€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Un aRîTÉ LôûchÉ !
Je suis chez monsieur B. C’est un grand malade qui, para plégique maintenant, ne se déplace plus qu’en déambu lateur. Aujourd’hui, j’ai le temps. Il me confie que son hobby, c’est la peinture à l’huile. Il me montre ses tra vaux. Art naïf. Mais indubitablement, et comme chez tout peintre, il rend son homme heureux et j’en parle en connaissance de cause.« J’en ai exposé deux à la dernière e exposition du 3âge. Au bout d’un quartd’heure, ils étaient vendus ! »Et puis c’est l’anecdote :« Voyezvous, docteur, cela m’a bien servi lorsque j’étais prisonnier en Allemagne. La sentinelle qui me gardait s’est penchée sur mes travaux : Gut ! Gut ! Et ne voilàtil pas cette demande pour moi insensée : faire son portrait. Car pour tout vous dire, il louchait terrible ment. En mauvais allemand – et plutôt en petit nègre – je lui signifiai en montrant ses yeux : Pas beau, difficile, etc. Il me rétorqua qu’il y était habitué et se sentait très beau comme ça. Je m’exécutai. Et je vous prie de croire, à moi les rations sup plémentaires et en heures de sorties dues à mon titre d’artiste. Mais la conclusion encore la plus comique de l’aventure fut que le travail livré, il m’amena la photo de son jeune garçon. Et il louchait encore bien plus fort que son père ! »
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Le 2 mai 1980.
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HîToIRÉ É cLOchER
Une visite hier chez les G. Ce sont de braves gens qui ont gardé mon chien voici quelques années pendant les vacances. Dans la fenêtre de leur salle de séjour s’inscrit magnifiquement, lui servant de véritable cadre, l’église SainteThérèsedesAlouettes qu’ils contemplent depuis dixhuit ans qu’ils vivent là. Aujourd’hui, on peut voir, sur fond arachnéen d’échafaudages, des lilliputiens se pro filant sur le ciel qui s’affairent à décapiter cette malheu reuse église. « Si ce n’est pas malheureux de voir ça, monsieur, une église que les mineurs avaient construite de leurs mains pendant leurs jours de congés ! On faisait la quête le dimanche dans les corons pour se procurer l’argent pour acheter les matériaux. »Eh oui…
Le 7 juin 1980.
èn FRacÉ, ôu iNI ôujôuR paR Ś caNŝôN !
Et quand la chanson s’arrête… Je viens de perdre un brave homme, veuf, silicosé, de 80 ans, je devrais dire de 80 printemps. Sa fille m’avait fait venir quatre ou cinq jours avant, me déclarant : – Pépère n’est pas bien, je le vois bien, il ne chante plus… – ??? – Oui, c’est un homme très gai ; il chante tout le temps, dès le matin, en se rasant par exemple, et la journée c’est
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notre canari ! Il ne voulait pas que je vous appelle parce qu’il a peur d’être hospitalisé.
J’ai essayé de garder le canari dans sa cage dorée. Mais ses craintes étaient fondées, rappelé le lendemain, j’étais bien contraint de le transférer dans une autre cage, moins poétique : l’hôpital. Il n’y retrouva pas son chant. Mais estil encore possible, en 1980, de mourir chez soi ? Je ne le crois plus guère. À moins d’avoir de la chance…
Le 24 août 1980.
HauÉ ielIé
Le moyen, je vous le demande, de ne pas être frappé par le fait que certains de mes « malades » viennent me voir chaque semaine (ou quinzaine), et cela depuis cinq ans, dix ans, quinze ans et plus, pour me demander toujours les mêmes quelques médicaments ?  C’est l’un d’entre eux, monsieur R., qui est venu hier pour son Dimegan et sa pommade antieczémateuse qui me fait songer à cette chronique. Bien sûr, tous ne font pas cela. Car un malade, ça meurt parfois. Mais ce cas est loin de se trouver seul.  Certains malades me font recopier sans interruption les ordonnances du cardiologue Luczinscki qui exerçait voici vingtcinq ans et qui a pris sa retraite il y a environ vingt ans ! Cela me fait toujours un peu sourire. Il m’est même arrivé, un jour de mauvaise humeur, de doubler ou de tripler les boîtes sur l’ordonnance.« Je ne reverrais pas cette tête de pipe dans huit jours » pensaije. Las ! Quelle erreur !
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Il réapparut avec son billet au jour habituel ! Et comme je lui fis remarquer que j’avais inscrit des quantités plus importantes la dernière fois, je m’attirai cette réponse inattendue :! Mais on a l’habitude de venir le mer« Oui credi, alors on est tout perdu s’il ne faut pas venir. On ne sait plus ![sic]»  Alors, promenade hygiénique au dispensaire du doc teur gratis ? Sans doute un peu des deux. Mais très proba blement aussi béquilles qui aident à supporter la vie. Tous les gens qui entrent dans ce comportement sont pour la grande majorité des êtres calmes et sans problèmes.  La vie, quand on veut bien y réfléchir, est un tissu, dense et très serré, d’habitudes. Ces personnes ont inclus dans leur vie une habitude supplémentaire, une habitude tranquillisante. De sorte qu’il n’est pas interdit de pen ser que cette pratique jugéea prioriabusive et discutable rentre finalement et tout simplement dans l’exercice de la médecine. En effet, que faisonsnous pratiquement de notre journée de médecin si ce n’est de consoler et tranquilliser les gens ?
Le 2 décembre 1980.
ASt lûDïqûÉ d’uÉ PRfsïôn ŝÈrïEuŝÉ
Deux cabines de déshabillage donnent dans mon bureau de dispensaire. J’ai commencé ma carrière il y a vingt cinq ans dans une sombre turne où j’avais, à défaut de confort et de w.c., trois boxes de déshabillage. Mais la simple expérience m’apprit vite alors que ce chiffre était gênant parce que l’on ne savait jamais où l’on en était
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e et j’affectai rapidement la 3 cabine à une installation d’aérosols.  Dans le palace qui me fut rapidement affecté ensuite, je demandai la construction de deux cabines seulement, c’était plus pratique. Pour lutter contre la sédentarité du métier, j’eus toujours l’habitude de me lever de mon bureau pour aller ouvrir la porte de cabine et chercher les patients, ce qui en une séance de consultation me fait tout de même une petite dose de marche à pied !  Et là est le jeu. Je ne sais jamais ce qui va sortir de cette boîte. Parfois (et souvent) c’est un rhume. Plus rarement un cancer. Avec un peu de chance, une suspicion de can cer. Encore plus souvent, un imbroglio psychologique ou sociologique, humainement intéressant à débrouiller et qui toujours fait perdre (?) pas mal de temps. J’ai même un patient qui sort avec ses seuls slip et chaussettes, régu lièrement, même s’il s’agit d’un mal de gorge… J’ai un peu l’impression d’un diable à ressort… qui sort de sa boîte. Bref, j’ai souvent envie de comparer cela aux pochettes surprises, à la pêche dans la sciure, au tirage de la Loterie nationale ou du loto. Le jeu, vous disje.  Mais le gros lot est toujours tiré en dernier comme il se doit : j’ouvre la porte… et il n’y a personne derrière…
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Le 2 décembre 1980.
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