Huguette et Roland
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Publié le 13 juillet 2011
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Langue Français

Extrait

Huguette et Roland
Thomas Legrand
Copyright – 2011
Huguette aimait Roland, Roland aimait Huguette. Depuis des années,
maintenant. Au début, tous deux n'étaient que de jeunes adultes, l'une travaillait dans
un petit bar dieppois en tant que serveuse, l'autre était plombier. Chaque matin, lui
venait boire sa tasse de café au « Tout va bien » ; Chaque matin, elle le lui servait en
l'accompagnant d'un simple mais charmant petit sourire, qu'elle distribuait
gracieusement à chacun des clients, confortablement installés sur la terrasse. C'était
son travail, être polie. Les premiers jours, Roland ne venait que pour lire son journal
et déguster son café. Puis, au fil du temps, il commença peut-être à venir pour la
fraîcheur de ce sourire envoûtant, pourtant si simple. Au fur et à mesure que le temps
passait, Roland observait de plus en plus la jeune serveuse du Tout va bien. Il aurait
pu la redessiner entièrement, les yeux fermés. Elle avait une silhouette élancée, des
jambes gracieuses et des bras agiles, des boucles brunes qui lui tombaient sur la
nuque et les oreilles, le plus souvent un bandeau dans les cheveux, des joues
rebondies
accompagnées
de
deux
petits
fossettes,
et
des
yeux
noisettes.
Inévitablement, il s'était passé une chose entre les deux. Huguette ne croyait pas aux
coups de foudre, Roland non plus. Mais ils se rendaient compte, chacun de leur côté,
que quelque chose les liait, les rapprochait au fil des jours. Un sentiment, une
émotion qu'ils partageaient, sans vouloir l'accepter. Pourtant, par un beau matin de
printemps, le destin décida de prendre leur histoire en main.
Roland, par habitude, s'installa sur la terrasse et commanda un café. Huguette
le lui prépara, le lui servit, et retourna à son comptoir. Un temps passa, et Huguette,
voyant Roland vider sa tasse et lui faire signe, se dirigea vers lui le cœur battant.
Roland sorti son portefeuille et chercha de la monnaie.
-Je.. oh non, ce n'est pas possible..
-Il y a un problème, monsieur ?
-Je n'ai plus de monnaie..
Huguette lâcha un petit rire à la fois moqueur et embarrassé.
-C'est en effet un petit soucis, que vous avez là !
-J'ai honte, mademoiselle.. Si vous saviez comme j'ai honte !
-Laissez, il est pour moi, monsieur.
-Vous ne pouvez pas, non. Ce serait encore plus honteux pour moi. Profiter de votre
gentillesse, ce n'est pas possible.
-Vous n'aurez qu'à trouver un moyen de vous faire pardonner, sourit-elle.
Et c'est ainsi que Roland s'en alla au travail plus heureux que jamais, et que Huguette
commença sa journée avec un sourire plus radieux que jamais.
Le lendemain, Roland arriva. A sept heures trente, comme chaque matin. Un
bouquet de roses à la main, il entra dans la café et observa la jeune serveuse, dos à
lui, en train de nettoyer des verres dans l'évier. Il tapa doucement le comptoir de la
paume de sa main, et Huguette se retourna en sursaut. La main sur son cœur et le
souffle coupé, elle retrouva le sourire en voyant Roland.
-Vous m'avez fait une de ces peurs, monsieur !
-Désolé. Voici, pour me faire pardonner.
Roland posa le bouquet sur le bar.
-Oh, non, il ne fallait pas.. Pas tant, en tous cas ! Merci. Elles sont si belles, des roses
roses en plus !
-Vous connaissez leur signification ?
-Pas vraiment.
-Elles symbolisent la grâce, la gentillesse..
-C'est gentil, rougit-elle.
-L'appréciation, la reconnaissance.
-La reconnaissance ? S'étonna Huguette.
-Vous m'avez un peu sauvé la vie, hier ! Si votre patron avait découvert que je ne
pouvais pas payé..
-C'est vrai qu'il n'est pas facile, plaisanta-t-elle.
Un silence marqua une pause dans la conversation. Huguette reprit :
-Un café, comme d'habitude ?
-Deux !
Le sourire de la jeune serveuse s'éteignit peu à peu.
-Vous serez accompagné. D'accord, je vous apporte ça tout de suite.
Roland s'en alla s'asseoir sur la terrasse. Huguette apporta deux tasses de café sur un
plateau de bois. Elle les lui servit, et se retourna pour s'en aller.
-Mademoiselle ?
-Oui ?
-J'aimerais boire mon café avec vous.
Huguette, sans le montrer à Roland, écarquilla les yeux et souri largement.
Retrouvant un visage neutre, elle regarda Roland.
-Mais, je suis en service, monsieur. Je ne peux pas !
-Votre patron revient quand ?
-D'ici vingt minutes.
-Il n'y a pas d'autres clients, encore. Faites moi plaisir.
Huguette réfléchi un moment, et posa son plateau sur une table voisine et rejoignit
Roland à sa table.
Puis, au fil des semaines, au fil des mois, le lien qu'ils avaient tissé devenait de
plus en plus fort. Jusqu'au moment où, deux années plus tard, ils finirent par se
marier. Un mariage simplement magnifique, suivi de, quelques mois après, un
premier enfant né de leur union, Patrick.
Puis vînt Laurence.
Puis Jean.
Puis Sophie. Et le couple décida qu'aucun autre enfant ne viendrait agrandir
davantage la famille. Tout le monde grandissait, Patrick s'en alla vivre dans une
maison de campagne avec sa femme, Laurence déménagea dans l'immeuble voisin de
celui de son enfance pour habiter avec son fiancé, Jean parti à Rouen où il fit ses
études de droit, et Sophie acheta un petit pavillon pour y vivre seule. Huguette et
Roland se retrouvèrent seuls, comme aux premiers temps. Heureux d'avoir donné
naissance à quatre beaux enfants, heureux de les avoir fait et vu grandir, puis partir.
La cinquantaine arriva rapidement. Si rapidement qu'aux premières rides,
Huguette s'inquiéta. Elle se pensait toujours si jeune, si vive et si joyeuse qu'à ses
vingt ans. Elle se résigna cependant à les accepter, sans trop de mal. Roland, lui,
commençait à souffrir du dos, à force de s'accroupir chaque jour et de se pencher, le
dos courbé, pour observer la tuyauterie qu'il fréquentait quotidiennement. A
cinquante-huit ans, il dû se servir d'une canne.
Vînt la soixantaine, et les premiers petits-enfants. Clémence, Julien, Antoine et
Juliette. Un bonheur de plus dans la vie du couple. La vie continuait.
Soixante-dix ans, et trois autres petits-enfants. Justine, Maxime et Charlotte. La
famille ne cessait de croître, et Huguette et Roland étaient heureux. Et cette joie les
rendait nostalgiques. Ils se rappelaient des naissances de leurs fils et de leurs filles, de
leurs parents qui, comme eux aujourd'hui, sans doute, vivaient leurs moments de
nostalgie.
Quatre-vingts ans, et les premiers petits-enfants. Ils se rappelaient de la mort de
leurs parents, les uns après les autres, alors que leurs enfants naissaient. Et ils se
demandèrent si, à leur tour, ils allaient partir un jour. Ils le savaient, c'était forcé. L'un
d'eux partirait en premier, l'autre suivrait après quelques années. Tel était le prix de
leur vie. Tel était le prix de la vie de chacun.
Roland s'en alla le premier, emporté par un cancer. Huguette ne comprenait pas
pourquoi on lui enlevait son Roland, et passait ses journées à se lamenter en regardant
encore et encore leurs photos de jeunesse qu'elle conservait dans une petite boite de
bois. Huguette aimait Roland, Roland aimait Huguette. A ça près, que lui n'était plus
là pour le lui faire savoir. Et après tout, Huguette ne pouvait plus lui dire non plus.
Puis Huguette partit à son tour. Et leur amour continua toujours. Huguette
aimait Roland, Roland aimait Huguette. Et pour toujours.
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