Lactrodectus
7 pages
Français
Le téléchargement nécessite un accès à la bibliothèque YouScribe
Tout savoir sur nos offres
7 pages
Français
Le téléchargement nécessite un accès à la bibliothèque YouScribe
Tout savoir sur nos offres

Description


Une histoire entre sensualite et horreur

Informations

Publié par
Publié le 24 juin 2011
Nombre de lectures 560
Langue Français

Extrait

LACTRODECTUS Ou Selon que vous serez puissant ou misérable.
Enfin, j’entends sa voiture qui se gare dans l’allée. Les journées sont si longues sans elle. Surtout quand on les passe à l’attendre. A la guetter. J’entends claquer la portière, son pas léger sur le gravier. Elle ouvre la porte et passe à côté de moi en m’ignorant totalement. Son parfum mêlé à une légère odeur de transpiration me heurte de plein fouet et me laisse exsangue. Comment cette créature arrive-t-elle encore et toujours à me faire un tel effet ?
Elle se déshabille comme à son habitude : jupe noire jetée devant le panier de linge sale, chemise blanche roulée en boule qui la rejoint. Elle passe ses mains dans son dos et détache son soutien-gorge. Bleu nuit, dentelle et balconnet. C’est qu’elle en est fière, de sa poitrine! Remarquez; elle peut. Malgré la bouffée de haine que m’inspire en ce moment son indifférence, je reconnais qu’il y a là de quoi damner un saint. Elle défait le ruban qui retient sagement ses cheveux toute la journée, se penche en avant et les ébouriffe joyeusement. De là où je suis, je vois le renflement de son ventre, ventre qu’elle tyrannise tous les matins avec des séries d’abdos exécutées en force. Je devine la douceur de son grain de peau, lisse et ferme. Je me remémore douloureusement ces moments où nos épidermes s’épousaient avec un même bonheur. Je soupire bruyamment. Une envie bestiale me prend de la jeter sur le lit et de… Un slip vient d’atterrir à côté de ma tête. Elle l’a fait exprès, ou quoi ? Elle en serait bien capable, perfide comme elle est ! Je relève la tête et lui jette un regard noir. Elle ne bronche pas, apparemment insensible à mon état d’esprit.Elle me donne des envies de meurtre, par moments. Ca y est, maintenant qu’elle est nue, elle va se promener dans toute la maison, et ensuite, elle va se scruter sans concession devant la psyché que je lui ai offerte. Elle commence par froncer les sourcils, s’examine les petites rides autour des yeux. Puis, elle recule, lève le cou, en évalue la fermeté, se tourne pour tenter d’apercevoir ses fesses. A l’époque, c’était notre grand sujet de plaisanterie: elle affirmait que les femmes rêveraient d’avoir les fesses devant pour se rendre compte de ce que nous, les hommes, voyions. C’était, selon elle, la principale divergence entre hommes et femmes: leur volume et leur perception.
Nous soupirons de concert, pour des raisons totalement étrangères. Elle se glisse dans la douche, me tourne le dos et je sais qu’elle ferme les yeux de plaisir. C’est l’une de ses thérapies pour décompresser, elle me l’a répété des dizaines de fois quand je tentais de la rejoindre sous la douche. Elle me faisait sortir sans concession, ni pitié. «C’est un moment à moi, dont je revendique l’égoïsme» disait-elle, sérieuse. Rien n’y faisait, suppliques ou menaces pour rire … Le rideau de douche est légèrement entrouvert, ce qui me laisse le loisir de la contempler. L’eau coule en cascade et ruisselle sur son visage, son cou, son corps. Yeux clos, mains en conque au-
1
dessous des seins, tête baissée, elle évacue de longues minutes le stress, la fatigue, les contrariétés de la journée. Je contemple sa beauté qui continue malgré moi à m’émouvoir.
Je me remémore notre première rencontre. Au Patio, un jeudi midi. Le restaurant était plein, j’avais un déjeuner a priori ennuyeux avec des juristes, le genre de repas où les seuls vrais propos anodins sont dissimulés dans une jungle épaisse et bureaucratique. Le genre de session de travail e qu’on aurait pu avoir dans la salle de réunion du 3étage, mais à cette époque, Paul, mon patron, essayait de se convaincre qu’un déjeuner créait une certaine convivialité dans les rapports professionnels. A voir les têtes de Me H. et de Me D., soit ces braves garçons avaient omis de desserrer leur nœud de cravate, soit ils en étaient encore à la digestion du Code des affaires. Ca promettait du bon temps !
Alors que j’atteignais les premières tables du restaurant, je la vis. Du moins, ce que je vis en premier, c’était une jambe longue et musclée, qu’enserrait une botte de cuir noir. Nous étions au milieu de l’hiver mais les bottes restaient malgré tout marginales chez les plus de dix ans. Je remontai lentement la jambe droite pour m’extasier sur la gauche, négligemment repliée sur le barreau du tabouret. Une robe noire en laine dévoilait des genoux ronds et incroyablement sexy. A vrai dire, avant de la découvrir ainsi posée au bar, il ne me serait pas venu à l’esprit qu’un genou pouvait être porteur d’une telle charge érotique ! D’elle, je ne voyais pas le visage. Juste un morceau de joue, une peau aux tons chauds, une cascade indisciplinée de cheveux qui semblait se répandre comme un torrent joyeux sur son dos joliment cambré. Un coude posé sur le bar, elle tenait son menton, révélant des bagues pour le moins originales, en argent, genre bijoux touaregs tout en hauteur et en volume. Elle parlait avec Eric, le patron, et paraissait hermétique aux bruits, conversations et mouvements autour d’elle. A un moment, elle s’esclaffa joyeusement. Ce fameux rire, si particulier, que j’allais si souvent entendre au cours des mois suivants et qui me ferait encore et toujours l’effet d’un bâton de pluie. Elle ramena sa jambe vers elle, repoussa le tabouret et se mit debout. J’étais arrivé suffisamment près d’elle pour que son parfum s’amuse à troubler mes sens. Fleuri et boisé à la fois. (Je ne peux plus croiser une femme qui le porte sans qu’une profonde nostalgie ne me saisisse. Du moins, devrais-je dire : «Je ne puis plus »… Mais ceci est une autre histoire.)
Alors, elle se retourna et planta son regard de myope dans mes yeux et je sombrai aussitôt corps et biens dans le mordoré de ses iris qui évoquait tout à la fois de magnifiques promesses de bonheur, l’envol de milliers d’oiseaux sur une plage déserte, la plénitude de la lune au-dessus du Wadi Rum... Je ne dirai pas que je tombai aussitôt amoureux, non, c’est bien plus que ca, je tombai, tout simplement. Disons pour faire simple, que je m’évanouis.
Je vous entends ricaner d’ici. S’évanouir, moi, un grand gaillard, juste pour avoir croisé son regard ! La belle affaire ! Qui plus est, dans un restaurant, devant une inconnue et une vingtaine de convives ? Je vous pardonne vos moqueries. Vous ne la connaissez pas. Heureux les ignorants et les sots… Quant à moi, le néant m’avait aspiré tout entier vers le sol, que je heurtais semble-t-il, assez violemment.
2
Une mouche légère et friponne s’amuse à marcher sur ma joue. Je voudrai la chasser, mais ma main retombe, lourde comme le péché. J’arrive péniblement à soulever la chape de plomb qui recouvre mes yeux. La mouche est une mèche de cheveux qui me donne une furieuse envie de me gratter le nez mais peut-on décemment le faire quand une telle créature est penchée au-dessus de vous, sa main me soulevant la tête, sa poitrine à quelques centimètres de moi ?
«Et bien, bon retour sur terre. Vous avez une sacrée bosse mais visiblement, la tête dure» Elle sourit : «Eric apporte de la glace. Essayez de vous redresser doucementLe clin d’œil sans. ». équivoque aucune que me lança Eric en me tendant une poche de glace, me remit un peu les idées en place. Je bafouillais une excuse, qu’elle fit mine d’agréer, sans pour autant me donner l’impression de tirer vanité de l’effet qu’elle avait produit sur moi. Je me rendrai bien vite compte qu’elle demeurait étrangère et distante à cetype de réactions chez les hommes. Dans son mode de fonctionnement (selon l’expression consacrée, le «gender equity»), les rapports hommes/femmes étaient sains et directs. D’égal à égale. Ce qui lui valait d’ailleurs de sévères inimités chez certaines femmes, qui pressentaient en elle une chasseresse, la jaugeant dangereuse sur un terrain où elle allait à intervalles très irréguliers. Dieu merci.
Eric me le présenta, insistant sur les rapports fraternels qu’ils entretenaient depuis quelques années. Elle me tendit une main ferme, fraîche, ses beaux yeux rieurs me détaillant sans pudeur ni malice. Je m’en fus déjeuner, elle quitta le restaurant après une dernière accolade à Eric. Que je bombardai de questions après son départ. C’est ainsi que j’en sus un peu plus sur elle. Sur sa vie. Sur son étrange maison remplie d’animaux. «Une sorte de B.B, me confia Eric.Je ne sais pas où elle les ramasse, mais elle en a une bonne douzaine». Eric ne lui connaissait pas d’amoureux. Ce qui me convenait parfaitement.
Il me fallut presque trois mois d’intrigues en tous genres pour réussir à me faire inviter à l’une de ses soirées, dans ce qu’il est convenu d’appeler une arche de Noé. Je fus accueilli par deux paons magnifiques qui rivalisaient de couleurs éclatantes tout autant que de vanité. Un cabri belliqueux essaya de me repousser à coups de cornes vers la sortie. «Il est jaloux, voilà tout», sourit-elle, tout en lui assenant une claque sur les flancs pour l’éloigner. Un superbe chat angora aux yeux verts mi-clos la suivait du regard, où qu’elle aille. Lorsque je tentai une timide caresse pour l’amadouer, il hérissa le dos et cracha. Je retirai rapidement la main avant qu’il ne me griffe. Des animaux, il y en avait effectivement partout. Deux iguanes alanguis et blasés laissant mollement traîner une queue hérissée sur le sofa. Des tortues, deux bergers allemands, un hamster, un perroquet, une souris blanche assez malicieuse et même, horreur suprême, dans un aquarium, un scorpion énorme et belliqueux. «Il ne rêve que de me planter son dard», dit-elle, riant de sa plaisanterie. Lorsque je l’interrogeai sur cette faune, elle me fit une réponse laconique et mystérieuse dont je ne saisirai pleinement le sens que longtemps après : «C’est eux qui veulent rester». Eric, qui était de la soirée, me fit remarquer avec un grand sourire, que le « cheptel» semblait exclusivement masculin. Encore un «détail de l’Histoire» qui ne m’interpella pas (assez) à cet instant.
3
Déjà, elleme présentait à ses amis et autres invités, tous plus sympathiques les uns que les autres. Je ne croisai personne susceptible d’être son «officiel »,ce dont je me réjouis secrètement. Elle-même n’eut aucun geste équivoque ou amoureux envers les hommes présents, ce qui confirma mes souhaits. Le repas fut raffiné et végétarien. Elle s’en excusa auprès de moi : «Jene mange pas de chair animale». Cela ne me gênait pas le moins du monde. Je passai une excellente soirée. Lorsque tous les convives furent partis, alors que je l’aidai à ranger, le chat angora tenta une approche plus audacieuse que la mienne. Profitant qu’elle était accroupie, il se frotta contre sa poitrine en miaulant. Elle le prit par la peau du cou et le mit dehors. Elle procéda de même avec les iguanes et les chiens, recouvrit la cage du hamster, celle du perroquet et du scorpion et ferma la porte au nez des paons et du cabri.
Alors, elle eut la bonté, la grâce, dem’accorder ses faveurs cette nuit-là, et jamais homme ne fut si près de la plénitude. Alors qu’elle dormait, me tournant le dos, je remontai de ma main la ligne parfaite de ses hanches. Elle soupira légèrement, remuant à peine. Je continuai à parcourir ses courbes douces et fermes, enfouissant ma main dans le soyeux de ses cheveux, que je repoussai délicatement, en fétichiste convaincu, pour révéler sa nuque. Je me penchai et déposai avec infiniment de douceur, un baiser. C’est alors que je remarquai une sorte de tache noire et rouge. Je me penchai et aperçus dans le clair obscur de la chambre, un minuscule tatouage exécuté sur une de ses vertèbres cervicales, ce qui lui donnait une sorte de relief. Une araignée. Original, pensai-je. Apres tout, c’était une femme surprenante et c’est pour cela que j’en étais tombé amoureux.
Je vécus huit mois de bonheur et de félicité grâce à cette femme incroyable et unique en son genre. Aucun jour ne ressemblait au précédent. Elle était pleine de vie et de surprises. Je me repaissais de son rire, de ces histoires extraordinaires qu’elle me contait chaque jour. Comme celle de cette fille en Jazz noire, qui se faisait la moustache à la pince à épiler dans son rétroviseur, le matin dans les embouteillages. Véridique et pathétique, disait-elle, le pire des « tue l’amour » ! Elle glissait des petits mots doux dans mes dossiers, piratait je ne sais comment, mes boites mail pour que des dizaines de ses photos apparaissent aux moments les plus inopportuns. Elle était drôle, émouvante, tendre et brillante. Nous ne vivions pas ensemble. «Les seuls qui me supportent sans vouloir me quitter, ce sont ces animaux», avait-elle coutume de dire. A force de me côtoyer, ceux-ci s’étaient habitués à moi. Certaines nuits, lorsque le chat partageait notre chambre, il me semblait tout de même qu’en me fixant dans l’obscurité, il me souriait de toutes ses dents, comme le chat d’Alice au pays des merveilles. Cela me mettait vaguement mal à l’aise. Le cabri semblait me regarder avec un je ne sais quoi de peiné. Le scorpion me tournait le dos dès que je tapotais la paroi de l’aquarium. Les paons semblaient toujours aussi fats. Les autres animaux m’ignoraient, ce dont je ne me plaignais pas. La seule qui me manifesta un tant soit peu d’animosité pendant quelques jours, fut la souris blanche. Elle s’arrangeait pour disparaitre à la nuit pour réapparaitre accrochée à mon orteil quand nous faisions l’amour. La première fois qu’elle me gratifia de cette morsure, somme toutetrès supportable, sauf pour l’ego, je poussai un cri de surprise et sautai en l’air. L’incident nous fit rire et nous prîmes
4
l’habitude de secouer les draps pour débusquer cette peste. «C’est la dernière arrivée, elle s’y fera», disait-elle, en souriant énigmatiquement. Avec le recul, ses paroles prenaient une autre profondeur.
Nous allions souvent faire de la plongée au-dessus de la fosse aux requins. J’avoue que la sensation de froid qui m’envahissait dans ces moments-là ne devait rien à l’épaisseur de la combinaison de plongée. Non, ce qui me fascinait et me terrifiait à la fois et à quoi je ne parvenais pas à m’habituer, c’était le ballet (éprouvant pour les nerfs, croyez-moi) des murènes et autres requins autour de nous. Je devrai dire : autour d’elle. Les murènes ne se contentaient pas de sortir une tête hirsute et d’exhiber une dentition cauchemardesque; non, les murènes venaient se glisser entre ses bras et entre ses jambes. Elles venaient délicatement cueillir les morceaux de poisson qu’elle posait au creux de sa main et se laissaient caresser avec, semble-t-il, le plus grand plaisir. Les requins, quant à eux, surgissant de nulle part, fonçaient droit sur elle avant de venir se frotter lascivement à son flanc. (Elle me montra de fines rayures blanches sur sa hanche, dues aux abrasions dermiques, ce qui faisait que désormais, elle ne plongeait qu’en combinaison). Elle paraissait étrangement heureuse et apaisée après ces plongées. «Je leur dois bien ca…», murmurait-elle lorsque je m’inquiétais de la trop grande familiarité de ces créatures marines.
Tout à l’amour, je faisais une lecture naïve et romanesque de ses rapports aux animaux. Je trouvais formidable ce relationnel qui confinait parfois au fusionnel avec la gente animale. Elle était rarement demandeuse mais ne repoussait jamais les bêtes qui venaient glisser groin, bec ou museau sous ses mains. La seule chose que je n’arrivais pas à m’expliquer dans ces moments-là, c’était son air légèrement nostalgique, le trouble très fugace qui brouillait son iris et surtout, ces murmures inaudibles qui accompagnaient les caresses. Oh non, ne vous méprenez pas ! Jamais je ne fus jaloux de ces démonstrations de tendresse. Au contraire. Ces gestes-là m’émouvaient, je m’émerveillais même de ce magnétisme qu’elle exerçait avec tant de force sur les animaux. Naïveté, quand tu nous tiens…
Un peu perdu dans mes pensées, je n’ai pas réalisé qu’elle a fini sa douche. Vite, se jeter en arrière et aller se planquer. Si jamais elle me surprenait à la mater, dieu sait ce qu’elle ferait. Je file en douce dans sa chambre et me cache derrière les épais rideaux. Elle arrive, nue, à peine essuyée etaussitôt, l’air se charge d’électricité. J’ai senti depuis deux ou trois jours, de subtils changements. Tout d’abord, chez les autres animaux. Le scorpion arpente nerveusement l’aquarium, la queue toujours dressée en une danse mortelle et intimidante. Les iguanes se sont refugiés sur un arbre et le vert étincelant qui les caractérise d’habitude a laissé la place à un marron sans relief. La souris blanche s’attaque à tout ce qui traîne et laisse des miettes dans toute la maison. Le cabri essaye de faire une percée dans le grillage à grands coups de tête et tente sournoisement de mordre tous ceux qui passent à proximité. Les chiens, comme s’ils sentaient l’imminence d’un drame, passent leurs journées et leurs nuits la tête posée sur les pattes à gémir.
5
La queue des paons balaye lamentablement au sol. Les tortues et le hamster sont introuvables. Quant au chat, il fouette furieusement l’air de sa queue et se fait les griffes sur tous les arbres du jardin. Notre instinct ne nous trompe pas, elle va se remettre en chasse. Et chacun ici se sent en danger. L’on s’épie les uns les autres. Qui, cette fois? Elle-même semble légèrement plus nerveuse. Son sommeil est tronqué, haché. Elle ne nous accorde aucune attention, sauf quand elle nous nourrit.
Cela me ramène (douloureusement) à ma dernière nuit avec elle, il y a de cela bien deux mois. La pleine lune baignait la nuit d’un voile d’or et l’on y voyait étrangement bien. Il faisait chaud, nous avions laissé les fenêtres ouvertes. La brise nocturne faisait danser les rideaux et il me semblait sentir sur mes lèvres, une éphémère écume salée. La houle au loin semblait gronder en continu. Nous avions fait l’amour quelques heures plus tôt. Et elle s’était endormie, comme à son habitude, couchée sur le ventre, sa jambe droite légèrement repliée. Je ne sais ce qui m’avait réveillé. Je me mis sur le côté et la regardai amoureusement. Elle semblait si fragile et si émouvante d’abandon dans son sommeil. La lune jetait un éclat ambré sur sa peau nue. Je me penchai et respirai ses cheveux. C’était ça, le bonheur, ces moments fugaces où j’avais l’impression de lui voler un peu de son intimité. J’effleurai ses cheveux, traçant de minces sillons de mes doigts. Lorsque soudain, mon regard fut attiré par un mouvement extrêmement fugace. Je retins ma main. Avais-je rêvé ou avais-je vu une mèche se dérober sous mes doigts ?Était-ce dû au vent? J’attendis quelques secondes. J’observai sa nuque en fronçant les sourcils. Le mouvement, quasi imperceptible, se renouvela. Du diable si cette souris s’était une fois de plus glissée dans notre lit et était allée chercher refuge dans le nid douillet de ses cheveux ! Je fis très lentement glisser quelques mèches afin de dégager la nuque et démasquer cette friponne.
Ce que je vis alors devait me glacer les sangs et me poursuivre jusqu'à la fin de mes jours. Sur sa peau veloutée, sur cette nuque exquise que j’avais si souvent baisée avec tendresse et dévotion, (sa zone érogène, disait-elle), le minuscule tatouage dépliait délicatement ses huit pattes. La peau se distendait, des gouttes de sang perlaient, et j’entendis des bruits de succion. L’araignée prenait vie, grandissait à vue d’œil, ses taches rouge se détachant nettement sur le noir velouteux de son corps. L’horreur me cloua sur place, mon menton capitulant devant l’abomination. Je voulus hurler, la secouer, la réveiller, jeter cette araignée loin d’elle mais j’étais tétanisé par la terreur. L’araignée, de belle taille maintenant, se mit à osciller sur ses pattes. A l’endroit où se trouvait le tatouage, les chairs déchiquetées béaient en une bouchesanglante. L’araignée passa lentement une patte sur cettepeau aimée, en une caresse morbide. Et elle, dans son sommeil, en frissonna de plaisir. La bête se redressa et - je vous jure que c’est vrai !- me regarda droit dans les yeux. J’avais encore la bouche ouverte en un cri muet lorsqu’elle se catapulta sur ma langue et y enfonça son dard.
La suite? Ho, tout le monde la connait, ici. Il faut dire que chacun de nous y a eu droit, à son baiser d’amour ! Je n’étais alors que le suivant sur une longue liste, qui manifestement, n’allait pas tarder à s’allonger.
6
Ca y est, elle s’est habillée et maintenant, elle va à la cuisine. Je la suis péniblement. J’ai mal aux articulations. Ils ont prévu la canicule demain et je vais encore déguster. Je n’aurai de cesse de trouver un coin de fraicheur et espérer une averse tropicale. Si vous croyez que c’est facile, vous, d’être une grenouille sous les tropiques !
7
  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents